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Qualité de résident fiscal et conditions d’opposabilité de la doctrine administrative

Le Conseil d’Etat rappelle les conditions générales d’invocabilité de la garantie contre les changements de doctrine, dans le cadre spécifique de l’ancienne doctrine administrative applicable aux personnes imposables forfaitairement en Suisse.

Contexte

Par application de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 (article 4 § 6 b), les personnes qui ne sont imposables que sur une base forfaitaire déterminée d’après la valeur locative de la ou des résidences qu’elles possèdent ne sont pas regardées comme des « résidents ».

Jusqu’en 2012, la doctrine administrative française reconnaissait cependant la qualité de résident suisse aux personnes imposables forfaitairement en Suisse (ancienne D. adm. 14 B-2211, 10 décembre 1972) :

Toutefois, cette doctrine n’ayant pas été reprise au BOFiP, elle doit être considérée comme ayant été rapportée à compter du 12 septembre 2012 ; l’Administration a cependant admis que la tolérance ait continué à s’appliquer jusqu’aux revenus de l’année 2012 incluse (BOI-INT-CVB-CHE-10-10 n°70).

L’histoire

Un contribuable a cédé les titres qu’il détenait dans une société française le 15 novembre 2005. Estimant avoir transféré son domicile fiscal en Suisse depuis le 1er juin 2005, il n’a pas déclaré en France la plus-value réalisée à cette occasion.

A l’issue d’un ESFP, l’Administration a considéré que ce contribuable avait encore la qualité de résident fiscal français à la date de la cession litigieuse, alors même qu’il avait conclu en mars 2006 avec les autorités fiscales suisses, une convention de forfait au titre de laquelle il était imposé en Suisse sur la base d’une dépense annuelle pour les années fiscales 2005 à 2009.

Elle l’a, en conséquence, assujetti à des cotisations supplémentaires d’IR et de contributions sociales.

Le contribuable avait alors tenté de s’opposer à cette imposition sur le fondement de l’ancienne doctrine administrative.

Le contentieux s’était, dans un 1er temps, noué autour du point de savoir si l’Administration pouvait exiger, pour l’octroi du bénéfice de cette doctrine, la production, par le contribuable, du formulaire d’attestation de résidence dans les formes prévues par l’article 31§2 de la convention fiscale franco-suisse, avant que le Conseil d’Etat ne réponde, dans le cadre d’une 1re cassation, par la négative (CE, 19 avril 2021, n°439606).

Les débats se sont ensuite déplacés sur le terrain des conditions d’opposabilité de la doctrine administrative elle-même.

La décision du Conseil d’Etat

Après avoir établi que le contribuable devait être regardé comme un résident fiscal de France, tant au regard du droit interne, que de la convention fiscale franco-suisse, le Conseil d’Etat, statuant en 2e cassation, juge qu’il ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de la garantie contre les changements de doctrine prévue par les dispositions de l’article L. 80 A du LPF.

Rappelons que les dispositions de l’article L. 80 A du LPF protègent les contribuables des changements d’interprétation des règles fiscales formellement admises par l’Administration. Elles leur permettent, d’une part, de s’opposer au rehaussement d’une imposition conforme à l’interprétation formellement admise par l’Administration en vigueur à la date de mise en recouvrement (1er alinéa) et, d’autre part, à l’établissement d’une imposition primitive ou rectificative, contraire à l’interprétation publiée par l’Administration et appliquée par le contribuable (3alinéa).

Conformément à ces dispositions, pour pouvoir utilement contester une imposition primitive ou rectificative en invoquant la doctrine administrative, le contribuable doit avoir appliqué l’interprétation de l’administration fiscale (pour une application récente, voir CE, 9 septembre 2020, n°434364, Sté Damolin Etrechy).

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat relève que le contribuable ne remplissait pas ces conditions :

On notera que si l’ancienne doctrine administrative a été rapportée à compter de l’imposition des revenus 2013, et que, sur ce point précis, la portée pratique de la décision reste cantonnée aux contentieux en cours, elle demeure néanmoins pertinente s’agissant des conditions générales d’invocabilité de la garantie contre les changements de doctrine.