Dans le cadre du plan d’action « BEPS », les travaux de l’OCDE visant à aménager la définition de l’établissement stable avancent à grands pas. Il s’agit avant tout de moderniser le concept afin de lui permettre d’attraire en son champ des activités qui, du fait de la rédaction actuelle de l’article 7 du modèle OCDE, soit ne remplissent pas parfaitement les critères requis, soit bénéficient du régime dérogatoire réservé à certains activités spécifiques, alors même qu’elles sont essentielles pour l’entreprise.
Deux grandes catégories de nouveautés sont ainsi attendues. La première concerne les contours de la notion d’agent qui serait redessinés afin d’empêcher le recours artificiel à des contrats de commissionnaires (ou contrats similaires). Quant à la seconde, elle vise à restreindre la portée de l’exception dont bénéficient les activités préparatoires et auxiliaires.
Un premier draft pour commentaires du public avait été publié par l’OCDE le 31 octobre et la réunion de consultation publique s’est tenue le 21 janvier 2015. Puis prenant en comptes les discussions et les échanges auxquels elles ont donné lieu, un second document de travail a été publié le 15 mai dernier. Il expose les options contenues dans le premier draft qui ont été finalement proposées (ces options ne représentent pas- encore – à ce stade un consensus au sein des pays membres de l’OCDE et du G20). Si le public était appelé à commenter ces propositions (jusqu’au 12 juin), il ne donnera pas lieu à une seconde réunion de consultation publique mais les commentaires nouveaux viendront alimentée la dernière réunion du Groupe de Travail idoine se tiendra la semaine du 22 juin. Le rapport final devrait être publié en septembre 2015 et en tous cas avant la fin de l’année 2016, date limite de négociation des instruments multilatéraux qui mettront en application les résultats des travaux sur l’article 7.
Sur les aménagements en vue de lutter contre le recours artificiel aux contrats de commissionnaires (articles 5-5 et 5-6 du modèle OCDE):
Le groupe de travail retient comme principe général qu’un établissement stable est caractérisé dans un pays lorsqu’une entreprise étrangère qui y réalise des ventes y dispose d’un intermédiaire qui y conclut habituellement des contrats, à moins qu’il n’agisse de façon indépendante dans le cours ordinaire de son activité.
Pour ce faire, 4 options alternatives étaient proposées dans le premier projet. Parmi elles, celle qui a retenu la préférence des membres du groupe de travail consiste en la modification du paragraphe 5 de l’Article 5 du modèle OCDE afin que le critère selon lequel l’agent qui agissant pour le compte d’une entreprise de l’autre Etat contractant « conclut habituellement des contrats » soit complété pour être entendu comme «conclut habituellement des contrats ou négocie les principaux éléments des contrats ». Au nombre des contrats visés, figureraient non seulement ceux conclus au nom de l’entité étrangère, mais aussi les contrats visant le transfert de propriété, ou l’attribution de droits d’utilisation, ou la fourniture de services par l’entité étrangère lorsque l’intermédiaire conclut habituellement les contrats ou en négocie les principaux éléments.
En outre, le paragraphe 6 visant à exclure de la qualification d’établissement stable les agents indépendants serait également modifié afin d’en restreindre la portée. Lorsqu’un agent agit exclusivement ou presque exclusivement pour le compte d’une entreprise ou d’entreprises auxquelles il est connecté, ce-dernier ne pourrait être en principe regardé comme étant indépendant. Pour l’application de ce paragraphe, deux personnes seraient considérées comme connectées lorsque l’une possède au moins 50% du capital ou des droits de vote de l’autre ou si les deux personnes sont placées sous le contrôle d’une personne qui possède au moins 50% de leur capital ou droits de vote. Deux personnes seraient également considérées comme connectées si l’une contrôle en fait l’autre ou si les deux personnes sont contrôlées en fait par une autre personne.
