Cet article a été initialement publié dans Lamy Droit Immatériel. Il a été repris sur le blog avec l’accord de l’éditeur.
Ainsi qu’il est présentement souligné le phénomène du métavers soulève, comme le développement commercial de l’Internet et du numérique le font depuis plus d’une trentaine d’années, un questionnement subtil quant à la pertinence des règles de droit existante pour appréhender des pratiques nouvelles : entre besoin d’adaptation, d’évolution ou de nouvelles règles.
Alors que l’écosystème Blockchain ne cesse de se développer depuis quelques années et que ses applications demeurent évolutives, peut-on aujourd’hui penser que le métavers deviendra « le phénomène le plus prodigieux du XXIe siècle »1 ?
L’appellation de métavers (de l’anglais metaverse, contraction de meta et d’univers), désigne un monde virtuel. Techniquement, au travers de technologies connues mais évolutives, le terme désigne un réseau de mondes virtuels en 3D. En l’état de son développement, il y a des metavers, et non un unique monde virtuel comme il existe un interne2, tout simplement parce que son développement est encore tributaire de technologies propriétaires. Les projets de standardisation, permettant une interopérabilité, n’ont pas aboutis3 à ce jour.
Le développement de metavers n’en est pas moins réel et quelques exemples récents suggèrent, a minima, que le juriste ne pourra pas échapper à ce phénomène qui semble bien devoir impliquer particuliers, sociétés, et institutions.
Mark Zuckerberg a modifié il y a quelques mois le nom de sa société Facebook – rebaptisée Meta – et il envisage la création de 10.000 emplois sur une durée de 5 ans en Europe oeuvrant à l’édification de l’éponyme « métavers ».
L’antenne de Hong-Kong du géant PwC vient quant à elle d’acheter un terrain virtuel sur Sandbox (le montant de la transaction n’est pas connue) en vue de créer un « centre de conseil Web 3.0 » avec un nouveau type de service professionnel et d’accompagnement de ses clients au travers de la technologie proposée par Sandbox4.
Cette même plateforme de jeu blockchain, Sandbox, a annoncé il y a quelques semaines avoir finalisé une nouvelle levée de fonds d’un montant de 93 millions de dollars5, s’assurant ainsi les ressources pour continuer son développement.
Le métavers Sandbox voit également arriver dans son univers des acteurs traditionnels tels que Warner Music Group et même des sociétés de la grande distribution comme le groupe Carrefour, aidé de Coinhouse, le PSAN français en vogue, ou encore le Groupe Casino. Toutes ces sociétés ont acquis des terrains dans le Métavers Sandbox.
On peut aussi citer Adidas qui aurait engrangé, le 17 décembre 2021, 23,5 millions de dollars à la suite de son événement NFT « Into the Metaverse », organisé en partenariat avec Bored Ape Yacht Club. Cette collection de NFT de la marque mis en vente durant cet événement visait un double objectif : d’une part attiser l’intérêt de la « communauté crypto » et d’autre part susciter l’intérêt des consommateurs de la marque de manière générale. En ce sens, l’utilisation par de grandes marques connues et appréciées du grand public du métavers leur offre une couverture médiatique confirmant au moins la dimension marketing (et donc commerciale) du métavers.
Le géant Nike ne déroge pas à cette tendance du Métavers et des NFT vendus dans ces univers virtuels. La marque a annoncé le mardi 14 décembre 2021 l’acquisition de RTFKT, un créateur de sneakers et surtout de biens virtuels de collection, s’inscrivant ainsi dans cette volonté des milieux d’affaires d’embrasser la « transformation digitale ». A cet égard, Valérie Piotte, directrice générale de l’agence Altavia Cosmic, souligne que « le métavers représente un bon moyen de rendre la mécanique d’achat supérieure en matière d’e-commerce. Les marques de textile, de cosmétique ayant un fort ‘storytelling’ peuvent ainsi enrichir un parcours en ligne qui, sinon, peut sembler pauvre »6.
Mais si ces exemples glanés dans la presse s’inscrivent dans une « ode au métavers », il est non seulement clair que d’éventuelles critiques peuvent être formulées, mais surtout que diverses interrogations juridiques sont en train de voir (ou de revoir) le jour.
