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Contrôle des investissements étrangers en France : le filtrage encore renforcé !

Le décret relatif aux investissements étrangers en France (IEF) cherche à renforcer la protection des entreprises stratégiques de certaines acquisitions étrangères. Il entrera en vigueur le 1er juillet 2020 : toute demande d’investissement, à compter de cette date, sera régie par le nouveau dispositif. Ce contrôle, que l’on nommera « filtrage des investissements directs étrangers (IDE) » en adoptant la nouvelle terminologie européenne, s’inscrit désormais dans un cadre européen, adopté le 19 mars 2019.

Une question de contrôle

Le contrôle des investissements étrangers en France avait déjà fait l’objet d’une réforme significative en novembre 2018 (décret n° 2018-1057), entrée en vigueur le 1er janvier 2019.

Dès lors qu’il investit en France dans une activité sensible visée par les textes, un étranger doit obtenir une autorisation pour réaliser valablement l’investissement.

La notion d’étranger pour l’application de cette procédure de contrôle est large car elle vise toute personne physique non ressortissante d’un Etat membre de l’UE ou de l’EEE, une personne de nationalité française non résidente dans l’un de ces même Etats et toute personne morale dont le siège social n’est pas situé dans l’un de ces mêmes Etats.

Le renforcement le plus récent passe par l’abaissement du seuil de participation à 25 % (contre, actuellement, une détention des droits de vote d’une entité de droit français de 33,33 %). L’investisseur étranger devra alors déposer une demande d’autorisation dès lors que cette prise de participation entre dans un des secteurs protégés.

Un investissement soumis à autorisation, en droit français, est entièrement lié à l’idée de contrôle qu’exercera l’investisseur étranger car, outre le seuil de participation déjà évoqué, les textes visent l’acquisition du contrôle d’une entreprise française (siège social en France) ou l’acquisition de tout ou partie d’une branche d’activité d’une entreprise française.

Une conception extensive de la notion de contrôle

Cette notion de contrôle, issue du Code de commerce, est sans doute large car elle englobe les hypothèses de détention d’une fraction de capital conférant la majorité des droits de vote ou le simple fait de disposer seul de la majorité des droits de vote indépendamment de la fraction de capital détenu, ou encore lorsque l’on détermine en fait les décisions prises par les assemblées générales.

Le tamis n’en demeure pas moins à grosse maille : restent en dehors toutes les transactions par un investisseur étranger qui, sans lui conférer aucun contrôle, au sens précité, lui permettent d’avoir directement accès à des données ou des technologies sensibles (licence, par exemple).

Un champ d’application étendu

La liste des secteurs qui entrent dans le champ d’application du contrôle est encore enrichie.

En 2019, le Code monétaire et financier ajoutait à la liste de l’article R 153-2 du Code monétaire et financier1, l’aérospatiale et la protection civile, les activités de recherche et développement en matière de cybersécurité, d’intelligence artificielle, de robotique, de fabrication additive, de semi-conducteurs ainsi que les hébergeurs de données sensibles. En 2020 sont ajoutés la presse écrite et les services de presse en ligne d’information politique et générale, la sécurité alimentaire, le stockage d’énergie et les technologies quantiques.

Une procédure de demande d’autorisation plus contraignante

Enfin, la procédure de demande d’autorisation implique désormais pour l’investisseur de faire connaître ses liens avec des Etats ou des organismes publics étrangers, puisque dorénavant les autorités publiques françaises, c’est-à-dire le ministre chargé de l’économie, pourront « prendre en considération le fait que l’investisseur entretient des liens avec un gouvernement ou un organisme public étranger ».

La possibilité pour l’Etat français de contrôler les IEF, prévue initialement par une loi de 1966 relative aux relations financières avec l’étranger, fut réduite en 1996, le régime adopté faisant alors triompher le principe de la liberté des investissements étrangers en France d’origine communautaire ou non, ne conservant une procédure d’autorisation que dans des cas très limités. C’est en 2005 que la législation française renoue avec une procédure plus large du contrôle des investissements étrangers.

Une telle volonté de contrôle, intervient aujourd’hui dans un contexte de contestation et de remise en cause du libre-échangisme. Au-delà des discours populistes et altermondialistes, voire de décroissance, la question bien réelle de la protection par un pays de son patrimoine économique, technologique et scientifique et de la sauvegarde de son intégrité et de son indépendance mérite d’être réévaluée à la lumière du contexte actuel.