Les commentaires des dispositions modifiées devraient apporter des précisions et des exemples illustrant les modifications de la rédaction de l’article (notamment concernant l’expression « Négocie les principaux éléments des contrats »…). Ainsi, « négocier les principaux éléments des contrats » serait illustré par les circonstances suivantes : une personne agit en tant que force de vente pour une entité étrangère ou lorsque la négociation des principaux éléments des contrats se limite à convaincre le titulaire du compte d’accepter des conditions standard.
S’agissant des changements proposés au statut d’agent indépendant, on trouverait dans les commentaires la précision bienvenue que ne donnent pas lieu à la caractérisation automatique d’un ES, les activités d’agents qui ne sont pas liés à l’entreprise étrangère pour laquelle ils agissent exclusivement (par exemple, dans le cas des entreprises nouvelles). Il serait également clarifié que le concept nouveau d’ « entreprises connectées » devra être distingué du concept d’ « entreprises associées » utilisées dans le cadre de l’article 9 de la convention modèle.
De plus, la communauté des affaires accueillera favorablement la remarque qui serait faite selon laquelle l’élargissement du concept d’agent dépendant aux fins de la reconnaissance d’un ES n’inclura pas les distributeurs, et ce, même lorsque les risques qu’ils assument sont faibles (« low risk distributors »), peu importe la période durant laquelle le distributeur détient le titre du produit vendu. Si cette précision est bienvenue, on peut en revanche regretter qu’elle ne trouve sa place que dans les commentaires (et non dans l’article lui-même) dont la valeur ne sera alors qu’interprétative. Toutefois, les questions liées aux accords avec des distributeurs dits « à faibles risques » seront abordées dans le cadre des travaux sur les prix de transfert, des risques et du capital de l’action 9 du plan BEPS (action 9).
Dans le passé, la notion d’agent dépendant a donné lieu à une jurisprudence fournie des Etats s’agissant tant de la notion du « pouvoir d’engager l’entreprise étrangère » que de celle d’indépendance. En France, on se souvient de l’encre qu’on fait couler certaines décisions. Si l’objectif des aménagements est bien compris et accepté afin d’assurer aux Etats leur « fair share of profit » en lien avec la substance des activités qui sont réalisées sur leur territoire, et que la modernisation du concept est nécessaire pour s’adapter aux évolutions de l’économie mondiale, il n’en reste pas moins que l’on peut craindre que ces nouvelles définitions ne conduisent, en tout cas dans un premier temps, à des incertitudes pour les opérateurs, en particulier ceux qui ne sont pas au cœur des stratégies fiscales visées par le projet BEPS, à des divergences entre Etats, et de nouvelles sources de contentieux et sans garantie d’élimination des double-impositions. En particulier, le recours aux commentaires interprétatifs pour apporter des précisions utiles ou des illustrations peut ne pas sembler parfaitement aller de pair avec le besoin de stabilité juridique dont les entreprises ont besoin.
Sur les exceptions relatives aux activités auxiliaires et préparatoires
Autre champ de modernisation de l’article 5, la liste d’exceptions spécifiques à la notion d’établissement stage énumérée par le paragraphe 4 de l’article 5 avait fait l’objet dans le premier draft de 4 propositions de modifications. Cette liste d’exceptions inclut notamment les activités de stockage, d’exposition, de livraison de marchandises, d’entreposage, d’achat de marchandises ou de collecte d’information. Le second document de travail propose de retenir l’approche consistant à insérer une condition supplémentaire à l’application de ces exceptions. Ainsi, celles-ci ne pourraient bénéficier qu’aux activités énumérées qui auraient « un caractère préparatoire ou auxiliaire » par rapport à l’ensemble des activités de l’entreprise. Les commentaires apporteraient des précisions et illustrations pour éclairer la portée de ces modifications dont l’objectif est de tenir compte des pratiques d’affaires actuelles où ces activités peuvent représenter un élément clé dans la chaîne de valeur d’une entreprise (par exemple, ce peut être le cas en présence de chaînes d’approvisionnement incluant des ventes numériques).