Emblématique à cet égard, citons l’affaire dite « Second Life » dans laquelle quatre « résidents » dudit univers intégralement virtuel, et gratuit, lancé en 2003 avaient bousculé le monde juridique. En effet, dans la mesure où les utilisateurs de ce jeu virtuel incarnent des personnages et peuvent acheter des biens ou des terrains, les joueurs voulaient faire valoir à l’encontre de l’éditeur du jeu Second Life, leur droit de propriété virtuel7.
Monde virtuel, monde réel… Les problématiques sociétales, économiques et juridiques sont nombreuses et se recoupent sans doute, mais dans quelle mesure ? Le phénomène du métavers soulève, comme le développement commercial de l’Internet et du numérique le font depuis plus d’une trentaine d’années, un questionnement subtile quant à la pertinence des règles de droit existante pour appréhender des pratiques nouvelles : entre besoin d’adaptation, d’évolution ou de nouvelles règles.
La législation en France tente d’ores et déjà de s’adapter à cette actualité, preuve en est avec l’adoption de la proposition de loi en date du 18 janvier 20228 souhaitant imposer aux fabricants d’appareils connectés d’inclure un contrôle parental gratuit et facile d’utilisation. En plaçant en première ligne la protection des mineurs contre la pornographie ou encore le cyberharcèlement cette proposition présentée par Bruno Studer est annonciatrice d’un encadrement renforcé du monde du numérique au sens large.
Au niveau européen, le Digital Service Act (DSA) vise à responsabiliser les plateformes numériques eu égard aux risques induis pour leurs utilisateurs dans le cadre de la diffusion de contenus ou produits illicites, qualifié de « combat de fond contre le Far-West qu’est devenu le monde numérique » comme le présente l’eurodéputée Christel Schaldemose. Venant contrôler les contenus sur Internet, l’objectif de cette réglementation peut se résumer ainsi : « Ce qui est interdit offline, doit l’être online »9. De ce fait, la possibilité d’une amende pouvant aller jusqu’à 6% du chiffre d’affaires des sociétés ou encore des mesures de rétorsion et d’exclusion temporaires du marché intérieur des plateformes ne se conformant pas aux nouvelles obligations leur incombant sont des preuves de la volonté ferme de l’Union européenne d’asseoir sa position face aux réalités des déviances dans le monde virtuel10. Pour autant, à l’image des critiques formulées pour la loi du 18 janvier 2022, certains considèrent également que le DSA demeure une « avancée trop timide »11. On retrouve les mêmes débats concernant le Digital market Act (DMA) qui a pour objectif l’adoption d’obligations claires et pertinentes pour les plateformes numériques qui jouent un rôle économique fondamental désormais.
Comment ce nouveau monde, ce/ces métavers se conjuguent-t-ils avec l’environnement juridique actuel ?
La nécessité d’une exposition des grands principes du métavers s’impose (I) avant d’identifier les majeures difficultés juridiques que suscitent ces nouveaux univers (II).
La confrontation entre deux mondes, le réel et le virtuel
Qu’est-ce que le Métavers ? Le terme est tout d’abord né avec le roman « Snow Crash » (Le Samouraï virtuel) de Neal Stephenson12 qui inventa le terme, par la contraction des termes « Meta » et « Universe » comme nous l’avons indiqué déjà. Le métavers est avant tout un monde digital (virtuel), « dématérialisé », un « monde parallèle » au monde réel.
Il n’y a pas de définition précise du Métavers, ni d’un point de vue technique, ni sociologique, encore moins juridique. Toutefois, il a pu être admis que deux grandes sous-catégories de métavers existent.
Tout d’abord, un métavers doublon du monde réel. C’est le cas de Meta développé par l’ex-Facebook, qui est présenté comme une « doublure de notre réalité ». Ledit « doublon » serait accessible via une connexion Internet et permettrait une projection d’avatars pouvant se rencontrer, interagir dans des conditions collant au plus proche possible du monde réel.
