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Stratégie d’investissement de détail (« RIS ») : entre protection des investisseurs et rémunération des intermédiaires

Au sein de l’Union européenne, un certain nombre d’instruments juridiques encadrent la protection des investissements (MiFID II, DDA, PRIIPS, OPCVM et la directive AIFM). Si ce cadre juridique vise à harmoniser les normes et à créer un marché financier intégré, dans lequel les investisseurs sont efficacement protégés, le niveau de participation des investisseurs de détail aux marchés des capitaux reste toutefois très faible. Dans ce contexte, la Commission européenne, après une période d’analyse et de consultation initiée dès 2021, dévoilait en mai 2023 une proposition intitulée « A Retail Investment Strategy for Europe ».

Face au constat du faible taux d’investissement par les particuliers (I), l’UE offre une stratégie (II) mettant en avant la notion de « value for money » (III), et encadrant la très sensible question des commissions (IV).

I. Le constat d’un taux d’investissement faible par les particuliers

Selon les chiffres d’Eurostat, bien que les ménages européens aient globalement des taux d’épargne élevés, seuls 17 % des actifs détenus par ceux-ci étaient investis dans des titres financiers en 2021. Ce pourcentage est nettement inférieur à la proportion d’actifs que les ménages américains détiennent dans des instruments financiers similaires, qui s’élève à 43 %.

Plusieurs constats ont mis en lumière des dysfonctionnements révélant des freins à l’investissement effectués par les particuliers :

Forte de ces constatations, la Commission européenne a publié une proposition de paquet législatif « stratégie pour les investisseurs particuliers » le 24 mai 2023 comportant deux textes :

Le 23 avril 2023, le Parlement européen a voté sur des amendements de compromis au paquet législatif proposé par la Commission. Puis, le 12 juin 2024, le Conseil de l’UE a adopté sa propre position de négociation. Ces positions respectives ouvrent la voie aux négociations interinstitutionnelles entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de l’UE (le trilogue).

II. La mise en place d’une véritable stratégie de protection des investisseurs particuliers

Véritable fil rouge de la RIS, la protection des investisseurs particuliers s’articule autour de 5 points :

Ces mesures s’inscrivent également dans l’objectif d’améliorer le fonctionnement du marché unique du financement poursuivi par l’Union des marchés de capitaux (dont le plan d’action 2020 est en cours de finalisation). L’ensemble de ces points vise donc à concilier à la fois les impératifs de protection des investisseurs de détail européens et les exigences tenant à la rémunération des intermédiaires financiers pour la conclusion d’opportunités d’investissement. Cette conciliation s’exerce au travers de la notion de « value for money » et de l’encadrement de la pratique des commissions.

III. L’importance de la notion de « value for money »

La notion nouvelle de « retour sur investissement » (value for money) est centrale dans le paquet législatif constituant la RIS. Ce concept, très discuté, touche notamment aux règles de gouvernance et de surveillance des produits. L’intention est de limiter les offres de produits qui présentent un rapport qualité-prix faible ou inexistant pour les investisseurs particuliers. Les nouvelles règles issues de la RIS mettent donc à la charge des producteurs et distributeurs de produits financiers l’obligation d’évaluer si les coûts et charges liés à un produit sont justifiés et proportionnés au regard de sa performance, et des objectifs et de la stratégie poursuivie par un investisseur de détail.

Le Conseil de l’Union européenne s’est penché sur cette question et a convenu que les autorités de surveillance européennes – l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) et l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) – devront préparer des critères de référence (benchmarks) afin de veiller au respect de la value for money au niveau de l’Union. L’objectif est que les producteurs et distributeurs puissent comparer leurs produits d’investissement à des groupes de produits européens similaires afin de détecter ceux ne présentant pas un bon retour sur investissement. Toutefois, au lieu d’être obligatoirement intégrés dans le processus de gouvernance des produits des fabricants et des distributeurs, ces critères sont conçus comme un outil de surveillance, développé de manière à aider les autorités nationales compétentes à détecter les produits d’investissement dont le ratio coût performance serait insatisfaisant.

