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Rupture brutale des relations commerciales : le juge fixe la durée du préavis

La Cour de cassation rappelle que la durée du préavis relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, en précisant que ces derniers n’ont pas à justifier, en détail, la raison sur laquelle ils se fondent pour considérer qu’un préavis est d’une durée suffisante (Cass. com. n°22-20.438, 18 octobre 2023).  

Origine de l’affaire

Le 11 février 2014, un cabinet de conseil et une société proposant des solutions d’affacturage concluent un premier contrat, d’une durée d’un an, relatif à des prestations de conseil. En janvier 2015, un second contrat est signé entre les mêmes parties pour une durée identique. Les prestations sont alors réalisées par le gérant du cabinet de conseil et deux personnes non salariées dudit cabinet. En 2016, au terme du second contrat, la société d’affacturage décide de solliciter directement les services de ces deux personnes non salariées et de rompre le contrat de prestation de conseil sans préavis, ni indemnités.

Une demande de précision rejetée par la Cour de cassation

En avril 2017, le cabinet de conseil soutenant que son ancienne cliente avait manqué à ses obligations contractuelles et fautivement rompu la relation commerciale établie, a assigné la société d’affacturage en réparation de son préjudice.

Par un arrêt en date du 22 juin 2022 (CA Paris n°RG-20/17215, 22 juin 2022), la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de la société de conseil en précisant que la société d’affacturage « est […] à l’origine d’une rupture brutale d’une relation commerciale alors que compte tenu de la durée de la relation entre les parties de 2 années, de l’évolution des coûts et chiffres d’affaire rapportés ci-dessus, de leur importance dans le bilan de la société […] – à laquelle il est cependant imputable de n’avoir pas plus avant diversifié ses activités -, il aurait dû être de 3 mois pour permettre à cette dernière de se réorganiser ».

Le cabinet de conseil a néanmoins formé un pourvoi contre cette décision, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir précisé la raison pour laquelle un préavis d’une durée de trois mois était suffisant pour permettre au prestataire de retrouver une clientèle (diversification).

L’arrêt de la Cour d’appel a ensuite été confirmé par la Cour de cassation (Cass. com. n°22-20.438, 18 octobre 2023) qui a considéré qu’à partir du moment où les juges ont pris « en considération [le] seul critère légal alors applicable », en vertu de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce alors en vigueur (soit la durée de la relation commerciale) « et [les] circonstances propres à la relation en cause » , la Cour d’appel n’avait pas à expliquer davantage la raison pour laquelle la durée choisie permettait au prestataire de retrouver des débouchés.  

Une opportunité de souligner à nouveau la distinction entre les critères légaux (obligatoires) et les critères casuistiques (complémentaires)

Cet arrêt est l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler la coexistence de plusieurs critères d’appréciation du caractère suffisant de la durée du préavis.

Ainsi, les seuls critères légaux imposés par la lettre de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce alors applicable au litige (devenu, depuis l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, l’article L.442-1, II du Code de commerce) sont la durée de la relation commerciale et le respect de la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce identifiés par des accords interprofessionnels.

De plus, les juges du fond ne peuvent être exemptés de la démonstration de la prise en compte de la durée de la relation commerciale.

Par ailleurs, au-delà des critères légaux, des critères complémentaires, déjà admis par la Cour de cassation et qui tiennent au temps nécessaire à la réorganisation de la victime de la rupture (notamment l’état de dépendance économique, les investissements réalisés, situation du marché), peuvent être pris en compte pour apprécier la durée du préavis et relèvent ainsi de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Enfin, dès lors que les juges du fond apprécient la durée suffisante du préavis sur la base de ces critères, leur décision est souveraine et ne sera pas remise en cause par la Cour de cassation.

Une appréciation cohérente avec la jurisprudence antérieure

La position adoptée par la Cour de cassation dans cette décision est classique et a été rappelée à plusieurs reprises au cours des dernières années (notamment Cass. com. n°17-24.135, 2 octobre 2019, et Cass. com. n°17-13.826, 3 juillet 2019).

Il est ordinairement admis en jurisprudence qu’un préavis d’un mois par année d’ancienneté doit être accordé, cette durée de préavis étant adaptée en fonction des circonstances de l’espèce par les juges du fond.

Rappelons également que l’article L 442-1, II du Code de commerce, aujourd’hui applicable à la rupture des relations commerciales, et auquel la décision dégagée par la Cour de cassation est parfaitement transposable, a retenu un certain nombre d’autres exigences, et notamment :

Si la jurisprudence est constante depuis plusieurs années, il n’en demeure pas moins que la nécessité pour les juges du fond de prendre en compte de multiples critères, qu’ils soient légaux ou casuistiques, dans les dossiers de rupture des relations commerciales qui leur sont soumis, pour apprécier si la durée de préavis appliquée est suffisante, va continuer de nourrir une jurisprudence abondante et que la tentation de recourir au pourvoi en cassation pour tenter d’infirmer leurs décisions perdurera.

 

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