Le CE admet, au plan des principes, que le transfert d’un actif incorporel (une clientèle au cas d’espèce) entre une succursale française et son siège étranger puisse être regardé comme un transfert indirect de bénéfices à l’étranger pour l’application des dispositions de l’article 57 du CGI.
Mise en œuvre des dispositions de l’article 57 du CGI relatives au transfert indirect de bénéfices à l’étranger
A titre de rappel, pour mettre en œuvre l’article 57 du CGI, une fois la condition de dépendance établie, l’Administration dispose de 2 possibilités :
- soit elle démontre l’existence d’un avantage accordé par une entreprise établie en France à une entreprise associée établie à l’étranger (la première pouvant alors combattre la présomption de transfert de bénéfices par la démonstration d’une contrepartie au moins équivalente à l’avantage consenti) ;
- soit, si elle n’y parvient pas, elle doit établir l’existence d’un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu pour démontrer l’existence d’une libéralité consentie par l’entreprise établie en France (CE, 7 novembre 2005, n°266436 et 266438, Cap Gemini, CE, 16 mars 2016, n°372372, Sté Amycel France et, pour une illustration plus récente, CE, 19 septembre 2018, n°405779, Sté Philips France).
L’histoire
Une société britannique a absorbé, en 2009 (avec effet rétroactif au 1er janvier), une société danoise, laquelle disposait depuis plusieurs années déjà d’une succursale en France.
A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration a estimé qu’à compter du 1er janvier 2009, la succursale française devait être regardée comme ayant transmis gratuitement au siège britannique la clientèle attachée à son activité d’assurance exercée en France et a regardé cette opération comme un transfert indirect de bénéfices au sens de l’article 57 du CGI.
Les juges du fond ont toutefois infirmé cette analyse, considérant que la succursale ne disposait, en réalité, pas au 1er janvier 2009 d’une clientèle propre.
La décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État se prononce en deux temps, d’abord en confirmant l’applicabilité de principe des dispositions de l’article 57 à un transfert sans indemnité de clientèle entre une succursale française et son siège étranger, puis en écartant l’existence d’une telle clientèle au cas d’espèce.
Applicabilité de l’article 57 à un transfert d’actif incorporel entre une succursale et son siège
Le Conseil d’État rappelle, en premier lieu, que les dispositions de l’article 57 sont applicables à toute entreprise imposable en France, y compris une succursale française d’une société dont le siège est à l’étranger, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que la succursale n’a pas de personnalité morale.
On observera que le Conseil d’État reprend ici le considérant de principe dégagé dans sa décision Société Sodirep Textiles SA-NV (CE, 9 novembre 2015, n°370974).
Rappelons que dans cette affaire, le Conseil d’Etat avait admis l’application du mécanisme de l’article 57 au titre d’intérêts d’avances non facturés par une succursale française à son siège belge.
Il admet ensuite expressément de décliner ce principe à la cession à une société établie hors de France, à titre gratuit ou à prix minoré, de la clientèle rattachable à l’activité d’une succursale française d’une société dont le siège est à l’étranger.
Rappelons que le Conseil d’État a déjà jugé qu’un transfert de clientèle sans indemnité entre deux sociétés est susceptible de constituer un transfert indirect de bénéfices à l’étranger (CE, 4 octobre 2019, n°418817, SAS Piaggio France).
L’extension de cette solution au transfert de clientèle d’une succursale à son siège suppose toutefois de pouvoir établir l’existence d’une clientèle propre à la succursale.
Sur l’existence d’une clientèle propre à la succursale française
L’argument de l’Administration tenait à ce qu’avant le 1er janvier 2009, la succursale française (dont le siège étranger était alors au Danemark) supportait seule le risque d’exploitation de l’activité d’assurance réalisée en France.
Si le Conseil d’État ne conteste pas ce point, il fait toutefois sienne l’analyse retenue par les juges d’appel, selon laquelle la succursale ne disposait pas, pour autant, d’une réelle autonomie commerciale, de nature à établir l’existence d’une clientèle propre.
A cet égard, il souligne qu’avant le 1er janvier 2009 :
- les contrats proposés par la succursale étaient régis par le droit danois et ne bénéficiaient d’aucune adaptation particulière à la situation française ;
- l’ensemble des services proposés aux assurés – notamment le service d’assistance – étaient assurés au Danemark ;
- les contrats passés avec les courtiers d’assurance chargés de prospecter sur le territoire français étaient en partie conclus par la société danoise.
En outre, il n’était pas établi que les salariés de la succursale française avaient pour fonction de développer une clientèle propre au profit de la succursale.
Enfin, le Conseil d’Etat relève que si l’enregistrement des clients français selon une cotation spécifique permettait de faire une analyse comptable propre aux clients ayant conclu des contrats avec des courtiers exerçant sur le territoire français, il ne démontrait pas que l’activité de la succursale aurait consisté à développer une telle clientèle.
Il en conclut donc qu’en l’absence d’autonomie commerciale réelle avérée, la succursale ne pouvait être regardée comme disposant d’une clientèle propre qu’elle aurait été en mesure de transférer à son siège britannique.
- CE, 21 décembre 2022, n°450796