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Taux d’intérêt limite : le Conseil d’État se prononce enfin !

Photo du Conseil d'Etat

Le Conseil d’État se prononce pour la 1re fois sur les éléments de preuve permettant à une société de justifier du taux d’intérêt pratiqué sur des prêts consentis par une société liée et rappelle que les sociétés peuvent, le cas échéant, s’appuyer sur des comparables issus du marché obligataire.

Preuve du respect du taux d’intérêt limite – État des lieux

Une société peut déduire les intérêts relatifs à des sommes mises à disposition par une entreprise liée dans la limite du taux fixé par le 3° du 1 de l’article 39 du CGI pour la déduction des intérêts des avances consenties par ses associés. Il peut toutefois être substitué à ce taux limite celui que l’entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d’établissements financiers indépendants dans des conditions analogues, s’il est supérieur (CGI, art. 212, I-a).

Pendant de nombreuses années, l’Administration, comme les juridictions du fond, se sont montrées particulièrement exigeantes dans la démonstration du taux de marché applicable (l’Administration exigeant presque systématiquement la production d’une offre de prêt contemporaine).

Dans un avis du 10 juillet 2019, le Conseil d’État a posé le principe de liberté de preuve et admis qu’une société pouvait, le cas échéant, s’appuyer sur des comparables issus du marché obligataire (avis n°429426 et 429428, SAS Wheelabrator).

Si les juridictions ont ensuite décliné les principes ainsi dégagés par le Conseil d’État, elles ont, pour la plupart, refusé d’admettre en pratique les comparables proposés par les sociétés requérantes (TA Paris, 20 décembre 2019, n°1800388, SAS Trocadéro Participations, TA Paris 20 décembre 2019, n°1803096, SAS Willink, CAA Paris, 10 mars 2020, n°18PA00608, SAS Apex Tool Group, CAA Paris, 23 septembre 2020, n°20PA00585, SAS Willink à l’exception notable de TA Versailles 6 décembre 2019, n°1607393 et 1806803, SAS Wheelabrator Group et tout récemment CAA Paris, 22 octobre 2020, n°18PA01026, Sté Studialis).

Les 2 décisions du Conseil d’État

En décembre 2020, le Conseil d’État a rendu, à un jour d’intervalle, 2 décisions sur les éléments de preuve permettant à une société de justifier du taux d’intérêt pratiqué sur des prêts consentis par une société liée.

Dans la 1re décision (CE, 10 décembre 2020, n°428522, Sté WB Ambassador), le Conseil d’État se borne à rappeler que les sociétés ont la faculté, le cas échéant, de s’appuyer sur des comparables issus du marché obligataire. Il censure ainsi, pour erreur de droit, la CAA qui a refusé d’admettre de tels comparables.

Dans le cadre de la 2de décision (CE, 11 décembre 2020, n°433723, SA BSA), il apporte d’éclairantes précisions sur les éléments probants pouvant être présentés par une société.

En l’espèce, la société BSA avait bénéficié de 5 prêts consentis par une société luxembourgeoise, appartenant au même groupe, rémunérés à des taux entre 4,5 % et 6,2 % (exercices 2009 à 2011). L’Administration a considéré que les taux d’intérêts pratiqués étaient supérieurs à la limite prévue à l’article 212, I du CGI.

La société a alors fourni plusieurs études portant sur les 3 variables composant les taux (swap taux variable/taux fixe, prime d’annulation et marge de crédit) ainsi que sur sa propre situation. Si les juges de 1re instance ont favorablement accueilli les comparables proposés par la société, en soulignant l’exhaustivité et le caractère rigoureux des études produites, la CAA de Versailles a toutefois infirmé cette décision (arrêt du 25 juin 2019, n°17VE02163, Sté BSA).

Le Conseil d’État censure la décision des juges d’appel.

Il juge qu’en se bornant à indiquer que la courbe produite par la société BSA, qui retraçait le taux fixe des contrats d’échange sur 5 ans de taux (swaps) contre le taux variable Euribor 6 mois d’une part, et les comparaisons de cotations de taux fixe avec et sans option d’annulation émanant de la société Bloomberg, fournies au moyen de copies d’écran, d’autre part, n’établissaient pas que les taux des emprunts en litige correspondaient au taux de marché, sans préciser les raisons pour lesquelles ces documents étaient insuffisants, la CAA a insuffisamment motivé sa décision.

S’agissant de la marge de crédit, la société avait produit les éléments attestant une cotation du risque de la société au moyen d’un outil financier publiquement accessible (logiciel Riskcalc, développé par l’agence de notation Moody’s) et des contrats syndiqués conclus avec les organismes financiers en 2010 et 2011.

Le Conseil d’État juge que la CAA a dénaturé les pièces du dossier en estimant que la société n’établissait pas que les taux de marge appliqués étaient conformes aux taux pratiqués sur le marché pour des emprunts effectués dans les mêmes conditions.

Il relève à cet égard que l’application Riskcalc (alimentée à partir des bilans et comptes de résultats de la société sur plusieurs années) avait classé son niveau de risque en « BBB/BBB » sur la base de ratios comparatifs établis par la société Moody’s, que les contrats de refinancement produits, qui permettaient de déterminer le taux de marge réel des emprunts souscrits par la société requérante elle-même étaient accompagnés des décisions permettant d’en comparer les principales conditions particulières avec les clauses des prêts en litige et qu’enfin la combinaison de ces éléments était de nature à justifier, en l’absence d’élément contraire, que les marges de crédit pratiquées par la société luxembourgeoise étaient conformes aux pratiques de marché.

Nous attendrons avec impatience la position de la Cour d’Appel de Versailles appelée à se prononcer à nouveau dans les prochains mois.

L’avis de nos experts : Eric Lesprit, Julien Pellefigue et Benjamin Conort

Ces deux décisions marquent un tournant dans le flot de jurisprudences, majoritairement défavorables au contribuable, rendues par les juges du fond au titre de l’art. 212, I-a du CGI.
 
Factuellement, le Conseil d’État valide dans leur principe les études de taux dites études prix de transfert, qu’elles aboutissent à la production d’un intervalle de taux construit à partir du marché obligataire ou à un taux reconstruit à partir de différentes variables issues du marché financier. Deux approches d’ailleurs acceptées sans difficulté dans la plupart des pays membres de l’OCDE, mais pour lesquelles les contribuables français sont toujours confrontés aux réticences des services de contrôle.
 
En filigrane, le Conseil d’État semble indiquer aux juges du fond qu’ils ne peuvent se satisfaire du simple rejet par les services de contrôle des éléments de preuve apportés par le contribuable. Si les services de contrôle rejettent les études produites par le contribuable, ce rejet doit être étayé par des éléments contraires démontrant que les méthodes utilisées sont inopérantes au cas d’espèce.
 
On peut donc, enfin, espérer un infléchissement des juridictions en faveur d’une appréciation plus technique et moins littérale de l’art. 212, I-a du CGI. Affaire à suivre.

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