Cet article est paru initialement sur le « Blog des fiscalistes » de l’EFE
L’OCDE avait annoncé sa volonté, au travers de son ambitieux projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), de « taxer les profits là où ils sont réalisés ». Pour les groupes, cela se traduit notamment par un renforcement des obligations de communication sur leur situation fiscale, notamment via l’accroissement de la charge documentaire en matière de prix de transfert, ou par le lancement du country-by-country reporting.
S’il est encore trop tôt pour voir les effets de ces nouvelles obligations sur les contrôles fiscaux, les administrations fiscales ont déjà anticipé et intégré dans leur réflexion les raisonnements issus de BEPS. Cela se traduit par trois impacts principaux :
En amont, une meilleure sélection des entreprises à contrôler, notamment via l’accroissement des informations à disposition des administrations fiscales « depuis le bureau », sans même avoir à interroger les entreprises. Pour la France, c’est par exemple aujourd’hui le croisement des informations de la liasse fiscale avec le contenu du formulaire 2257 sur les prix de transfert qui permettent une meilleure identification des éventuelles zones de risques liées aux prix de transfert. Prochainement, ces informations pourront également être rapprochées de la déclaration par pays qui, par elle-même, constituera une source utile de programmation des sociétés à vérifier et des transactions intragroupes à examiner.
Une quantité d’informations accrue à la disposition des vérificateurs, avec notamment le déploiement par certains pays du standard SAF-T (Standard Audit File for Tax) de l’OCDE, notamment appliqué par la Pologne, le Portugal ou l’Autriche, et donnant à l’administration fiscale un accès dématérialisé à l’ensemble des informations comptables de la société, permettant de faire ou de valider des calculs de marge par produits. En France, avec le Fichier des Ecritures Comptables, c’est une version allégée de SAF-T qui a été mise en œuvre. Dans le même esprit, les échanges d’information entre administrations fiscales, automatiques ou non, se sont fortement développés. La qualité des informations recueillies et la qualité de ces dernières s’étant nettement améliorées, les administrations n’hésitent plus à y recourir et perçoivent désormais l’avantage qu’elles peuvent en tirer. Dès lors, la stratégie consistant à limiter la vision du vérificateur à ce qui se passe au sein de frontières nationales ne fonctionne plus.
Une suspicion de transfert de bénéfices plus forte en matière de prix de transfert, se traduisant par des investigations plus poussées dès lors que certains schémas sont utilisés (e.g. commissionnaire ou Central Entrepreneur), ou que certains pays fiscalement attractifs (e.g. Suisse, Irlande, Pays-Bas) sont interposés dans la chaîne de transactions intragroupe. Ainsi, des contrôles fiscaux récents portant sur des sociétés ayant par le passé vécu sans dommage plusieurs contrôles fiscaux, sont aujourd’hui beaucoup plus poussés, reflétant à la fois la suspicion des administrations fiscales en matière de prix de transfert et les ressources plus importantes dédiées à ce sujet par ces dernières. Pour les administrations fiscales, c’est notamment une remise en cause de plus en plus forte de l’approche unilatérale (ou one-sided), qui consiste à considérer qu’une des parties à la transaction a un profil fonctionnel simple, et donc une rémunération de routine, tandis que l’autre partie, plus élaborée d’un point de vue fonctionnel, doit conserver l’intégralité des bénéfices (ou pertes) résiduels. Les administrations fiscales ne se limitent plus à l’examen de la seule entité vérifiée mais cherchent également à appréhender la situation des autres entités du groupe auquel elle appartient, cherchant ainsi à comprendre beaucoup plus finement les mécanismes de création de valeur, pour, le cas échéant, faire des propositions de rectification sur la base de profit splits. Les questions sur le niveau et la répartition des synergies intragroupe sont donc de plus en plus fréquentes.
Enfin, on peut noter une volonté forte des administrations fiscales de casser la dysmétrie entre un groupe ayant une vision globale de sa structure de marge et de ses transactions, et des administrations fiscales tenues par leurs frontières géographiques. Deux exemples illustrent cette situation.
Le premier est le regain d’intérêt de certains Etats membres pour des actions de contrôles coordonnées et le lancement au sein de l’Union européenne des premiers contrôles fiscaux transnationaux, via un contrôle fiscal conjoint de différentes entités d’un groupe, par des vérificateurs de plusieurs pays fonctionnant en équipe.
Le second est une initiative de l’OCDE et de l’ONU, permettant aux administrations fiscales des pays en voie de développement de se renforcer par l’adjonction d’experts internationaux en prix de transfert intervenant dans un ou plusieurs dossiers. Ce programme, baptisé « Inspecteurs des Impôts sans frontière » et lancé en juillet 2015, a déjà permis de récolter plus de 260 millions de dollars d’impôts additionnels, sur huit projets pilotes.
Ces tendances vont continuer à se renforcer, avec notamment les premiers dépôts de country-by-country reportings prévus pour la fin de l’année 2017, qui vont nourrir les administrations fiscales, dès le début de l’année 2018 avec les premiers échanges de ces rapports entre administrations, avec une vision globale de la cartographie fiscale des groupes. Ainsi, le renforcement de l’action des administrations fiscales en matière de prix de transfert ne semble pas prêt de s’arrêter, nécessitant pour les groupes de développer une vision transparente et globale de leurs prix de transfert, montrant la justesse économique de la répartition des profits (ou des pertes).