Le Conseil d’État rappelle que le contribuable qui entend invoquer la protection d’une doctrine administrative favorable doit en avoir fait une application préalable, et refuse la transmission d’une QPC portant sur la contrariété des dispositions de l’article L. 80 A du LPF au principe d’égalité devant l’impôt.
Rappel
Les dispositions de l’article L. 80 A du LPF protègent les contribuables contre les changements par l’Administration d’interprétation des règles fiscales préalablement formellement admises par elle-même.
Dans ce cadre, l’Administration ne peut pas procéder à un rehaussement d’impositions antérieures, si la cause du rehaussement est un différend sur l’interprétation d’un texte fiscal, par le contribuable de bonne foi, et s’il est démontré que l’interprétation sur laquelle il s’est fondé a été, à l’époque, formellement admise par l’Administration (LPF, art. L. 80 A, al. 1).
De plus, lorsque le contribuable a appliqué un texte fiscal sur la base de l’interprétation que l’Administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées, non rapportées à la date des opérations en cause, l’Administration ne peut procéder à aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente (LPF, art. L. 80 A, al. 3 -al. 2 dans sa rédaction alors en vigueur).
En pratique donc, la garantie prévue par l’article L. 80 A du LPF n’a vocation à jouer qu’en faveur d’un contribuable qui conteste son imposition. C’est pour cette raison que le juge de l’impôt considère de longue date, par exemple, qu’un contribuable qui conteste le refus de l’Administration de faire droit à sa demande de remboursement d’un crédit d’impôt recherche ne peut pas revendiquer l’application des dispositions de l’article L. 80 A du LPF (CE, 3 octobre 2012, n°342386, Sté Welcome Real Time).
De façon similaire, il a pu juger que le rejet d’une demande de remboursement d’un crédit de TVA ne constitue pas un rehaussement d’imposition pour l’application de la garantie de l’article L. 80 A du LPF (CE, 7 décembre 2015, n°371403, Sté Holidays Autos UK and Ireland).
En revanche, la situation est différente lorsque le contribuable a appliqué un texte fiscal en conformité avec l’interprétation de la doctrine administrative et que l’Administration remet en cause cette application. Ainsi, le Conseil d’État a récemment jugé de manière claire que « la remise en cause par l’administration fiscale d’un crédit d’impôt qui a été imputé sur l’imposition primitive d’un contribuable constitue un rehaussement au sens et pour l’application des dispositions du 1er et du 2e alinéa de l’article L. 80 A du LPF » (CE, 20 juin 2023, n°462501 – imputation de crédits d’impôt étrangers).
L’histoire
Une société a spontanément acquitté la TVA sur la marge afférente à des opérations de cession de terrains réalisées au cours de l’année 2005.
En novembre 2011, elle s’est finalement ravisée, invoquant le bénéfice d’une doctrine administrative plus favorable, et a demandé à l’Administration, par la voie d’une réclamation, le dégrèvement ainsi que la restitution de la TVA qu’elle estimait avoir acquittée à tort au moment de sa déclaration initiale.
L’Administration a transmis d’office cette réclamation au TA de Lille, lequel l’a rejetée, conforté en cela par les juges d’appel, qui ont considéré que cette réclamation n’avait pas trait à un rehaussement d’impositions antérieures, ni à un rehaussement au sens, respectivement, des alinéas 1 et 2 (actuel 3) de l’article L. 80 A du LPF.
La décision du Conseil d’État
Devant le Conseil d’État, la société sollicitait la transmission d’une QPC portant sur la contrariété des dispositions de l’article L. 80 A al. 2 (actuel al. 3) du LPF au principe d’égalité devant l’impôt, en ce qu’il réserve le bénéfice de l’invocabilité de la doctrine administrative aux contribuables contestant un « rehaussement » (versus lorsqu’est en cause le rejet d’une demande de dégrèvement ou de restitution d’impôt).
Le Conseil d’État refuse de faire droit à cette demande de transmission et juge, de manière claire, qu’en adoptant les dispositions de l’article L. 80 A du LPF, le législateur a entendu, dans un objectif de sécurité juridique, prémunir le contribuable contre les changements de doctrine de l’Administration alors qu’il aurait appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que celle-ci avait alors formellement admise, y compris lorsque cette interprétation ajoute à la loi ou la contredit.
En revanche, il n’a pas entendu, par ces dispositions, permettre à un contribuable qui n’a pas lui-même fait application de la loi fiscale selon l’interprétation qu’en donnait l’Administration par des instructions ou circulaires publiées de se prévaloir de cette interprétation pour demander la réduction d’une imposition établie, sur la base de sa déclaration, conformément à la loi fiscale.
Cette différence de traitement est justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l’objet des dispositions en cause, qui visent uniquement à prémunir les contribuables contre des rehaussements d’imposition résultant d’un changement de doctrine de l’Administration et n’ont pas pour objet, ni ne sauraient avoir pour effet, de conférer à l’Administration un pouvoir normatif en matière fiscale que la Constitution a confié au seul législateur (sur ce dernier point, à rapprocher de CE, avis du 8 mars 2013, n° 353782, Monzani).
Il rejette donc la demande de transmission de QPC.