Dans une décision riche d’enseignements, le Conseil d’État se prononce sur les conditions dans lesquelles des dépenses engagées par une société française pour le compte de ses filiales étrangères et non refacturées sont susceptibles d’être qualifiées d’avantages occultes et donc soumises à RAS – alors même qu’elles ont été spontanément réintégrées extra-comptablement.
L’histoire
Une société française a pris en charge des dépenses incombant à ses filiales étrangères, sans leur refacturer ou en ne les refacturant que partiellement (exercices 2008 à 2011).
Elle a cependant réintégré spontanément ces dépenses pour la détermination de son résultat fiscal en mentionnant dans les tableaux annexés à sa déclaration 2058 A, les intitulés « frais supportés par le siège pour les filiales étrangères », « personnel détaché des filiales étrangères », « rémunération des dirigeants (de la filiale x) » et « prix de transfert ITEC ».
L’Administration a considéré que la prise en charge de ces dépenses par la société française était constitutive d’un transfert de bénéfices au sens de l’article 57 du CGI, mais n’a procédé à aucune rectification au titre de l’IS – puisque les dépenses litigieuses avaient d’ores et déjà été réintégrées extra-comptablement.
Elle a, de plus, considéré que cette prise en charge constituait un avantage occulte au sens des dispositions de l’article 111, c du CGI, passible de la RAS prévue à l’article 119 bis, 2 (30 % à l’époque – 25 % aujourd’hui), sous réserve de l’application des conventions fiscales le cas échéant.
L’affaire a été portée devant la CAA de Versailles (CAA Versailles, 9 février 2021, n°18VE04115-19VE00405), qui a confirmé le redressement, à l’exception des points suivants :
- Elle a considéré que la mention extra-comptable portée par la société au tableau 2058 A de sa déclaration de résultat, de l’avantage consenti à l’une de ses filiales par la prise en charge de la rémunération de ses dirigeants, révélait tant l’objet de la dépense que son bénéficiaire. Aussi cet avantage ne pouvait être regardé comme un avantage occulte (confirmation de ce que suggérait l’arrêt de la CAA de Versailles du 20 octobre 2016, n°14VE01604, Sté ALD International SA) ;
- Elle a écarté l’application de la RAS s’agissant des filiales situées en Mauritanie, au Burkina Faso et au Bénin, la rédaction étroite des conventions liant ces États à la France ne permettant pas l’assimilation de revenus réputés distribués à des dividendes (en conséquence, ces revenus relevaient de la « clause-balai », attribuant le droit d’imposer à l’Etat du bénéficiaire).
La décision du CE
Sur la base légale retenue
Le Conseil d’État casse, pour erreur de droit, la décision des juges d’appel, en ce qu’ils ont fait application des dispositions de l’article 57 du CGI, alors qu’il résulte des termes mêmes de cet article qu’il a trait « au seul établissement de l’impôt sur le revenu dû par certaines entreprises » et non des retenues à la source en litige, et que l’Administration n’a procédé à aucune rectification du bénéfice imposable de la société française.
Il juge ensuite l’affaire au fond.
Sur la qualification d’avantage occulte au sens de l’article 111, c
Le Conseil d’État caractérise les conditions permettant de justifier les rappels de RAS sur le fondement de l’article 111, c du CGI :
- L’existence d’un avantage ;
- L’absence de contrepartie ;
- Le caractère occulte de cet avantage.
Le Conseil d’État juge qu’en s’abstenant de refacturer à ses filiales étrangères, en tout ou partie, des dépenses exposées à leur profit, la société française doit être regardée comme leur ayant octroyé un avantage, à concurrence de cette prise en charge.
Il retient la même analyse s’agissant des prestations insuffisamment facturées.