Si cette exigence de value for money est destinée à être appliquée sur tout le prisme de la RIS (produits d’investissements et produits d’assurances), l’ACPR avait déjà pris les devants en matière de distribution d’assurances en émettant une recommandation à destination des concepteurs et distributeurs. La dernière version, en date du 28 juin 2024, reprend des recommandations en matière de modération des frais pour les produits d’assurance-vie en unités de compte. Cette recommandation de l’ACPR suit ainsi la déclaration de l’EIOPA du 30 novembre 2021 considérant qu’un produit en unités de compte offre, pour un client, un bon rapport qualité coûts-performance lorsque ses coûts sont proportionnés aux bénéfices (performance, garanties, couvertures et services) qu’il offre à son marché cible, et qu’ils sont raisonnables.

IV. L’encadrement du commissionnement

La question du commissionnement a été au centre des débats ayant agité la Commission européenne lors de la présentation des enjeux principaux de la RIS. Le commissionnement, aussi dénommé  « commission », « incitation » ou « honoraires de rétrocession » constitue la pratique principale de rémunération des intermédiaires financiers la plus répandue dans l’Union européenne. Les commissions sont reçues en contrepartie de ventes avec exécution pure, et qui n’impliquent donc pas la fourniture d’un conseil en investissement. Cette pratique s’oppose à celle de la perception d’honoraires, qui est d’usage au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.

La Commissaire européenne aux services financiers, Mairead McGuinness, avait ainsi argumenté en faveur d’une interdiction totale du commissionnement perçu par un intermédiaire financier sur les ventes de produits financiers[4]. Une telle interdiction cherche à atténuer les risques de conflits d’intérêts entre l’intermédiaire financier et son client. Cependant, les défenseurs de cette modalité de rémunération avançaient aussi l’un de ses avantages : le fait que le commissionnement permettrait de mutualiser les frais et les risques liés au conseil, et ainsi, d’ouvrir un accès au conseil au plus grand nombre (ce qui constitue l’un des principaux objectifs de la RIS). A contrario, promouvoir la rémunération par honoraires restreindrait le conseil aux seuls individus aisés.

Face aux oppositions de plusieurs Etats membres, et notamment celle de la France, le Conseil de l’Union européenne a finalement acté, par son accord du 12 juin 2024, la validité du mode de rémunération par commissionnement des intermédiaires financiers, tout en l’encadrant de manière rigoureuse. Avec l’objectif de prévenir de potentiels conflits d’intérêts, le Conseil a renforcé les garanties accompagnant les commissions :

En outre, le Conseil a encore renforcé les garanties en introduisant des « principes généraux sur les incitations » devant être respectés par toute entreprise d’investissement lors du versement ou de la réception d’incitations. Conformément à ces principes fondamentaux, les incitations ne doivent pas amener les entreprises à recommander certains produits plutôt que d’autres, elles ne doivent pas être disproportionnées par rapport à la proposition de valeur offerte, et les incitations versées par des entités appartenant au même groupe devront être traitées de la même manière que les autres (pas de dérogation intragroupe).

Les États membres qui ont déjà mis en place des mesures restreignant ou interdisant la pratique des incitations, qui décideraient d’introduire de telles interdictions à l’avenir ou qui appliquent ou décideraient d’appliquer des exigences plus strictes que celles visées par la législation de l’Union, seraient autorisés à le faire. Il s’agit donc d’une solution d’harmonisation minimale, qui laissera subsister en la matière une certaine fragmentation du marché unique. L’évolution du dispositif n’est toutefois pas terminée, puisque le réexamen de ces dispositions relatives aux incitations doit intervenir cinq ans après l’entrée en vigueur du texte.


[1] Eurobarometer, 2023

[2] Enquête Eurobaromètre sur le niveau de culture financière dans l’UE, 2023

[3] ESMA, Rapport sur les coûts et performances, 2023

[4] Discours devant la commission ECON du 29 janvier 2023

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