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Procédure de taxation d’office des avoirs étrangers : conformité au droit de l’UE

La Cour de cassation vient de juger conformes à la liberté de circulation des capitaux les modalités de mise en œuvre de la procédure de demande de justification prévue à l’article L. 23 C du LPF et de taxation d’office, le cas échéant, des avoirs détenus dans des comptes étrangers non déclarés.

Eléments de contexte

Les personnes physiques, les associations, les sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, sont tenues de communiquer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes bancaires ouverts, détenus, utilisés ou clos à l’étranger (CGI, art. 1649 A, al. 2).

Le défaut de déclaration est notamment sanctionné par l’application d’une amende forfaitaire d’un montant de 1.500 € (pouvant être porté à 10.000 € lorsque le compte est situé dans un Etat n’ayant pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’accès aux renseignements bancaires). Surtout, les sommes, titres ou valeurs transférés à l’étranger ou en provenance de l’étranger par l’intermédiaire d’un compte bancaire non déclaré, constituent, sauf preuve contraire, des revenus imposables.

De plus, l’Administration peut demander aux personnes physiques n’ayant pas satisfait – au moins une fois au titre des 10 années précédentes – à cette obligation déclarative, des informations ou justifications sur l’origine et les modalités d’acquisition des avoirs placés sur les comptes dissimulés (LPF, art. L. 23 C).

A défaut de réponse dans un délai de 60 jours (90 jours en cas de réponse insatisfaisante), les avoirs figurant sur le compte étranger sont réputés constituer, sauf preuve contraire, un patrimoine acquis à titre gratuit soumis à l’imposition au taux de 60 % (LPF, art. L. 71, CGI, art. 755 et 777).

Par ailleurs, les dispositions de l’article L. 181-0 A du LPF prévoient que le droit de reprise de l’Administration peut s’exercer jusqu’au 31 décembre de la 10e année suivant le fait générateur lorsque l’exigibilité des impôts ou droits relatifs à des avoirs détenus à l’étranger n’a pas été suffisamment révélée dans le document enregistré ou présenté à la formalité.

La Cour de cassation a précisé que le fait générateur de l’imposition correspond à la date d’expiration des délais prévus à l’article L. 23 C du LPF, et constitue le point de départ de la prescription décennale (Cass. com., 16 décembre 2020, n°18-16.801).

Le 24 février 2024, le Tribunal Judiciaire de Nanterre a transmis une question préjudicielle à la CJUE, portant sur la conformité de la procédure de taxation d’office des avoirs détenus dans des comptes étrangers non déclarés à la liberté de circulation des capitaux garantie par l’article 63 du TFUE.

Le Tribunal soulignait, à cet égard, que le législateur a institué un délai de prescription prolongé d’une durée de 10 ans, dérogatoire au droit commun, qui, s’il ne paraît pas, de par sa durée, aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés, permet cependant à l’Administration, en ce qu’il a pour point de départ la date d’expiration des délais prévus à l’article L. 23 C du LPF, autrement dit un point de départ décorrélé de la date d’acquisition des avoirs détenus à l’étranger et des années au titre desquelles l’imposition de ces sommes étaient normalement dues, de demander au contribuable de justifier de l’origine et des modalités d’acquisition desdits avoirs, y compris lorsqu’ils sont entrés dans son patrimoine plus de 10 ans avant la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article L. 23 C du LPF, soit au cours d’une période prescrite et sans limitation de temps.

La CJUE a toutefois conclu à l’irrecevabilité de la question préjudicielle pour des raisons formelles, sans se prononcer sur le fond (Ordonnance du 20 mars 2025, aff. C-141/24).

La question de la conformité à la liberté de circulation des capitaux de l’« imprescriptibilité » de la procédure prévue à l’article L. 23 C du LPF vient d’être soulevée, une nouvelle fois, devant la Cour de cassation.

La décision de la Cour de cassation

La Cour relève d’abord que la procédure de taxation d’office des avoirs détenus à l’étranger est constitutive d’une différence de traitement, de nature à dissuader, à empêcher ou à limiter les possibilités pour les résidents fiscaux français d’investir dans d’autres Etats membres ou pays tiers – et donc d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux.

Elle juge cependant que cette restriction est justifiée par l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales (dans le même sens, voir la décision n°2021-939 QPC du 15 octobre 2021 du Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité du dispositif – et CJUE, 11 juin 2009, X et Passenheim-van Shoot, C-155/08 et C-157/08, points 45 et 46, reconnaissant que l’objectif de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales constitue une raison impérieuse d’intérêt général, susceptible de justifier l’institution d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux).

Si la Cour de cassation prend le soin de rappeler qu’une législation nationale ne saurait instituer des mécanismes « revenant, en pratique, à prolonger indéfiniment la période pendant laquelle l’imposition peut avoir lieu ou permettant de revenir sur une prescription déjà acquise » (en ce sens, CJUE, 27 janvier 2022, Commission c/Espagne, aff. C-788, point 38), elle juge toutefois que tel n’est pas le cas de la législation française attaquée.

Elle souligne, à cet égard que :

La Cour de cassation en conclut que le dispositif de taxation d’office des avoirs détenus sur un compte non déclaré l’étranger, qui poursuit un but légitime, repose sur un régime de prescription qui n’est pas, en tant qu’il fixe le point de départ du délai de prescription à l’expiration des délais prévus à l’article L. 23 C, disproportionné au regard de ce but.

On notera qu’elle ne s’est pas saisie de l’occasion pour adresser une nouvelle question préjudicielle à la CJUE.

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