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Taxe sur les salaires :  le juge apporte des précisions quant à la documentation de l’absence d’attribution du dirigeant dans le secteur financier

Un arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Toulouse le 18 septembre 2025 (n° 24TL00420) apporte des précisions intéressantes concernant la preuve de l’absence d’attribution dans le secteur financier pour les besoins de la détermination de la taxe sur les salaires.

Pour rappel, l’article 231 du code général des impôts (CGI) prévoit que la taxe sur les salaires s’applique aux sommes payées à titre de rémunérations par les employeurs établis en France, qui ne sont pas assujettis à la TVA ou ne l’ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d’affaires au titre de l’année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations[1]

Lorsque l’employeur remplit les deux conditions susmentionnées, l’assiette de la taxe sur les salaires comprend par principe l’ensemble des rémunérations servies aux dirigeants et aux employés de la société, pondérées par le rapport d’assujettissement déterminé au titre de l’année N-1[2]

Cela étant, les assujettis à la taxe sur les salaires ont la possibilité de procéder à une sectorisation de leurs activités, à l’instar des règles de sectorisation existant au regard de la TVA[3]. À noter qu’une telle sectorisation existe de fait et peut être établie et opposée à tout moment, y compris à l’administration fiscale au moment d’un contrôle fiscal.

Les conséquences de la sectorisation d’activités sur l’assiette de la taxe sur les salaires (TS) se déclinent comme suit :

Certaines fonctions transversales ont vocation à intervenir dans plusieurs secteurs d’activités de l’entreprise. Il s’agit notamment des dirigeants ayant les pouvoirs les plus étendus pour engager la société vis-à-vis des tiers au sens des dispositions du code de commerce. En pratique, il existe une présomption simple[4] de transversalité applicable aux mandataires sociaux désignés pour représenter la société, ayant pour conséquence leur identification comme personnel mixte non affectable pour les besoins de la TS. Mais d’autres dirigeants peuvent aussi être concernés.

Pour exclure les rémunérations perçues par un dirigeant ou un employé dont la fonction est jugée transversale ou commune à plusieurs secteurs, l’entreprise doit démontrer que ce dirigeant ou cet employé concerné est « dépourvu de tout contrôle et responsabilité » dans le secteur d’activité n’ouvrant pas droit à déduction de la TVA[5].

En d’autres termes, l’employeur doit prouver que le dirigeant ou l’employé concerné est juridiquement privé de la faculté d’exercer des fonctions dans un secteur d’activité n’ouvrant pas droit à déduction de la TVA.

La Cour administrative d’appel de Toulouse paraît réserver la possibilité qu’une décision du président de la société, précisant explicitement qu’un dirigeant n’exerce plus de fonctions dans le secteur financier, puisse constituer une preuve suffisante pour démontrer que ce dirigeant n’a effectivement plus d’attributions dans ce secteur, dès lors que ladite décision du Président a été déposée au greffe du Tribunal de commerce.

Bref rappel des faits

La société par actions simplifiée Gorke est une société holding dont l’objet social est d’acquérir, détenir et gérer toutes participations dans des sociétés tierces et de réaliser des prestations de conseil.

L’Administration a, au cours d’une vérification de comptabilité, estimé qu’elle exerçait également une activité financière pour laquelle elle était redevable de la TS et, qu’à cet égard, les rémunérations versées à sa directrice générale devaient être incluses dans l’assiette de cette taxe.

Arrêt

Après avoir rappelé que les fonctions de directeur général d’une SAS confèrent à leur titulaire, conformément aux dispositions du code de commerce, des pouvoirs étendus pour diriger la société, la Cour réaffirme, dans la lignée de la jurisprudence, que ces pouvoirs couvrent en principe le secteur financier. Les circonstances que cette activité soit externalisée à des tiers, confiée à des salariés dédiés, ou que les opérations dans ce domaine restent très limitées sont indifférentes.

Il appartient donc au contribuable de démontrer que le dirigeant ne dispose pas d’attributions dans le secteur financier afin de renverser cette présomption simple.

