Le Conseil d’Etat confirme l’absence de crédit d’impôt conventionnel au titre de la RAS supportée au Luxembourg sur des dividendes versés par une société ayant conservé son centre de décision en France. Il juge par ailleurs que le contribuable, personne physique, domicilié en France, qui a perçu les dividendes de cette société peut, sous certaines conditions, déduire la RAS supportée au Luxembourg à raison de ces revenus pour son imposition à l’IR.
Rappel
En application de l’article 2§4 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise de 1958 (précédente convention – à rapprocher de l’article 4§3 de l’actuelle convention fiscale franco-luxembourgeoise de 2018), la résidence fiscale des personnes morales est située au lieu de leur centre effectif de direction, ou si cette direction effective ne se trouve ni dans l’un ni dans l’autre des Etats contractants, au lieu de leur siège. Cette ancienne convention (tout comme celle de 2018), ne contient pas de définition de cette notion de « siège de direction effective ».
De son côté, la jurisprudence du Conseil d’Etat définit généralement la notion de centre effectif de direction comme le lieu où les personnes exerçant les fonctions les plus élevées prennent les décisions stratégiques en matière de gestion et de politique industrielle ou commerciale qui déterminent la conduite des affaires de cette entreprise dans son ensemble (voir notamment CE, 16 avril 2012, n°323592 et BOI-INT-CVB-LUX-10 § 150).
Cette qualification relève donc essentiellement d’une question de fait qui, loin d’être évidente, repose sur la réunion d’un ensemble d’indices.
L’histoire
Au cours de l’année 2005, une société holding française transfère son siège social au Luxembourg tout en conservant un établissement stable en France. Cet établissement stable fait l’objet d’une vérification de comptabilité au titre des exercices 2006 à 2011. A cette occasion, l’Administration estime que la société a conservé son siège de direction effective en France et procède dès lors :
- à une réintégration dans le revenu imposable à l’IR en France des dividendes de l’associé résident fiscal français ;
- sans prise en compte d’un quelconque crédit d’impôt sur le fondement des articles 8 et 19 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise de 1958, au motif que le versement de dividendes avait eu lieu in fine dans un cadre purement national.
N’ayant pas obtenu gain de cause devant les juges du fond, le contribuable se pourvoit en cassation pour demander la décharge des impositions supplémentaires résultant de ces redressements.
La décision
Sur la notion de « centre effectif de direction »
Le Conseil d’Etat confirme la décision d’appel sur ce point et considère que le centre effectif de direction de la société se situe en France en dépit de l’opération de transfert de siège social au Luxembourg.
A ce titre, il relève :
- La faiblesse des moyens humains et matériels de la société au Luxembourg :
- local d’une surface inférieure à 15m2 au Luxembourg mis à sa disposition par une société luxembourgeoise de domiciliation
- un unique salarié, de la même société de domiciliation, exerçant pour elle une activité de comptable, limitée à quelques heures par semaine
- Le fait que les contrats de la société ont continué à être signés et les décisions à être prises depuis le siège parisien d’autres sociétés du groupe par le contribuable et son co-associé, tous deux domiciliés en France.
En outre, le Conseil d’Etat considère que le fait que la société tenait ses assemblées générales et ses conseils d’administration au Luxembourg ne saurait, par lui-même, être suffisant pour établir que le centre effectif de décision de la société se trouvait dans cet Etat (dans le même sens, voir CE, 7 mars 2016, n°371435, Société Compagnie internationale des wagons-lits et du tourisme).
On notera que, de son côté, la Cour avait également tenu compte de l’importance des moyens mobilisés en France, pour la gestion financière, comptable et fiscale de la société puisque :
- des ordres de mouvement de titres et des ordres de virements bancaires de la société étaient émis depuis la France
- les relevés périodiques des comptes bancaires détenus par la société étaient envoyés au cabinet comptable situé à Paris, et ce cabinet était également destinataire des déclarations de TVA de la société avant leur dépôt au Luxembourg
Cette solution est à rapprocher à la récente décision du TA de Montreuil (TA Montreuil, 20 février 2023, n°2011623) qui confirme, au regard des faits et circonstances en cause, la localisation du « siège de direction effective » en France d’une société britannique.
Sur le sort de la RAS prélevée l’étranger (Luxembourg)
Le Conseil d’Etat refuse le bénéfice des dispositions de la convention franco-luxembourgeoise en l’absence de résidence fiscale luxembourgeoise de la société. En effet, faute pour la société d’avoir son domicile fiscal au Luxembourg, la haute juridiction approuve la Cour d’avoir suivi la position de l’Administration et jugé que le contribuable ne pouvait bénéficier d’un crédit d’impôt prévu par les stipulations de l’ancienne convention fiscale franco-luxembourgeoise de 1958 (art. 19 §2) à hauteur du montant de la RAS qu’il a supportée au Luxembourg sur ces dividendes.
Pour autant, le Conseil d’Etat ne valide pas la décision des juges du fond dans son ensemble. En effet, il reproche à la CAA de Marseille d’avoir rejeté la demande subsidiaire du contribuable, fondée sur l’article 122 du CGI, afin de déduire la RAS supportée au Luxembourg des dividendes reçus dès lors que les 2 conditions suivantes étaient remplies :
- l’ancienne convention fiscale franco-luxembourgeoise ne comportait aucune stipulation excluant la possibilité de déduire l’impôt acquitté au Luxembourg d’un revenu imposable en France ; ET
- le contribuable, bénéficiaire des dividendes, a supporté la charge fiscale (RAS luxembourgeoise) ayant pesé sur ces dividendes.
L’affaire est donc renvoyée, dans cette mesure, devant la CAA de Marseille.
- CE, 15 mars 2023, n°449723
- TA Montreuil, 20 février 2023, n°2011623