Pour le groupe de travail, une activité ayant un caractère préparatoire est exercée en prévision de la réalisation de ce qui constitue l’élément essentiel et important de l’activité d’ensemble de l’entreprise et une activité ayant un caractère auxiliaire correspond généralement à une activité exercée pour soutenir, mais sans en faire partie, l’élément essentiel et important de l’activité d’ensemble de l’entreprise. Parmi les commentaires proposés, on relèvera que l’entreposage et la livraison de marchandises pour des ventes en ligne ne sont pas considérés comme ayant un caractère préparatoire ou auxiliaire si ces activités constituent un élément essentiel des ventes ou de la distribution de l’entreprise en question.
Enfin, une clause anti-abus spéciale serait également à compter au nombre des modifications. Ainsi, lorsque des activités dans un pays sont « fragmentées » entre des sociétés d’un même groupe afin de bénéficier des exemptions au titre des activités préparatoires ou auxiliaires, le document de travail propose (dans le nouveau paragraphe 4.1 de l’article 5 du Modèle de Convention fiscale et dans les nouveaux commentaires) la reconnaissance d’un ES. L’application des exemptions relatives à des activités particulières serait ainsi écartée lorsque l’activité générale qui découle de la combinaison des activités exercées par la même entreprise ou une entreprise rattachée sur le territoire d’un Etat contractant n’a pas un caractère préparatoire ou auxiliaire à condition que les activités constituent des fonctions complémentaires qui font partie d’une entreprise homogène.
Le cas particulier du fractionnement des contrats de construction et de montage
Les travaux de l’OCDE ont fait apparaitre que certaines entreprises fragmenteraient leurs contrats de construction et de montage afin que chacun soit d’une durée inférieure à 12 mois et bénéficieraient de l’exception à la qualification d’ES prévue à l’article 5-3. Pour lutter contre ces pratiques avait dans un premier temps été envisagée la modification du paragraphe 3 de l’article 5. Ce ne sera finalement pas le cas. La voie choisie serait d’inclure un exemple en vue d’illustrer, dans ce contexte, l’application du critère de l’objectif principal c’est-à-dire de la clause anti-abus générale dite du principal purpose test qui vise à empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales (action 6 du Plan d’action BEPS);
Par ailleurs, le document de travail propose également d’insérer des précisions afin d’inclure les activités exercées par des entreprises « connectées » dans le calcul de la période de 12 mois. Lorsque des conventions n’incluent pas le critère de l’objectif principal, cette clause serait intégrée pour ajouter les activités liées (d’une durée supérieure à 30 jours) menées par des entreprises rattachées à la période passée sur le chantier aux fins de la détermination de la période de 12 mois.
L’absence de règles particulières pour les sociétés d’assurance
Contrairement à ce que les entreprises du secteur avaient pu craindre lors de la parution du document de travail initial, l’activité d’assurance ne devrait finalement pas être soumise à des règles particulières en matière d’établissement stable. Les coûts de conformité et de reporting pour le secteur n’ont plus à être anticipés.
En conclusion, on retiendra tout particulièrement que l’OCDE a reconnu qu’il était nécessaire que des travaux complémentaires aient lieu s’agissant de l’attribution des profits aux établissements stables, en particulier dans le secteur non financier, et dans un calendrier très serré. Ces travaux débuteront dès septembre 2015 (les travaux BEPS sur les prix de transfert et notamment ceux relatifs aux incorporels, aux risques et au capital, seront alors finalisés) de sorte à pouvoir être publiés pour décembre 2016. Ils devraient permettre d’apprécier le profit imposable, qui pourrait être faible selon certains commentateurs, qui résultera de certaines de ces nouvelles formes d’ES pour leurs Etats d’implantation, ainsi que les procédures à mettre en place en conséquence pour les entreprises concernées et les obligations déclaratives à satisfaire conformément à ces principe