Ensuite, le second cas d’usage est celui d’un univers dérogeant, et même « diamétralement opposé », au monde réel, que cela soit par ses règles ou interactions ou encore par ce qu’il serait possible de faire dans un tel univers : cette catégorie est la plus souvent représentée par des jeux virtuels de type MMORPG (Massively multiplayer online role-playing game). Concrètement, c’est l’exemple de Second Life.
Le Métavers n’est donc pas une réalité uniforme. Il n’existe pas qu’un seul métavers mais « des métavers ». Pour rappel, les cas d’usage Meta ou Second Life sont les principaux métavers connus du grand public aujourd’hui. Un autre « grand nom » qui entre dans la course à ces univers parallèles, est Disney. Disney Entreprises veut en effet développer un « simulateur de monde virtuel »13.
Ainsi donc, le terme de « marché du métavers » prend tout son sens au regard de la pluralité de sociétés développant chacune leur métavers. Cette diversité n’est peut-être que transitoire car, comme le défend, Julien Pillot, économiste, : « on peut imaginer, dans un premier temps, un foisonnement de métavers concurrents, mais très vite, il va y avoir un, deux ou trois métavers qui vont s’imposer par eux-mêmes comme des standards dominants »14. Cette position est dictée par une évolution constatée, presqu’une « loi » économique des schémas et dynamiques préexistantes dans le monde de l’économie à l’aune des smartphones ou encore du cas des systèmes d’exploitation de certaines industries de réseaux. Plus précisément, il est ici argué que le marché du métavers se verra intrinsèquement et inévitablement restreint dans certaines perspectives de croissance au regard du coût considérable de leur développement.
En termes d’usages, le métavers se présente comme le « nouveau terrain de jeu » économique et digital (oeuvres d’art sous forme de NFT, bureaux virtuels, défilés de mode en ligne, boutiques, paiement en cryptomonnaie…). On y retrouve des innovations, mais aussi, voire surtout, des produits et services que nous avons l’occasion de rencontrer dans le monde réel !
Mais quid de la confrontation monde virtuel / monde juridique ? Quels droits s’appliquent on line ?
La multiplicité des impacts juridiques du Métavers : adaptation ou nouvelle (r)évolution du droit?
Le métavers souhaitant parfois « coller » aux conditions et in fine aux règles et principes du monde réel, il est naturel que les questions juridiques soient aussi nombreuses que celles qui nous entourent au quotidien, dans notre vie privée et professionnelle.
Tout d’abord il convient de s’interroger sur la compétence juridictionnelle et la loi applicable. Dans l’attente très hypothétique de traités internationaux, plus vraisemblablement de règles de droit uniformisées (droit transnational, c’est-à-dire des règles de droit national similaires dans les différents Etats) sur ces questions, ce sont les mécanismes du droit international privé qui offrent la clef.
Les problématiques sur ces sujets du digital, du numérique, du web, ont été mises en lumière ces dernières années avec la technologie Blockchain qui se voulait décentralisée, mais aussi dérégulée. Initialement, ces caractéristiques laissaient croire que le droit national ne devait jouer qu’un rôle très secondaire15 ; l’histoire a montré un cheminement tout à fait opposé, et ces sujets sont de manière croissante l’objet de règles nationales. Le Métavers suit le même chemin.
Pour les juristes, il est indéniable que « ce n’est pas parce que l’on est dans un monde virtuel que le droit ne s’applique pas. Il est vrai que certains utilisateurs, parce qu’ils sont derrière un avatar dans un monde virtuel, oublient que le droit est quelque chose auquel ils sont soumis »16. Mais cette évidence est loin d’être partagée dans les autres cercles, dont celui des utilisateurs.
En conséquence de ce premier constat, il convient dès lors d’insister sur les préoccupations juridiques majeures concernant les deux notions suivantes : d’une part la question de la loi applicable et d’autre part la question de la juridiction compétente. A cet égard, il a pu être rappelé à de nombreuses occasions que le métavers revêt un caractère intrinsèquement international, à l’instar d’Internet, pourtant clairement juridicisé.