À cette fin, la société produit un procès-verbal de décision du président en date du 30 septembre 2009, précisant que la directrice générale n’exerce plus d’attributions dans le secteur financier. Cette décision se substitue – selon elle – à celle du 1er janvier 2007, déposée au greffe du tribunal de commerce le 20 janvier 2009, laquelle indiquait que la directrice générale disposait des mêmes pouvoirs que le président, incluant ainsi des compétences dans le domaine financier.

La Cour a rejeté la demande de décharge du contribuable au motif que la décision du président datée du 30 septembre 2009 ne peut être regardée comme ayant date certaine, faute d’avoir été déposée au greffe.

La Cour d’appel de Toulouse semble implicitement reconnaître qu’un procès-verbal publié au greffe permet d’établir l’absence d’attributions dans le secteur financier

En relevant que le procès-verbal du 1er janvier 2007, accordant des pouvoirs étendus à la directrice générale, fait obstacle au renversement de la présomption de mixité d’activités, en raison de son dépôt au greffe du Tribunal de commerce, la Cour administrative d’appel de Toulouse en tire une conséquence implicite. Elle semble ici admettre qu’un procès-verbal publié au greffe peut, le cas échéant, constituer un élément de preuve propre à renverser cette présomption.

Il y aurait une certaine logique dans cette solution. En effet, la mention au greffe a notamment pour effet d’informer les tiers que le dirigeant, auquel ils pourraient avoir affaire, n’a pas de pouvoir effectif pour engager sa société, en l’occurrence dans le secteur financier. Dès lors, ce dirigeant n’a plus « les pouvoirs les plus étendus » pour engager la société.

À ce jour il n’est pas établi que cette décision soit définitive. Cela étant les assujettis à la TS ont intérêt, selon nous, à évaluer sans attendre si cette décision peut impacter leur propre situation pour l’avenir.


[1] Inversement, le Conseil d’État a précisé (CE n° 460838, 8e – 3e chambres réunies, 31 mars 2023) que, pour ne pas être redevable de la TS au titre des rémunérations payées au cours d’une année civile, un employeur doit, non seulement être assujetti cette année-là à la TVA sur une partie au moins de son chiffre d’affaires, mais aussi l’avoir été l’année précédente à hauteur d’au moins 90 % de son chiffre d’affaires.  

[2] Le rapport d’assujettissement est en principe déterminé de la manière suivante : Recettes hors du champ de la TVA et exonérées de TVA (au numérateur) / Toutes les recettes de la société (au dénominateur).

[3] Les entreprises ayant constitué des secteurs d’activité distincts en matière de TVA en application des dispositions de l’article 209 annexe II au CGI doivent déterminer le montant de TS en appliquant aux rémunérations des employés et aux dirigeants affectés spécialement à chaque secteur le rapport d’assujettissement propre à ce dernier. Par exception, les rémunérations des salariés concurremment affectés à plusieurs secteurs doivent être soumises au rapport d’assujettissement général de l’entreprise (BOI-TPS-TS-20-30 §190).

[4] En pratique, il revient à l’entreprise de démontrer que le dirigeant est dépourvu de tout contrôle et responsabilité en matière financière. Par exemple, s’agissant d’une société holding, il a été jugé (CE n° 406064, SAS ICMI, 19 juin 2017) que « les pouvoirs visés au point précédent [responsabilité générale du président et du directeur général d’une SAS listée par le code de commerce] s’étendent en principe au secteur financier, même si le suivi des activités est sous-traité à des tiers ou confié à des salariés spécialement affectés à ce secteur et si le nombre des opérations relevant de ce secteur est très faible. Toutefois, s’il résulte des éléments produits par l’entreprise que certains de ses dirigeants n’ont pas d’attribution dans le secteur financier, notamment lorsque, compte tenu de l’organisation adoptée, l’un d’entre eux est dépourvu de tout contrôle et responsabilité en la matière, la rémunération de ce dirigeant doit être regardée comme relevant entièrement des secteurs passibles de la TVA et, par suite, comme placée hors du champ de la taxe sur les salaires. »

[5] Ibid.


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