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Régime de l’impatriation des indemnités de fin de contrat : vers l’inclusion des indemnités de rupture de contrat de travail dans la rémunération éligible à l’exonération forfaitaire jusqu’à 30 %

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Le 4 octobre 2023, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur l’éligibilité d’une prime de résiliation de contrat de travail à durée déterminée à l’exonération forfaitaire jusqu’à 30% prévue à l’article 155 B du Code Général des Impôts (CE 4 octobre 2023, n°466714, publiée aux tables du recueil Lebon).

Rappel

Un salarié recruté directement à l’étranger par une entreprise établie en France ou en situation de transfert intra-groupe n’ayant pas été résident fiscal au titre des 5 années civiles précédant sa prise de poste en France peut bénéficier d’une exonération d’impôt sur le revenu sur une partie de sa rémunération dès lors que son activité est principalement réalisée en France et que son foyer s’y est installé.

Cette exonération correspond :

En application des dispositions de l’article 155 B al. 3 du CGI, le montant total d’exonération est plafonné au choix du contribuable :

Sur l’exonération forfaitaire à hauteur de 30 % de la rémunération, la question se pose de longue date de savoir quels sont les éléments de la rémunération à prendre en compte

L’article 155B CGI ne délimite pas expressément les éléments de rémunération pouvant entrer dans le calcul de l’exonération forfaitaire de 30 %. L’administration fiscale, via son BOFiP, est venue borner le champ de la rémunération sujette à exonération forfaitaire de 30 % de la façon suivante (BOFiP BOI-RSA-GEO-40-10-20 n°90 du 21.06.2017) :

« […] Cette rémunération inclut la totalité des primes et indemnités prévues dans le contrat et imposables selon les règles applicables aux traitements et salaires dans les conditions de droit commun, à l’exception notamment des sommes versées ou des gains réalisés dans le cadre des dispositifs d’épargne salariale ou d’actionnariat salarié.

En particulier, les sommes versées au titre de l’intéressement collectif des salariés à l’entreprise et les gains issus de la levée d’options sur titres (« stock-options ») ne constituent pas des rémunérations pour l’évaluation forfaitaire de la prime d’impatriation. Il en est de même des avantages résultant de l’attribution d’actions gratuites relevant des dispositions de l’article 80 quaterdecies du CGI. »

De ce fait, seuls l’épargne salariale (intéressement et participation essentiellement), l’actionnariat salarié qualifié en France sont donc clairement exclus par la doctrine administrative.

Le Conseil d’Etat vient d’avoir l’occasion d’apporter une nouvelle lumière sur la notion de « rémunération » éligible à exonération forfaitaire de 30 %

L’histoire

Un résident fiscal français avait conclu un contrat de joueur de football professionnel avec un club français. En 2013, dans le cadre de la rupture de son contrat, son employeur lui a versé une prime de résiliation, prévue à un avenant de son contrat de travail, que le contribuable a souhaité inclure dans le calcul de l’exonération forfaitaire de 30 %.

L’administration a contesté la prise en compte de la prime de résiliation, et a donc procédé à des rehaussements en excluant cette prime de la base d’exonération et l’a réintégrée dans la base imposable du contribuable. Selon l’administration, la prime ne pouvait pas bénéficier du régime de l’impatriation en raison de sa nature car elle ne correspondrait pas à une somme perçue en contrepartie d’un travail ou d’un service fourni par le salarié, en l’espèce des prestations sportives fournies par le joueur à son club, dès lors qu’elle avait pour objet d’indemniser la perte du contrat de travail.

Le contribuable, qui a vu ses prétentions rejetées en première instance et débouté de l’appel interjeté, s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat.

Tout comme en première instance, le contribuable a soutenu que l’article 80 duodecies CGI (l’article régissant l’imposition des indemnités de rupture de contrat de travail) énonce que « toute indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable, sous réserve des dispositions suivantes [..]. » La prime de résiliation en question ne fait pas partie des exceptions mentionnées à cet article.

Dans ses conclusions, la Rapporteure publique Bokdam-Tognetti se positionne dans le sens du contribuable après avoir énoncé, en reprenant notamment un arrêt rendu fin 2021 par la Cour d’appel de Versailles (CAA Versailles, 18 novembre 2021 n°19VE02459) l’hésitation ressentie pour faire bénéficier de l’exonération forfaitaire de 30 % une somme ne rémunérant pas une activité professionnelle mais indemnisant la perte d’un contrat de travail.

Dans ses pérégrinations, la Rapporteure publique, ne limite pas sa réflexion aux spécificités du cas de l’espèce concernant une prime de résiliation relative à des arriérés de salaires et de primes mais s’interroge dans le cadre plus général des « indemnités de rupture du contrat de travail » (que nous comprenons comme la portion imposable des indemnités de licenciement ou accords transactionnels).

Elle procède, par analogie, en partant de l’iniquité d’imposer ces primes de rupture de contrat en France tout en les excluant du bénéfice de l’exonération prévue à l’article 155 B qui ne prévoit aucunement cela et rappelle l’intention du législateur qui était d’octroyer des avantages fiscaux décisifs favorisant une immigration économique stratégique pour le développement de notre économie.

Selon la Haute juridiction, « lorsque le contribuable opte pour l’évaluation forfaitaire de l’exonération dont peut bénéficier sa rémunération, l’exonération de 30 % qu’elles prévoient s’applique à l’ensemble de la rémunération imposable, telle qu’elle est définie notamment à l’article 80 duodecies du même code relatif aux indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail ».

Le nœud gordien est donc tranché par une affirmation forte du Conseil d’Etat : les indemnités de rupture de contrat de travail prévues à l’article 80 duodecies CGI font partie de « l’ensemble de sa rémunération imposable ».

De là découlerait logiquement l’absence de prise en compte de la portion exonérée de certaines indemnités de rupture du contrat de travail (car non imposable) du calcul d’exonération de 30 % de la rémunération.

La Haute juridiction casse donc l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 juin 2022 (CAA Paris, n°21PA03658) et renvoie le litige devant cette juridiction afin qu’elle statue une nouvelle fois à l’aune de son jugement de cassation.

Une prise de position inédite de la Haute juridiction concernant le sort des indemnités de fin de contrat

Dans un litige antérieur, la Cour d’appel de Versailles avait rejeté les prétentions du contribuable qui souhaitait inclure son indemnité de rupture conventionnelle, déterminée en fonction de son ancienneté au sein de l’entreprise, dans le calcul de l’exonération éligible à exonération de 30 % (cf supra CAA Versailles, 18 novembre 2021, n°19VE02459).

Il s’agissait là d’une indemnité de rupture du contrat qui ne venait pas rémunérer une activité professionnelle passée mais indemniser la perte de l’emploi, contrairement à la décision rendue par le Conseil d’Etat le 4 octobre dernier.

Nous ne pouvons que regretter que l’arrêt précité de la Cour d’appel de Versailles n’ait été frappé de pourvoi afin de permettre au Conseil d’Etat de statuer sur une indemnité de rupture de contrat au sens premier du terme. En l’absence d’une décision portant sur une indemnité imposable de licenciement, il pourrait être intéressant pour les contribuables bénéficiant d’une telle indemnité de sécuriser leur situation juridique en déposant un rescrit afin que l’administration fiscale se prononce.

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