Eu égard à cette caractéristique du métavers, une première difficulté apparait : la croissance des litiges. Croissance mécanique dès lors que l’utilisation du metavers concernera un nombre croissant de personnes, physiques et morales, réalisant des opérations ayant une incidence patrimoniale (appropriation, flux financiers), qui seront toutes résidentes dans le monde réel dans des états différents. La résolution des conflits, en l’absence de mécanisme ad hoc de médiation ou d’arbitrage, va donc potentiellement créer un conflit de juridictions.
Pour autant, bien que cette situation soit sans doute concrète, il n’en demeure pas moins que ce type de conflits ne sont aucunement une nouveauté, spécifiquement au regard d’un monde moderne où les échanges transfrontaliers et les litiges internationaux sont nombreux. En conséquence, il conviendrait alors de prévoir une adaptation du régime applicable actuellement en vigueur en vue de répondre à ce nouveau schéma entièrement numérisé. Le problème pourrait s’avérer un peu plus complexe si la saisine de la juridiction se réalisait au travers de l’identité de l’avatar… encore faudrait-il déjà lui reconnaitre une identité ce qui, au regard du droit positif, n’est pas envisageable.
Outre les difficultés liées au choix du juge compétent et de la loi applicable, la mise en oeuvre de solutions juridiques sera également délicate, une fois les questions de droit international « résolues ».
Droit de la consommation ? Droit des biens ? Droit fiscal ? Droit d’auteur… ? Peut-on envisager simplement d’utiliser les règles internes dans le Métavers ?
Certains juristes perçoivent l’arrivée du métavers comme une réelle « révolution du droit ». Est-ce véritablement le cas ? évoquons brièvement quelques domaines du droit qui sont concernés avec évidence : le droit de la consommation, le droit du travail, le droit pénal ou encore le droit des biens.
Tout d’abord, il est clair que le droit de la consommation semble prendre une place de premier choix dans l’écosystème Métavers, ne serait-ce que par l’utilisation qui en est actuellement faite par les marques de produits du monde réel.
Faire ses achats sur le Métavers ?
Le droit de la consommation se voit directement touché et plus spécifiquement les dispositions de l’article L.221-1 du Code de la consommation s’intéressant aux contrats à distance et hors établissement.
De manière historiquement compréhensible, on relèvera l’absence de toute mention des ventes ou prestations de service « virtuels » dans les dispositions de l’article susvisé. Si le code envisage bien l’absence de présence physique simultanée des cocontractants et le recours à « une ou plusieurs techniques de communication à distance » pour qualifier un contrat à distance (L221-1, I, 1° cconso), est-ce suffisant pour appréhender une transaction dans le metavers ?
La réponse se heurte aux caractéristiques attribuées au métavers, à savoir la mise en place d’avatars représentant les utilisateurs du métavers et mettant à mal la conception de parties au contrat. Une approche pragmatique consisterait tout simplement à maintenir la capacité juridique de l’avatar à celle de l’utilisateur « derrière » l’avatar.
Concernant ensuite la qualification de contrat « hors établissement » (L221-1, I, 2° cconso), qui repose sur l’exigence de « la présence physique simultanée des parties » soit au lieu conclusion soit au lieu de sollicitation, elle n’est pas évidemment transposable dans le metavers. Est-ce pour autant une difficulté insurmontable ? Sans doute pas, dès lors que l’on peut, d’abord, estimer que tous les contrats conclus par un avatar seront un contrat à distance au sens du code, et soumis en conséquence au régime qui y est prévu. Mais on peut aussi concevoir une interprétation reconnaissant l’équivalence de la « présence » d’un avatar a celle dans le monde réel. Il y aurait donc dans le metavers la possibilité de distinguer les contrats à distance dès lors que l’avatar a recours à un mode virtuel de communication à distance et les contrats hors établissement dès lors que l’avatar de l’acheteur est en présence de l’avatar du vendeur mais non dans l’espace commercial virtuel.
En toute hypothèse, et sous réserve de la loi applicable au contrat, la protection du consommateur s’appliquera.
Soulignons à ce stade le lien entretenu entre le métavers et les NFT, les Non Fongible Tokens (Blockchain). Avec cette nouvelle pratique de vendre des objets digitalisés sous forme de NFT, ceuxci permettent à tout distributeur la vente de produits dérivés dans de tels univers comme l’ont déjà fait Nike, Adidas, Coca-Cola et bien d’autres.
