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Cumul des sanctions pénales et fiscales : un enjeu de taille

Cet article a été publié pour la première fois sur Les Nouvelles Publications, et est reproduit sur ce blog avec l’autorisation de ses auteurs.

La loi de finances pour 2024 crée un nouveau délit relatif à la facilitation de la fraude fiscale, générant un risque pouvant atteindre 1,25 m€ d’amende et/ou 3 ans d’emprisonnement.

Dans un contexte de pénalisation croissante du droit fiscal, l’administration intensifie ses moyens de contrôle, le législateur muscle les sanctions des contrevenants et les magistrats sont confrontés à de délicates questions de cumul des sanctions fiscales et pénales.

Renforcer les moyens de l’administration

Les moyens de contrôle de l’administration se sont accrus et adaptés aux nouveaux procédés de la fraude fiscale. L’administration s’est notamment dotée d’outils numériques afin de mieux détecter les fraudes, notamment par la collecte et le traitement de données en masse et la création de services dédiés (data mining). La communication de données entre les contribuables et l’administration et entre les diverses administrations elles-mêmes s’est aussi renforcée à l’échelle internationale via la multiplication de directives européennes dites « DAC ».

Parallèlement aux moyens de contrôle des services de Bercy, on peut noter l’apparition d’aviseurs fiscaux – peu nombreux en pratique à ce stade – qui sont des tiers à l’administration fiscale et sont indemnisés pour la transmission d’informations lorsque le montant des redressements estimés est supérieur à 100 000 €.

La fraude fiscale en ligne de mire

Renforcer les moyens n’est pas la finalité. Afin d’accompagner ces évolutions, de nouvelles sanctions voient le jour. Récemment, la loi de finances pour 2024 a instauré une sanction complémentaire en cas de délit de fraude fiscale aggravée. Cette sanction s’accompagne également d’une privation des droits à réductions et crédits d’impôt en matière d’impôt sur le revenu et d’Impôt sur la fortune immobilière (IFI).

Dans le même temps, la loi de finances pour 2024 crée un nouveau délit relatif à la facilitation de la fraude, générant un risque pouvant atteindre 1,25 m€ d’amende et/ou 3 ans d’emprisonnement.

Le risque de double peine

Cette accélération et cette accumulation ne sont pas sans risque pour les entreprises. Et les juges se retrouvent parfois dans des situations complexes.

En effet, cette pénalisation de la matière fiscale engendre un risque de double peine pour les mêmes faits, avec des sanctions prononcées tant par le juge pénal que par le juge fiscal.

Ce cumul de peines est pourtant, en principe, interdit au titre de l’adage « non bis in idem » repris par l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Et, bien qu’encadré par des règles prétoriennes qui ont été dictées par le Conseil constitutionnel à la lumière des principes de sécurité juridique, de proportionnalité et nécessité des peines, une grille de lecture complexe doit être appréhendée par les juges.

Selon le Conseil constitutionnel, le cumul de peines doit être « prévisible » et la situation d’une certaine « gravité ». De plus, en application du principe de proportionnalité, « le montant cumulé des sanctions de même nature prononcées à l’encontre du contribuable à raison »des deux procédures ne doit pas excéder« le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » (Conseil constitutionnel, 24 juin 2016, QPC n° 2016-545 et QPC n° 2016-546).

Dans le cadre de l’appréciation des sanctions encourues, la quantification de celles-ci fait partie des questions qui se posent.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a apprécié la proportionnalité au regard de l’ensemble des sanctions encourues, c’est-à-dire qu’elles soient financières ou d’autre nature (CJUE, 5 mai 2022, Aff. C-570/20). Cette approche a été reprise dans un arrêt de la Cour de cassation statuant en tant que juge pénal après le juge fiscal (Cour de cassation – Chambre criminelle 22 mars 2023, n° 19.81.929).

A l’inverse, le Conseil d’Etat, en tant que juge de l’impôt dans une récente décision prononcée après le juge pénal, a apprécié la proportionnalité au regard des sanctions encourues de même nature (CE, 5 février 2024, n° 472284).

En toute hypothèse, il devrait relever du juge statuant en dernier lieu de s’assurer de la proportionnalité de la peine prononcée en veillant à ce que ce cumul n’excède pas la sanction encourue la plus élevée. Il est clair que cette tâche n’est pas aisée mais l’enjeu est de taille pour le contribuable qui ne saurait se voir sanctionner de façon disproportionnée.

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