Le Conseil d’Etat, par un arrêt en date du 15 novembre 2019, n°420251, affaire « Eye Shelter », casse l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 28 décembre 2017 en application des principes dégagés par la jurisprudence communautaire (arrêt du 26 avril 2017 C-564/15 Tibor Farkas et arrêt du 11 avril 2019 C-691/17 PORR Epitesi Kft).
La société Eye Shelter, établie au Luxembourg, a acquis avec TVA, auprès de la société Alcon Pharmaceutical, des biens situés en France. La société Eye Shelter a revendu les biens à une société non établie en France qui les a elle-même revendus à des clients français ou établis en Europe. La société Eye Shelter a demandé le remboursement de la TVA supportée sur son achat auprès de la société Alcon Pharmaceutical, qui lui a été refusé par l’administration fiscale. Cette décision a été confirmée par le Tribunal Administratif de Montreuil et la Cour Administrative d’Appel de Versailles au motif que la TVA payée avait été facturée à tort.
Le Conseil d’Etat rappelle les principes dégagés par la Cour de Justice de l’Union européenne dans les arrêts Tibor Farkas et PORR Epitesi Kft : lorsque l’acquéreur d’un bien a versé par erreur au fournisseur la TVA mentionnée à tort sur les factures émises par ce dernier, alors que, en application du régime de l’auto-liquidation, il aurait dû, en tant que bénéficiaire d’une livraison de biens, s’acquitter directement de la TVA auprès des autorités fiscales, il ne peut pas se prévaloir d’un droit à déduction de la taxe acquittée à tort. Les autorités fiscales nationales sont, dès lors, fondées à refuser à l’acquéreur l’exercice de ce droit, ainsi que, le cas échéant, la restitution du crédit de taxe déductible qui en découle.
En revanche, l’acquéreur peut demander au fournisseur le remboursement de la taxe qu’il a indûment versée. Conformément aux principes d’équivalence et d’effectivité, ces conditions ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des réclamations semblables et fondées sur des dispositions du droit interne, ni aménagées de manière à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice, par l’acquéreur des biens, des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union. Si le remboursement de la TVA devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du vendeur, le principe d’effectivité peut exiger que l’acquéreur puisse diriger sa demande de restitution directement contre les autorités fiscales. Enfin, lorsque le non-respect des règles du régime de l’auto-liquidation entraîne un risque de perte de recettes fiscales pour l’Etat membre intéressé, ce dernier peut, avant d’accorder la restitution demandée, vérifier que le risque d’une telle perte a été préalablement éliminé, notamment du fait que l’auteur de la facture erronée a reversé au Trésor public la taxe indûment collectée.
Pour juger que la société Eye Shelter n’était pas fondée à obtenir la restitution de la TVA payée à son fournisseur suisse, la Cour d’Appel a retenu, par des motifs non contestés en cassation, que la société Eye Shelter, bien qu’elle ne se soit pas identifiée spontanément à la TVA en France, était soumise au régime de l’auto-liquidation prévu par les dispositions du deuxième alinéa du 1 de l’article 283 du Code Général des Impôts. Elle a relevé, en outre, que la société Eye Shelter n’avait pas obtenu de son fournisseur suisse des factures rectificatives ne mentionnant plus la TVA afférentes aux livraisons litigieuses. En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher si la société avait établi être dans l’impossibilité d’obtenir de son fournisseur suisse le remboursement de la taxe qu’elle lui avait versée ou que ce remboursement était excessivement difficile et, dans l’affirmative, de s’assurer que le risque de perte de recettes fiscales pour le Trésor public avait été éliminé, la cour a commis une erreur de droit.
En dépit de la complexité des faits dans cette affaire (dans la mesure où l’existence d’une TVA facturée à tort n’a pas été soulevée devant le Conseil d’Etat alors que ce point n’est pas évident), cette décision doit être appréhendée comme favorable pour le contribuable. Il conviendra donc de suivre avec attention la nouvelle décision de la Cour d’Appel de Versailles à qui l’affaire a été renvoyée.