L’Autorité des Marchés Financiers (AMF), par sa position DOC-2025-02 adoptée le 7 avril 2025, a déclaré intégrer les orientations (EBA/GL/2024/15) de l’Autorité Bancaire Européenne (ABE ou EBA en anglais) adoptées le 14 novembre 2024, au titre du règlement (UE) 2023/1113 du 31 mai 2023 sur les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains crypto-actifs, dit « TFR 2 » (pour Transfer of Funds Regulation)1.
Ces orientations (EBA/GL/2024/15) visent à préciser les exigences applicables aux politiques, procédures et contrôles internes que sont tenus de mettre en place les Prestataires de Services sur Crypto-Actifs (PSCA) (et les Prestataires de Services sur Actifs Numériques (PSAN) bénéficiant de la période transitoire) afin de garantir la mise en œuvre effective des mesures restrictives décidées par l’Union européenne (UE) et par les États membres, lors de transferts de crypto-actifs2, tels que définis par le règlement « TFR 2 ».
Ces orientations, qui s’appliquent à partir du 30 décembre 2025, complètent sur ces aspects un socle réglementaire déjà substantiel, les PSCA étant d’ores et déjà soumis à un ensemble d’obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), de gel des avoirs et d’interdiction de mise à disposition ou d’utilisation des fonds ou ressources économiques.
Des attentes qui se précisent d’année en année
Des premières obligations réglementaires aux dernières exigences européennes sur les mesures restrictives, la réglementation en matière de LCB-FT et de gel des avoirs applicable aux PSCA s’est fortement renforcée ces dernières années :
En vertu du 2° de l’article L. 562-4 du Code monétaire et financier (CMF), les PSCA sont assujettis au régime de gel des avoirs. Il en résulte qu’ils doivent appliquer les mesures nationales et européennes de gel des avoirs et les interdictions de mise à disposition ou d’utilisation des actifs numériques et de la monnaie ayant cours légal qu’ils conservent, achètent ou vendent contre de la monnaie ayant cours légal ; échangent contre d’autres actifs numériques ; reçoivent, transfèrent ou gèrent sous mandat de tels actifs.
Plus largement, conformément aux articles L. 54-10-3 et L. 54-10-5 du CMF, les candidats à l’agrément en tant que PSCA doivent mettre en place une organisation, des procédures et un dispositif de contrôle interne adaptés et propres à assurer le respect des dispositions relatives à la LCB-FT ainsi qu’au gel des avoirs. À cet égard, l’instruction DOC-2025-05 de l’AMF, nouvellement publiée le 17 juin 2025, relative aux informations réputées complètes pour l’évaluation de la demande d’agrément comme PSCA indique, en particulier, que le candidat doit notamment fournir une description de son dispositif de gel des avoirs et d’interdiction de mise à disposition ou d’utilisation des fonds ou ressources économiques et préciser les modalités d’information du ministre chargé de l’économie prévue à l’article L. 562-4 du CMF.
Ces politiques, procédures et contrôles doivent permettre aux PSCA d’identifier les personnes physiques ou morales faisant l’objet de mesures restrictives. Ils doivent également permettre aux PSCA de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer qu’ils ne mettent pas de crypto-actifs à la disposition de ces personnes, entités ou organismes ; qu’ils n’effectuent pas de transactions financières ou ne fournissent pas de services interdits par des mesures restrictives ; et qu’ils gèrent les risques de contournement des mesures restrictives.
Rappel terminologique | |
Mesures restrictives | Mesures restrictives de l’UE au sens de l’article 2, paragraphe 1), de la directive (UE) 2024/1226 et les mesures restrictives nationales adoptées par les États membres conformément à leur ordre juridique national (dans la mesure où elles s’appliquent aux établissements financiers) |
Sanctions financières ciblées | À la fois le gel des avoirs et l’interdiction de mettre des fonds ou d’autres avoirs à la disposition, directement ou indirectement, de personnes et d’entités désignées en vertu de décisions du Conseil adoptées sur la base de l’article 29 TUE et de règlements du Conseil adoptés sur la base de l’article 215 TFUE |
Mesures restrictives sectorielles | Mesures restrictives telles que les embargos sur les armes et les équipements connexes ou les mesures économiques et financières (par exemple, restrictions à l’importation et à l’exportation, et restrictions à la fourniture de certains services, tels que les services bancaires) |
Quelles sont les précisions apportées par les orientations (EBA/GL/2024/15) de l’EBA ?
Obligation de mise en place d’un système de filtrage
Pour assurer le respect effectif des mesures restrictives, les PSCA seront tenus de mettre en place un système de filtrage efficace pour identifier de manière fiable les cibles des mesures restrictives.