Une transition du « e-commerce » au « v-commerce » s’opère alors avec ce type de ventes.
En droit, la particularité des NFT (blockchain) est d’allouer une singularité aux biens numériques17, du moins lorsque le token est un bien incorporel « encapsulé » par le token. La nature juridique du NFT est différente s’il est attributif d’un droit (de propriété ?) sur un bien qui existe dans le monde réel, le token s’analyse alors en un titre (mais celui-ci, juridiquement, peut être attributif de propriété) ; ici encore, on doit se résoudre à constater l’impossibilité d’une qualification juridique uniforme car les situations visées par ce concept numérique unique (NFT) présentent des caractéristiques fort différentes, et partant des qualifications juridiques distinctes.
Vers une possible adaptation du droit du travail ?
Au titre de principale illustration, il a été simultanément annoncé et lancé par Meta le 19 août 2021 une réunion virtuelle sur l’application « Horizon Workrooms »18. Cette nouvelle approche proposée par la société témoigne non seulement de l’intention du métavers de proposer des organisations de réunions dans des espaces purement virtuels mais fait également écho à la notion du télétravail qui s’est vu s’accroitre en raison de la pandémie de la COVID-19. Ici encore c’est surtout une modification des interactions avec des salariés et non pas de conséquences en termes juridiques, car venant favoriser l’utilisation de divers outils modifiant l’environnement classique associé au travail.
En droit, un tel environnement de travail met en avant des préoccupations relevant de la sécurité et de la confidentialité des travaux émergent : quid de la détention des travaux en ligne ou du contrôle des salariés dans un tel environnement ? Comment intégrer ce type de modèle dans les contrats de travail ? Le salarié pourra-t-il refuser les réunions dans le métavers ? Une adaptation des règles sera-t-elle nécessaire ou les dispositions existantes suffiront- elles ? A défaut de pouvoir apporter une réponse tranchée, on observera que la rupture d’avec le droit du travail actuel serait surtout concevable s’il était possible d’envisager une personnalité juridique virtuelle autirisant un contrat de travail virtuel distinct du contrat de travail dans le monde réel. Cette solution, pour l’heure, n’est pas envisageable, et c’est essentiellement la question de l’intégration du metavers dans la relation de travail classique qui se pose.
Droit de la consommation et droit du travail fournissent nombre d’exemples des questions soulevées par le métavers, auquel s’ajoute, avec la même évidence, le fait que le droit pénal occupe une place centrale dans les conséquences et les enjeux de cet univers digitalisé.
A cet égard, il a déjà pu être constaté que certaines dérives sont bien ancrées et établies sur des espaces virtuels et décentralisés comme le métavers : l’escroquerie, la diffamation, le harcèlement, le vol ou encore les injures.
Dès lors, les auteurs et responsables de telles infractions devraient pouvoir être sanctionnés au même titre que ceux qui commenteraient de tels actes dans le monde réel. L’adage selon lequel « là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer » impose cette conclusion, mais le caractère dématérialisé du métavers complique les choses, sans compter, encore une fois, une certaine « confusion » entre l’avatar et la personne le contrôlant.
Tout d’abord, le cas du vol entre les utilisateurs incarne une première évolution jurisprudentielle. En effet, selon une jurisprudence établie (Cass. crim., 5 nov. 1985, n° 85-94.640.) il était impératif que la chose soustraite soit par principe un meuble corporel, bien que l’article 311-2 du Code pénal retienne que la « matérialité » du bien ne soit pas un caractère déterminant pour retenir l’hypothèse du vol. Il a pu notamment être décidé, dans un arrêt du 9 septembre 2003 (Cass. crim, 9 sept.2003, n°02-87.098.) ou encore du 20 mai 2015 (Cass. crim. 20 mai 2015 n°14-81.336.) que des données informatiques ont pu être faire l’objet d’un vol. Une telle conception jurisprudentielle de la « chose volée » permet d’adapter les solutions en droit « aux circonstances et besoins de l’époque ».