Cela explique l’adoption récente du règlement (UE) n° 2019/452 du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) dans l’Union. C’est le premier instrument juridique visant à protéger l’UE face à des IDE pouvant menacer la sécurité ou l’ordre public.

Jusqu’alors, l’article 65 TFUE prévoyait simplement la possibilité de déroger à la libre circulation des capitaux en adoptant des mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique. Ce droit primaire, qui demeure, donnait donc une base juridique aux Etats membres pour contrôler les IDE, y compris au sein du marché unique entre ressortissants européens, mais ne stimulait pas cette pratique conçue comme une dérogation. Cette disposition ne stimulait aucune collaboration entre les Etats membres à cet effet.

Le filtrage, nouveau concept en droit européen

Le droit européen s’enrichit d’une nouvelle notion, celle du filtrage : toute procédure qui permet d’évaluer, d’examiner, d’autoriser, de soumettre à condition, d’interdire ou d’annuler un IDE.

La décision de procéder au contrôle d’un investissement étranger demeure de la compétence et du choix politique des Etats membres. Le cadre européen ainsi créé visant à assurer coordination et coopération entre les Etats et non à imposer un régime juridique communautaire. Du moins, à ce stade.

L’évolution psychologique n’est pas anodine : ce règlement ouvrant la voie au filtrage des investissements étrangers, à rebours de l’usuelle défense candide du libre-échangisme, marque un tournant. L’UE prend acte de l’importance de la géoéconomie, c’est-à-dire le glissement des rapports de force internationaux exclusivement fondés sur la puissance militaire à un fondement puisé à la puissance économique.

Si les dispositifs demeurent nationaux, et que seuls 14 Etats membres disposent de mécanismes nationaux de filtrage, le cadre européen ne pourra que favoriser l’affirmation d’un réalisme international.

A cet égard, le règlement, pragmatique, prévoit la possibilité pour un Etat membre de lutter contre les contournements réalisés aux moyens de « montages artificiels », tel un investisseur européen détenu ou contrôlé par une personne morale ou une personne physique d’un pays tiers. Cette volonté de lutter contre un cheval de Troie est essentielle, comme le révèlent les expériences du CFIUS, le Committee on Foreign Investments in the United States. Ce dernier étend en effet son filtrage d’un investissement étranger non seulement aux transactions impliquant une prise de contrôle d’une entité sensible américaine, mais également, en dehors de tout contrôle, aux transactions qui impliquant un investisseur étranger lui donne des droits d’accès à des informations, des savoir-faire ou des données jugées sensibles et stratégiques.

La future recommandation, instrument non contraignant, de la Commission européenne en matière de réseaux 5G appelant les Etats membres à filtrer, par un contrôle, des restrictions ou une interdiction, l’accès au marché européen aux « opérateurs à risque » s’inscrit dans cette nouvelle realpolitik économique.

Un dispositif visant à répondre aux enjeux de la globalisation

Que penser de ces régimes défensifs ? Le débat oppose les défenseurs d’une ouverture large, arguant de la nécessité d’attirer des investisseurs, aux défenseurs d’une plus grande protection des intérêts « nationaux ». Cela revient à enfermer le débat dans un jeu de ping-pong stérile car l’enjeu est plus qualitatif et plus de long-terme : ce qui est en jeu est l’accouchement d’un modèle économique et politique nouveau et non la simple régulation des investissements étrangers. Autrement dit, ces mesures techniques n’ont de sens que si on les inscrit dans une réflexion de développement durable et de stabilité à long terme.

Il serait donc erroné d’y voir la volonté de l’UE de se replier sur elle-même, mais au contraire une reconnaissance de l’évolution actuelle de l’état du monde, coincé entre une globalisation incontournable, la prise en compte des situations nationales (démocratie, populismes, déclassement, inégalités, etc.) et des enjeux globaux : croissance et climat.

 


1 Divers décrets, depuis 2005, avait abouti à la liste suivante des secteurs sensibles : jeux d’argent (hors casinos), sécurité privée, R & D d’agents pathogènes ou toxique, matériel d’interception des correspondances et détection des conversations, services et biens liés à la certification de la sécurité des systèmes informatiques, technologies à double usage, cryptologie, activités relevant du secret défense, les armes et munitions, activités essentielles à la garantie des intérêts du pays en matière d’ordre public, de sécurité publique ou de défense nationale (approvisionnement énergétique, approvisionnement en eau, réseaux et services de transport et de communication électronique, ouvrages d’importance vitale, santé publique).

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