Pour être efficace, ce dispositif repose sur :
- le choix d’un système de filtrage adapté à leur taille, leur activité et leur exposition aux mesures restrictives ;
- la définition de la liste des mesures restrictives applicables : les PSCA devront définir et mettre en place un dispositif permettant d’identifier sans délai l’adoption, la modification ou la levée des mesures, afin de garantir une mise à jour immédiate des données à filtrer ;
- la définition de l’ensemble des données à filtrer : les PSCA devront déterminer, dans leurs politiques et procédures internes, les types de données à filtrer selon chaque type de mesure restrictive applicable, en s’appuyant sur leurs évaluations d’exposition et les données clients disponibles ;
- le filtrage de la clientèle qui devra être déterminé en fonction du niveau de risque et être actualisé à chaque événement déclencheur significatif, tels que : l’entrée en relation avec un client, un changement dans les listes de sanctions, une modification des données clients (nom, résidence, nationalité, activité), ou tout soupçon de tentative de contournement ;
- le filtrage des transferts de crypto-actifs qui devra s’effectuer avant exécution, en vérifiant toutes les parties impliquées, les motifs du transfert, les données d’identification (BIC, SWIFT, adresses de portefeuilles) ; et
- le calibrage des paramètres du système de filtrage afin de maximiser la qualité des alertes et de parvenir à une identification sans équivoque, tout en garantissant le respect des mesures restrictives.
Obligation de mise en place des mesures de vigilance et de vérification requises pour l’analyse des alertes
Les PSCA devront mettre en place des mesures de vigilance et de vérification, reposant sur :
- l’analyse des alertes liées aux mesures restrictives : les PSCA devront mettre en place des politiques et des procédures permettant l’analyse sans délai et documentée des alertes pour confirmer une correspondance positive (ou true match en anglais), qui désigne une situation où une alerte générée par un système de filtrage (par exemple, un nom apparaissant sur une liste de sanctions ou de mesures restrictives) correspond effectivement à une personne, une entité ou une opération visée par ces mesures. En cas de doute quant à la véracité d’une correspondance, les PSCA devront avoir recours à des informations supplémentaires non utilisées au stade du filtrage. À l’issue de cette analyse complémentaire et en cas de doute persistant, aucun service ne devra être fourni ;
- l’évaluation de la détention ou du contrôle exercé par une personne désignée : les PSCA devront définir dans leurs procédures comment évaluer si une entité est détenue ou contrôlée par une personne ou une entité désignée ;
- la conformité aux mesures restrictives sectorielles: les PSCA devront accorder une attention particulière aux mesures restrictives sectorielles qui sont liées à une juridiction ou à un territoire spécifiques. Dans le cadre de ces mesures restrictives, les PSCA devront examiner toutes les informations sous-jacentes relatives au transfert de crypto-actifs à destination ou en provenance de cette juridiction ou de ce territoire spécifiques ou aux transferts de crypto-actifs initiés par des clients connus pour exercer des activités dans cette juridiction ou ce territoire spécifiques ; et
- la détection des tentatives de contournement des mesures restrictives : les PSCA devront rester informés des typologies et des tendances en matière de contournement des mesures restrictives. Ils devront mettre en place des politiques et procédures de vigilance leur permettant de détecter les éventuelles tentatives de contournement des mesures restrictives (ex. altération des messages de paiement, dissimulation des parties impliquées, usage de documents frauduleux).
Obligation de mise en place des mesures de gel et de notification
Les PSCA devront être en mesure de :
- geler les transferts de crypto-actifs: en cas de correspondance confirmée, les PSCA devront mettre en place des politiques et des procédures afin de geler et de bloquer immédiatement les fonds sur un compte d’attente jusqu’à réception des instructions de l’autorité nationale compétente (en France, la Direction générale du Trésor) ;
- informer l’autorité nationale compétente : les PSCA devront disposer de processus clairs pour informer sans délai, ou dans un délai déterminé, l’autorité nationale compétente de toute mesure prise, violation détectée ou défaillance du filtrage.
Aussi, les PSCA devront disposer de politiques et de procédures pour déterminer si des exemptions, des régimes d’autorisation ou des dérogations s’appliquent et, le cas échéant, comment procéder. À ce titre, les PSCA devront informer leurs clients sur les droits et démarches à suivre en cas de demande de dérogation pour débloquer des fonds gelés.
L’avis des experts
Les orientations de l’EBA (EBA/GL/2024/15), intégrées par l’AMF, ne laissent que peu de place sur l’interprétation du niveau d’attente du régulateur en matière de gel des avoirs pour les PSCA. Les conséquences graves qui peuvent en découler pour les acteurs concernés ne font que renforcer les enjeux liés à la pleine appréhension et prise en compte des précisions apportées par ces orientations, en vue d’ajuster à court terme leurs dispositifs en matière de gel des avoirs.
En cas de besoin spécifique, n’hésitez pas à consulter notre offre d’accompagnement : Lutte contre le blanchiment (LCB-FT)
1 Les apports principaux du règlement « TFR 2 » sont d’étendre aux crypto-actifs les obligations initialement prévues par le règlement (UE) 2015/847 du 20 mai 2015, dit « TFR 1 » et de modifier la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme pour assujettir les aux règles européennes.
2 Toute transaction visant à déplacer des crypto-actifs d’une adresse de registre distribué, d’un compte de crypto-actifs ou d’un autre dispositif permettant le stockage de crypto-actifs vers une ou un autre, exécutée par au moins un prestataire de services sur crypto-actifs agissant pour le compte d’un initiateur ou d’un bénéficiaire de crypto-actifs, que l’initiateur et le bénéficiaire de crypto-actifs, et que le prestataire de services sur crypto-actifs de l’initiateur et celui du bénéficiaire de crypto-actifs, soient ou non la même personne.