Par ailleurs, considérant le caractère international du métavers, plusieurs pays ont déjà vu leur interprétation jurisprudentielle s’adapter comme aux Pays-Bas où la Cour Supreme néerlandaise a qualifié pénalement le vol virtuel19.
Les agressions sexuelles sont aussi une question importante illustrée par le jeu Zombies dans lequel une jeune américaine a vu son avatar être agressé sexuellement, soulevant le débat de savoir s’il est possible de comparer cette expérience à une agression sexuelle dans le monde réel.
Du point de vue du droit pénal français, quid de savoir si des poursuites pénales pourraient être engagées au regard des dispositions de l’article 222-22 du Code pénal ? Ce qui soulève également une interrogation relativement au champ territorial d’application du droit pénal (art. 113-6 du code pénal) : comment qualifier le métavers relativement au « territoire de la République » ? La territorialisation du cyber espace, qui est alors soumis à des règles de droit national, n’est pas un phénomène que l’on découvre. Mais jusqu’alors le lien avec le mode réel fournissait des critères de rattachement offrant une certaine orthodoxie20. Si l’ensemble de la situation envisagée est virtuelle (flux financier, résidence…), le sentiment d’orthodoxie s’évanouit21.
Autre exemple des difficultés liées au métavers, le droit des biens, comme en témoigne le procès Second Life et la class action s’étant déroulée aux Etats-Unis. Des joueurs avaient porté plainte pour une expropriation abusive et une modification des conditions d’utilisation de la plateforme en vue d’une appropriation du travail desdits utilisateurs.
Bien que l’affaire en question ait été résolue au moyen d’une transaction, les termes de l’accord rendent compte de l’acceptation par Linden Resarch, gestionnaire du monde virtuel Second Life, du principe d’indemniser en intégralité les plaignants ainsi que de leur restituer les biens et articles virtuels une fois que les réclamations auront été confirmées par le juge ; ce qui a été in fine fait ensuite lors de l’audience du 27 février 201422.
Dernier exemple : le droit des successions ou la question de la transmission des NFT se pose également au travers du traitement inévitable de la « mort » des avatars. Autrement dit, il conviendrait certainement de prévoir des dispositions dans le droit positif permettant de prendre des mesures conservatoires ou répressives dans le cadre de la protection de données personnelles pour un individu décédé dans le cadre du métavers23. Il convient sans doute d’anticiper une « postérité numérique » à l’image du fonctionnement de sites tels que Google ou Facebook.
En conclusion, avec l’arrivée d’un univers parallèle se voulant toutefois semblable au monde réel et se calquant pour ce faire sur les interactions et les agissements des individus dudit monde réel, il est inévitable que les questions juridiques y étant associées soient au moins aussi nombreuses que celles du monde réel.
Et bien que l’intégralité du droit est potentiellement mobilisé par les opportunités offertes aux utilisateurs du métavers, le terme de « révolution du droit » semble excessif. En effet, aucune des questions ou même des enjeux juridiques amenés par le métavers ne sont en réalité « nouveaux ».
A défaut d’une régulation internationale précise et complète permettant d’encadrer Internet, la Blockchain, la/les métavers, le juriste devra mettre en application ses connaissances en droit international privé, puis l’ensemble de ses textes nationaux pour trouver des réponses juridiques adaptées à chaque situation. L’approche défendue depuis peu, selon laquelle « ce qui est interdit dans le monde réel l’est aussi dans le monde virtuel », bien que socialement opportune en offrant une ligne de conduite simple, aura peut-être un peu du mal à trouver aussi facilement sa place, compte tenu de la complexité du sujet et des innovations technologiques utilisées. Le débat n’est certainement pas tranché de savoir si un monde virtuel suppose un droit virtuel, alors qu’en revanche, le métavers permettant des interactions sociales, le besoin de droit et de régulation est indiscutable.
1 : Aboudramane Ouattara, « Technologie et preuve : l’apport mitigé du règlement du 19 septembre 2002 relatif aux systèmes de paiement dans les états membres de l’UEMOA », Revue Le Lamy Droit civil, Nº 71, 1er mai 2010.
