L’une des particularités de la profession d’avocat est la possibilité d’exercer, en parallèle de « sa mission principale », d’autres activités jugées complémentaires : arbitre, médiateur, mandataire d’artistes et d’auteurs, mandataire sportif… voire celle d’agent sportif ?
La Cour de cassation vient de se prononcer dans un arrêt du 29 mars 2023 sur cette dernière occupation en précisant clairement qu’un avocat ne peut pas, à titre principal ou à titre accessoire, exercer l’activité d’agent sportif.
Un coup d’arrêt porté à la diversification des missions de l’avocat
Depuis une loi du 28 mars 2011, il est possible pour l’avocat d’intervenir, au titre de ses « activités complémentaires », en qualité « d’avocat mandataire sportif ».
La définition de cette activité a été précisée en juin 2020 par le Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris, qui a créé dans son règlement intérieur un article P.6.3.0.3., prévoyant que :
L’avocat peut, en qualité de mandataire sportif, exercer l’activité consistant à mettre en rapport, contre rémunération, les parties intéressées à la conclusion d’un contrat, soit relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement, soit qui prévoit la conclusion d’un contrat de travail ayant pour objet l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement.
L’avocat agissant en qualité de mandataire sportif ne peut être rémunéré que par son client. Cette activité doit donner lieu à une convention écrite, qui peut, le cas échéant, stipuler que le joueur donne mandat au club sportif de verser en son nom et pour son compte à l’avocat les honoraires correspondant à sa mission ».
Néanmoins, peu de temps après, le 10 juillet 2020, le procureur général près de la Cour d’appel de Paris déposait une action en annulation visant spécifiquement cette nouvelle disposition.
Avocat mandataire sportif Vs. Agent sportif
La Cour de cassation juge que si les fonctions d’avocat mandataire sportif et celles d’agent sportif peuvent être complémentaires voire similaires sur certains aspects (la représentation et la défense des intérêts des sportifs), elles présentent néanmoins des différences de statuts et de missions qui justifient un cloisonnement plus net de leurs activités.
La décision de la Cour de cassation offre ainsi une grille de lecture mettant en lumière les principales différences de régimes ayant motivé son jugement.
En premier lieu, les principales spécificités, séparant l’avocat mandataire sportif et l’agent sportif sont les suivantes :
- La formation, la mission et les conditions d’exercice de l’avocat sont propres à sa profession :
- Il doit être titulaire du « Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat » (CAPA)
- C’est un spécialiste du droit (maîtrise des questions juridiques, garant de la sécurité juridique des opérations, rédaction de contrats, etc.)
- Soumis aux règles déontologiques de la profession d’avocat (secret professionnel, etc.)
- Son statut rend lui interdit d’exercer des activités commerciales (sauf celles qui sont exercées à titre accessoires, si elles sont connexes à la profession d’avocat)
- Enfin, sa rémunération est limitée à 10 % du montant du contrat visé à l’article L. 222-7 du Code du sport, relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement
- L’agent sportif, quant à lui, relève d’une activité moins régulée puisque :
- Il doit être titulaire d’une licence d’agent sportif (article L. 222-7 du Code du sport)
- Il a pour mission le « Partage son réseau sportif » et la mise en relation des parties intéressées (sportifs, clubs, etc.) jusqu’à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive
- Et il peut intervenir via des contrats de courtage avec le sportif ou le club (contrairement à l’avocat, cf. ci-dessous).
- Enfin, l’Agent sportif peut, dans le cadre de conventions tripartites, être rémunéré directement par le club pour un mandat consenti par le joueur, y compris avec l’accord de ce dernier.
En second lieu, l’apport significatif de l’arrêt du 29 mars 2023 tient à l’affirmation que :
- L’avocat ne peut, tant à titre principal qu’à titre accessoire, exercer l’activité d’agent sportif (notamment en ce que cette activité peut impliquer des activités de courtage, qui est une activité commerciale
- Il a pour attribution de représenter les intérêts d’une seule des parties aux « contrats sportifs »
- Et il ne peut être rémunéré que par son client
- Comparativement, seul un agent sportif peut mettre en rapport contre rémunération les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive ou d’entraînement.
Sur la base de la loi de 1971 régissant la profession d’avocat, la juridiction suprême de l’ordre judiciaire rappelle que l’avocat : est uniquement autorisé à « commercialiser, à titre accessoire, des biens ou services connexes à l’exercice de la profession d’avocat (…) » et qu’il « ne peut être rémunéré que par son client ». A l’inverse, la Cour de cassation juge que l’activité de l’agent sportif, qui consiste en la mise en relation des joueurs et des clubs, est une activité commerciale principale et que l’agent sportif est susceptible d’être rémunéré par un tiers (c’est-à-dire notamment par le club cocontractant de son client).
La Cour de cassation en tire comme conséquence, dans son arrêt du 29 mars, que l’article P.6.3.0.3. précité du règlement intérieur du Barreau de Paris « devait être annulé en son alinéa 1er, qui n’était pas compatible avec l’exercice de la profession d’avocat, ainsi qu’en son alinéa 2, qui était source de conflits d’intérêts et contraire à la loi ».
Une décision globalement saluée par le secteur sportif mais contestée sur certains aspects
Pour certains observateurs, cette décision de la Cour de cassation permet de (re)préciser la frontière poreuse qui s’était instituée entre le métier d’agent sportif et celle d’avocat mandataire sportif, en recentrant mécaniquement l’avocat sur ses activités « plus traditionnelles » telles que définies principalement par la loi du 31 décembre 1971.
Pour d’autres commentateurs, cette décision de la Cour suprême est sévère par son caractère catégorique : elle cantonne l’avocat mandataire sportif à un rôle de représentant juridique d’une seule partie alors qu’un avocat pourrait réaliser certaines activités « connexes » sans que celles-ci soient assimilées à des activités commerciales (et notamment de courtage).
En outre, l’intervention, dans ce domaine, de l’avocat, soumis à de nombreuses règles déontologiques, aurait pu être un gage de moralisation de ces activités qui défrayent souvent la chronique judiciaire.
Ce coup d’arrêt porté à la diversification des activités de l’avocat entraîne de nombreuses questions pour l’avenir et notamment laisse ouverte la voie à de futures et possibles précisions de la Cour de cassation en ce qui concerne les autres activités accessoires aujourd’hui ouvertes aux avocats.