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Trusts : les trusts canadiens à l’origine d’une nouvelle jurisprudence ?

Cour d'appel de Paris

Pour la Cour d’Appel de Paris les actifs d’un trust canadien ne sont taxables qu’au Canada, en vertu de convention fiscale France/Canada (CA Paris n° 21/10189, 6 février 2023).

Avec cette décision, la juridiction crée une base légale empêchant de faire application du prélèvement sui generis prévu à l’article 990 J du CGI à un trust constitué au Canada par une résidente fiscale française, le trust étant qualifié de « personne » au sens de ladite convention. En effet, en application de la convention fiscale, le Canada disposait d’un droit exclusif d’imposer la fortune relative aux biens situés dans ce trust. La décision a fait l’objet d’un pourvoi. Il s’agit donc d’une affaire à suivre attentivement.

L’histoire

Dans les années 80, une résidente fiscale française a créé un trust discrétionnaire et irrévocable au Canada.

A l’occasion d’un contrôle sur pièces portant sur l’impôt sur la fortune, l’Administration avait considéré que les avoirs détenus au sein du trust auraient dû être déclarés par la contribuable pour les besoins de l’ISF. Sur le fondement de l’article 990 J du CGI, l’administration fiscale soumet alors le trustee au prélèvement sui generis applicable en matière de trust pour les années 2012 à 2015, qui, pour rappel, a vocation à s’appliquer en cas de manquement de dépôt des déclarations de patrimoine auprès de l’administration fiscale française (ISF/IFI). Ce prélèvement, dû par le trustee, est calculé sur la base du taux marginal de l’ISF/IFI, à savoir 1,5 % de la valeur des biens situés en trust et soumis à ISF/IFI.

Afin de contester cette imposition, l’administrateur du trust avait donc entendu se prévaloir de la convention fiscale conclue entre la France et le Canada le 2 mai 1975 relative à l’élimination des doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, qui accordait au seul État de résidence du trust le droit d’imposer les avoirs litigieux, i.e. le Canada.

Tout l’enjeu pour la Cour d’appel de Paris a donc été de déterminer si cette situation tombait dans le champ d’application de la convention franco-canadienne. Pour cela, la cour a été amenée à répondre à deux questions :

Le trust pouvait-il être considéré comme une « personne » au sens de la convention fiscale franco-canadienne ?

À cette première question, le juge de la cour d’appel répond par la positive en reprenant les termes de l’article 3 de la convention franco-canadienne selon lesquels « Au sens de la présente Convention : […] Le terme « personne » comprend tous autres groupements de personnes et, dans le cas du Canada, […] les fiducies (trusts). »

Malgré le fait que le trust soit qualifié de « personne » au sens de la convention, le juge a tout de même pris le soin de préciser que pour bénéficier de la convention, le trust devait impérativement être considéré comme résident fiscal français ou canadien, i.e. qu’il soit donc constitué au Canada, la France ne reconnaissant pas l’existence des trusts dans son droit interne.

Dans le cas présenté à la cour, le trust ayant été constitué au Canada, sa qualité de résident fiscal canadien n’avait fait l’objet d’aucun débat. Ce dernier a donc pu valablement invoquer le bénéfice de la convention franco-canadienne.

Le prélèvement sui generis était-il un impôt couvert par la convention fiscale franco-canadienne ?

Dans un second temps, la cour a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si le prélèvement sui generis était un impôt couvert par la convention franco-canadienne.

A cette question, et sans grande surprise au vu de la nature du prélèvement et de sa raison d’être – à savoir, un prélèvement pensé comme un substitut à l’ISF tel que le rappellent les travaux préparatoires de la loi de finances rectificative pour 2011 -, la cour a répondu par l’affirmative.  En effet, ce prélèvement s’applique lorsque ses redevables n’ont pas inscrit les biens placés dans un trust dans leur déclaration de patrimoine.

Le juge estimant que le prélèvement sui generis était en réalité une typologie d’impôt sur la fortune, de nature, d’assiette et de taux analogues à ceux de l’ISF, il en déduit que le prélèvement sui generis était donc couvert par l’article 2 de la convention selon lequel « Sont considérés comme impôts […] sur la fortune les impôts perçus […] la fortune totale ou sur des éléments […] de la fortune ».

Enfin, ultime étape du raisonnement, le juge d’appel fait application de l’article 22, paragraphe 6 qui prévoit que « tous les autres éléments de la fortune d’un résident d’un État contractant ne sont imposables que dans cet État » pour justifier que les biens situés au sein du trust canadien, lequel est une personne dont la résidence fiscale est fixée au Canada, sont imposables au Canada uniquement et non en France.

Portée de la décision ?

Cet arrêt invite cependant à la prudence, s’agissant d’un arrêt rendu par une cour d’appel.
Il conviendra de suivre attentivement si la position prise par la Cour d’appel de Paris sera suivie par la Cour de cassation pour juger de la portée de cette analyse.

De surcroît, soulignons que la Cour d’appel de Paris ne pose pas de principe général selon lequel un trust est considéré comme une personne en droit français.

Enfin, il est à noter que cette décision concernait spécifiquement la convention d’élimination des doubles impositions conclue entre la France et le Canada, en matière d’impôts sur le revenu et d’impôts sur la fortune.

Elle ne saurait être transposée à toutes les conventions fiscales ratifiées par la France sans une analyse approfondie des termes des conventions dont un contribuable entendrait se prévaloir pour échapper à une imposition de sa fortune en France.

En ce sens, une analogie pourrait être faite avec la convention conclue entre la France et les États-Unis qui prévoit dans son article 4 que le terme « résident d’un État contractant » comprend dans une certaine mesure, « les trusts de retraite et les autres organismes constitués dans cet État et établis exclusivement aux fins d’administrer des fonds » ou bien, « dans le cas des États-Unis » seulement, les « trusts ou fonds dénommés « Regulated Investment Company », « Real Estate Investment Trust » ».

 

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