2 : Eric Ravenscraft, The Metaverse Land Rush Is an Illusion, Wired, 26 décembre 2021
3 : The Metaverse Roadmap, Acceleration Studies Foundation en 2014 ; x3D Specifications, ISO/IEC 19775-1:2004/AMD 1:2007, projet ISO abandonné ; ou encore le Immersive Web Working Group qui vise à permettre à la réalité virtuelle et la réalité augmentée d’être opérationnelles sur le Web au travers des navigateurs usuels.
4 : Anthony Bassetto, “PwC Hong Kong achète une parcelle de terrain dans le Métavers The SandBox », Cryptoast.fr, 27 déc. 2021.
5 : Margot Marin, « Tempête de sable dans le crypto : The Sandbox (SAND) lève 93 millions en série B », Journal du coin, 4 novembre 2021.
6 : CercleFinance.com, « NIKE : Une incursion dans les NFT avec le rachat de RTFKT », 14 décembre 2021.
7 : Guillaume Champeau, “Second Life : un procès pour le droit de propriété virtuel », Numerama, 11 mai 2010.
8 : Le Monde avec AFP, « L’Assemblée nationale veut faciliter le contrôle parental sur Internet », le 19 janvier 2022.
9 : Jonathan Dupriez, « GAFAM : le Parlement européen s’attaque au « Far-West » du numérique », Publicsénat.fr, 20 janvier 2022.
10 : Basile Ader, « Le DSA et le risque de censure privée », Légipresse 2021 p.573, 5 janvier 2022.
11 : Emmanuel Berretta, « Réglementation sur les services numériques : peut mieux faire ! », LePoint.fr, 21 janvier 2022.
12 : Neal Stephenson, « Le Samouraï Virtuel », 1992.
13 : Alexandre Boero, “Disney aussi veut son Métavers avec des personnages en 3D qui suivent les visiteurs », Clubic, 10 janvier 2022.
14 : Pierre-Louis Caron, “On vous explique ce qu’est le Métavers, « l’internet du futur » qui fait rêver la tech », Franceinfo, 16 septembre 2021.
15 : Que l’on songe à la déclaration d’indépendance du cyberespace rédigée par John Perry Barlow le 8 février 1996. Il s’agissait notamment d’une réaction à l’adoption du Telecommunications Act Etats-Uniens de 1996. que l’on songe aussi à l’argument souvent is en avant du développement des cryptomonnaies, qui serait d’échapper aux systèmes bancaires nationaux.
16 : Léopold Picot, « Métavers : derrière les mondes virtuels, des enjeux bien réels », Rfi.fr, 22 Octobre 2021.
17 : Sans doute le mécanisme de la blockchain est-il précisément de créer des inscriptions numériques singulières en raison du système d’inscription irréversible dans la chaine. Par nature, un bloc de la chaine n’est pas fongible. Mais cela n’exclut évidemment pas que les parties décident dans leurs rapports de considérer le bloc comme fongible.
18 : Liaisons sociales quotidien, « Facebook lance des salles de réunion en réalité virtuelle », L’actualité, Nº 18374, Section Acteurs, débats, événements, 30 août 2021.
19 : Dutch Supreme Court, J. 10/00101, Criminal Chamber, January 31, 2012.
20 : Orthodoxie discutable, sans aucun doute, mais les indices de rattachement d’une situation en ligne et le monde réel fonctionnait. V par exemple, Valérie Pironon, Dits et non-dits sur la méthode de la focalisation dans le contentieux – contractuel et délictuel- du commerce électronique, Clunet 2011/4, var. 4.
21 : V. l’intéressante étude d’Eloïse Petit-Prevost-Weygand, L’activité extraterritoriale des services de renseignement numérique : recherche de solutions technico-juridiques de protection des données, Clunet 2021/3, var. 7.
22 : Anne Bucher, « Judge OKs Second Life Virtual Money Class Action Settlement”, Topclassactions.com, 3 novembre 2013.
23 : Amélie Favreau, « Mort numérique. quel sort juridique pour nos informations personnelles ? », Revue Lamy Droit civil, Nº 125, 1er avril 2015.