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Activité occulte et faculté pour le contribuable d’apporter la preuve d’une erreur

Le Conseil d’Etat juge qu’un joueur de poker professionnel ne peut se prévaloir, au titre des années 2013 et suivantes, d’une erreur de nature à lui permettre d’échapper à la majoration pour activité occulte.

Rappel

En cas de découverte d’une activité occulte, le droit de reprise de l’Administration s’exerce jusqu’à la fin de la 10e année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due. L’activité est considérée comme occulte lorsque le contribuable n’a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu’il était tenu de souscrire, et qu’il n’a pas fait connaître son activité à un CFE ou au greffe du tribunal de commerce, ou qu’il s’est livré à une activité illicite (LPF, art. L. 169 et L. 174).

En outre, la découverte d’une telle activité est susceptible d’entraîner l’application d’une majoration de 80 % (CGI, art. 1728,1, c).

La preuve du caractère occulte est présumée apportée dès lors que le contribuable ne s’est pas acquitté de ces obligations déclaratives, sans que l’Administration ne soit tenue de démontrer de surcroît que son comportement révélait son intention de dissimuler son activité (CE, 7 décembre 2015, n° 368227, Frutas y Hortalizas SL).

Le contribuable peut toutefois renverser cette présomption, en faisant valoir qu’il a commis une erreur justifiant qu’il ne se soit acquitté d’aucune de ses obligations déclaratives (solution d’abord limitée à l’application de la majoration pour activité occulte, CE, 7 décembre 2015, n°368227, Sté Frutas y Hortalizas Murcia SL,  puis transposée à l’application du délai spécial de reprise de 10 ans, CE, 21 juin 2018, n°411195).

L’histoire

Un contribuable a fait l’objet de 2 vérifications de comptabilité au titre de son activité de joueur de poker professionnel (périodes 2007-2015 et 2016).

L’Administration l’a assujetti à des cotisations supplémentaires d’IR au titre des années 2013 à 2016, résultant de l’évaluation d’office de ses BNC. Elle lui a également infligé la majoration de 80 % pour activité occulte, prévue à l’article 1728, 1, c du CGI.

Le contribuable a alors tenté de faire échec à l’application de la majoration de 80 %, en faisant valoir qu’il avait commis une erreur.

Les juges d’appel ont accueilli favorablement l’argument, en relevant que ce n’était que postérieurement aux années en litige que la jurisprudence et l’administration fiscale avaient « expressément estimé » que les gains réalisés au poker étaient, dans certaines conditions, imposables à l’impôt sur le revenu.

La décision du Conseil d’Etat

Par le passé, le juge de l’impôt a déjà admis d’apprécier l’existence d’une erreur du contribuable à la lumière du degré d’incertitude jurisprudentielle et doctrinale entourant l’application de la règle fiscale litigieuse.

Ainsi, dans le cadre de l’affaire « Sté Conversant International Ltd », si la CAA de Paris a confirmé l’existence d’un établissement stable dans le domaine du digital, elle avait écarté la qualification d’activité occulte (incidences tant en termes de prescription que de pénalités), estimant que ce n’était que postérieurement aux années d’imposition en litige que la jurisprudence a adapté la notion traditionnelle d’établissement stable à l’économie numérique (CAA Paris, 8 décembre 2021, n°20PA03971).

Surtout, le Conseil d’Etat a reconnu le droit à l’erreur des joueurs de poker en matière de délai allongé de prescription du droit de reprise (CE, 21 juin 2018, n°411195) comme en matière de majoration pour activité occulte (CE, 22 novembre 2019, n°429286), considérant qu’au titre des années 2010 et 2011, ni l’Administration, ni la jurisprudence, n’avaient estimé que les gains tirés d’une telle activité étaient imposables à l’IR.

Mais le Conseil d’Etat considère qu’il en va autrement pour les années 2013 et suivantes, qui étaient ici en litige.

S’il reconnaît qu’il n’a lui-même pris position sur le sort des gains retirés de la pratique habituelle du poker qu’en 2018 (décision du 21 juin 2018, n°412124, tranchant en faveur de l’imposition dans la catégorie des BNC), il relève que l’existence de l’obligation déclarative ressortait, depuis fin 2012, tant de plusieurs décisions définitives des juges du fond, que de commentaires administratifs publiés au BOFiP le 12 septembre 2012 (BOI-BNC-CHAMP-10-30-40, § 20 – reprenant un arrêt du TA de Clermont-Ferrand du 21 octobre 2010, ainsi qu’une réponse ministérielle et posant le principe de l’imposition des profits réalisés par les joueurs de poker professionnels dans la catégorie des BNC).

Il écarte donc l’existence d’une erreur du contribuable de nature à faire échec à l’application de la majoration pour activité occulte.

On notera que l’Administration a modifié, le 28 juin 2023, ses commentaires au BOFiP, relatifs aux gains issus de la pratique habituelle du poker, pour y incorporer formellement la décision du Conseil d’Etat du 21 juin 2018 susmentionnée (BOI-BNC-CHAMP-10-30-40, § 20 dans sa rédaction issue de la mise à jour du 28 juin 2023).

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