Il écarte, ensuite, les différents arguments avancés par la société française tendant à établir l’existence d’une contrepartie :
- Avantages justifiés par la valorisation des participations de la société dans ses filiales : le Conseil d’État juge que l’accroissement de la valeur d’une participation n’est qu’un effet indirect induit par l’avantage consenti et ne saurait être regardé comme constituant l’avantage recherché par la société mère en renonçant à des recettes (voir aussi CE, 9 mai 2018, n°387071, Société Cérès ou, plus récemment, CE, 1er juillet 2020, n°418378, Sté Lafarge SA) ;
- Avantages justifiés par la nécessité de ne pas aggraver le ratio de solvabilité des filiales et de se conformer à une politique visant à pallier leur capitalisation insuffisante au regard de la règlementation bancaire locale : justification insuffisante (voir aussi CE, 13 décembre 2017, n°387975 et 387969 – pas de contrepartie à la refacturation d’une prestation rendue obligatoire par le droit étranger) ;
- Prohibition par la réglementation algérienne de refacturer certains frais d’appartenance à un groupe : le Conseil d’État relève que même si les opérations ne figuraient pas sur la liste des opérations autorisées, elles auraient pu l’être sur décision expresse de la Banque Centrale d’Algérie ;
- Intérêt à prendre en charge les dépenses de personnel détaché : absence de précisions sur l’intérêt propre que présente pour la société française le détachement de personnel dans ses filiales.
Les parties étant en relation d’intérêt, l’intention libérale est donc présumée (en ce sens, CE, 9 mai 2018, n°387071, Sté Cérès).
Restait en suspens la question de savoir si les avantages ainsi procurés aux sociétés étrangères étaient occultes.
La société entendait écarter cette qualification, en indiquant que les avantages litigieux étaient mentionnés de façon explicite dans les documents annexes au tableau 2058 A.
Le Conseil d’État a, de longue date, posé le principe selon lequel l’inscription en comptabilité ne suffit pas à écarter une telle qualification, si elle ne révèle pas, par elle-même, la libéralité (CE, 28 février 2001, n°199295, Thérond, 7 septembre 2009, n°309786, Simon-Bigard).
Au cas d’espèce, il juge que les charges spontanément réintégrées extra-comptablement par la société française et portées sous les mentions « frais supportés par le siège pour les filiales étrangères », « personnel détaché dans des filiales étrangères » et « prix de transfert ITEC » dans le tableau « réintégrations diverses » du tableau 2058 A ne précisent pas la nature des avantages consentis, ni les sociétés bénéficiaires, et ne révèlent donc pas par elles-mêmes l’existence des libéralités octroyées.
Dans ses conclusions (suivies), le rapporteur public souligne que le libellé des réintégrations suggère suffisamment qu’il s’agit d’avantages accordés aux filiales, mais que « les réintégrations sont globalisées et (qu’) il n’est mentionné ni l’identité des filiales bénéficiaires, ni le montant reçu par chacune d’elles ». Il en conclut que, dans ces conditions, « l’avantage ne (nous) paraît pas suffisamment explicité ».
Incidences de l’ancienne convention fiscale franco-chinoise
Le Conseil d’État juge que la rédaction de l’ancienne convention fiscale franco-chinoise de 1984 ne permet pas d’assimiler à des dividendes les avantages occultes litigieux. Celle-ci vise, outre les revenus provenant d’actions et autres parts bénéficiaires, « les autres revenus soumis au même régime fiscal que les revenus d’actions par la législation de l’Etat contractant dont la société distributrice est un résident ». Ces revenus tombent donc dans le champ de la « clause-balai » de la convention, laquelle attribue le droit d’imposer à l’Etat de la source (la France, donc).
La solution ne serait sans doute pas la même pour l’application de l’actuelle convention franco-chinoise, laquelle retient une définition plus large de la notion de dividendes (en visant les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale française).
A retenir que pour donner son plein effet à la réintégration extra-comptable de coûts non refacturés en permettant la non-application de la RAS sur revenu réputé distribué (dans la limite des convention fiscales), il convient de préciser dans la liasse fiscale le montant et l’identité de chacune des sociétés bénéficiaires des avantages correspondants.
