Le développement rapide de nouveaux outils de captation et de nouvelles modalités d’exploitation de la vidéosurveillance / vidéoprotection soulève des enjeux importants pour les droits et les libertés des citoyens et pose la question de leur régulation.
Cet article fait ainsi partie d’une série de quatre articles visant à appréhender en détail les enjeux posés par les systèmes de vidéo « intelligents » et la reconnaissance faciale, et leur régulation :
- JO 2024 : premières expérimentations de vidéoprotection algorithmique autorisées
- Reconnaissance faciale : les enjeux et les risques d’une technologie en pleine accélération
- Reconnaissance faciale : quel cadre juridique appliquer ?
La reconnaissance faciale n’est pas une technologie qui est née avec la surveillance : elle est déjà présente dans des applications que les utilisateurs ne remettent pas sensiblement en question, notamment l’accès sécurisé aux smartphones. Cet usage en particulier apparait moins délicat en raison de la possibilité d’informer spécifiquement l’utilisateur sur l’usage fait de ses données et de son caractère optionnel, son activation étant soumise au consentement exprès de l’utilisateur. Un tel usage serait même perçu comme pratique : il améliorerait l’expérience utilisateur, facilitant un accès simplifié et rapide au téléphone tout en renforçant la sécurité par l’usage d’une donnée biométrique. On soulignera, toutefois, que même dans ce cas, des exigences de sécurité élevées s’avèrent indispensables.
Ainsi, dès lors qu’il s’agit d’utiliser la reconnaissance faciale au service de la sécurité nationale et de la surveillance, la question des risques relatifs à nos droits et à nos libertés fondamentales doit se poser. Autrement dit, des risques liés à ces usages vont apparaitre car il s’agit alors d’une utilisation de ces technologies dans l’espace public (différent ainsi d’un usage individuel à des fins personnelles), qui peut ne pas requérir le consentement des citoyens, qui est mise en œuvre généralement sans informer les personnes en faisant l’objet et donc sans leur consentement.
Afin de comprendre l’objet des débats sur la reconnaissance faciale et d’éviter tout amalgame entre des cas d’usage de cette technologie qui ne soulèvent pas les mêmes difficultés, ou avec des technologies voisines de nature différente, il est impératif de clarifier les termes utilisés.
Les systèmes de vidéo « intelligente »
La reconnaissance faciale est une technique parmi d’autres de traitement d’images vidéo. Les simples caméras de vidéoprotection ou vidéosurveillance qui enregistrent des images ne constituent ainsi pas des systèmes de reconnaissance faciale. En effet, elles ne font pas l’objet d’un traitement spécifique visant à en extraire des données biométriques.
De la même manière, la seule détection de visages par des caméras dites « intelligentes » ne constitue pas un dispositif de reconnaissance faciale. Par exemple, certaines caméras de surveillance utilisent des techniques informatiques de détection de comportement anormaux qui déclenchent une alerte par exemple en cas de détection d’une personne chutant à terre, d’un individu qui court ou d’un mouvement de foule. Ces alertes permettent alors d’avertir un agent qui pourra décider ou non de lancer une intervention. Ces techniques informatiques n’utilisent ainsi pas les caractéristiques biométriques des personnes, elles ne cherchent pas à identifier ou authentifier un individu mais se fondent sur des détections liées à des gestes spécifiques, de couleurs, etc. Il ne s’agit ainsi pas de techniques de reconnaissance faciale mais simplement de caméras « augmentées ».
Ces systèmes de caméras intelligentes doivent ainsi être mentionnés car ils peuvent permettre de répondre à un besoin opérationnel en ayant recours à des technologies moins intrusives et de moindre impact que la reconnaissance faciale.
La reconnaissance faciale peut toutefois être associée aisément à des tels dispositifs de caméras « intelligentes », et, ainsi, être combinée à d’autres fonctionnalités. Cette possibilité requiert une vigilance d’autant plus grande qu’en pratique, la combinaison de ces techniques peut avoir pour effet une démultiplication de leur impact sur les personnes.
L’intelligence artificielle
La reconnaissance faciale repose sur l’utilisation d’algorithmes qui analysent et comparent les traits du visage, comme nous l’avons vu précédemment. La reconnaissance faciale est de fait un des domaines d’application de l’intelligence artificielle.
Cette technologie biométrique exploite notamment des algorithmes de deep learning, sous-domaine de l’intelligence artificielle utilisant une méthode d’apprentissage automatique (apprentissage de modèle de données), afin d’analyser et d’interpréter les caractéristiques biométriques d’un visage en les comparant à des images stockées au sein d’une base de données.
Le développement rapide de l’intelligence artificielle augmente la performance des outils de reconnaissance faciale, et entraine une généralisation de ces outils.
La reconnaissance faciale
La reconnaissance faciale fait plus largement partie des « techniques biométriques », un ensemble de procédés automatisés permettant de reconnaître un individu à partir de la quantification de ses caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales (empreintes digitales, réseau veineux, iris, etc.). Ces caractéristiques, qualifiées de « données biométriques » par l’article 4-14 du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), permettent ou confirment l’identification unique d’une personne physique. On parlera ici d’identification lorsqu’il s’agit de reconnaître une personne en particulier et de l’isoler (sans forcément que soit recherchée ou associée son identité civile) ou d’authentification lorsqu’il s’agit de certifier l’identité de cette personne, notamment par le biais d’éléments biométriques. Cette terminologie est propre au droit des données et ne correspond pas aux autres domaines du droit (droit de la preuve en particulier), ces termes ayant alors d’autres significations et déclenchant l’application de régimes juridiques spécifiques.
Le traitement technique du visage par un dispositif de reconnaissance visant à permettre l’identification ou l’authentification d’une personne doit faire l’objet de deux traitements successifs :
- 1re phase : collecte du visage et transformation en gabarit. À partir de l’image d’un visage (photographie ou vidéo), un modèle représentant, d’un point de vue informatique, certaines caractéristiques de ce visage est réalisé (on parle alors de « gabarit »). Ce gabarit est censé être unique et propre à chaque personne.
- 2e phase : reconnaissance du visage par comparaison. Ce gabarit peut ensuite être comparé avec d’autres modèles, préalablement réalisés ou calculés en direct à partir de visages repérés sur une image, photo ou vidéo.
Ainsi, la reconnaissance faciale est une technique informatique et probabiliste qui permet de reconnaître automatiquement une personne sur la base de son visage, pour l’identifier ou l’authentifier, à l’aide d’une estimation de correspondance entre ces gabarits. Le système va alors déduire une probabilité (plus ou moins forte) que la personne soit bien celle que l’on cherche à identifier ou authentifier, et, au-delà d’un certain seuil déterminé par le système, ce dernier va estimer s’il y a correspondance. Il ne s’agit donc pas d’une certitude et le caractère « probable » de l’identification ne peut suffire, juridiquement, à retenir une responsabilité.
Ainsi, la sensibilité particulière des traitements portant sur des données biométriques et les récentes avancées en matière d’intelligence artificielle remettent sur le devant de la scène les différents enjeux soulevés par cette technologie… et les risques associés.
Nous examinons plus en détail ces différents technologiques dans le cadre du troisième article de notre série visant à appréhender en les enjeux posés par les systèmes de vidéo « intelligents » et la reconnaissance faciale, et leur régulation :
Reconnaissance faciale : les enjeux et les risques d’une technologie en pleine accélération