Le Conseil d’État confirme que, en face d’un montage artificiel, l’Administration n’est pas tenue de vérifier si ce montage, conforme à la lettre du texte, est cependant contraire aux objectifs poursuivis par ses auteurs (subsidiarité du critère objectif). Il juge, de plus, que, pour remettre en cause le critère du but exclusivement fiscal, un contribuable ne saurait se prévaloir de ce que le montage litigieux aurait également permis un allègement des charges sociales.
Rappel
L’abus de droit par fraude à la loi (LPF, art. L. 64) suppose en principe la réunion de 2 critères : l’exclusivisme fiscal (critère subjectif) et une application littérale des textes, contraire à l’intention de leurs auteurs (critère objectif).
Il résulte toutefois d’une jurisprudence récente que, face à un montage artificiel, l’Administration n’est pas tenue de vérifier si ce montage, conforme à la lettre du texte, est cependant contraire aux objectifs poursuivis par ses auteurs (CE, 19 juillet 2017, n°408227, Ingram Micro, CE, 25 octobre 2017, n°396954). A l’inverse, à défaut d’apporter la preuve de l’artificialité du montage, l’Administration devra toujours établir la réunion des 2 critères (CE, 8 février 2019, n° 407641).
L’histoire
Les faits, assez complexes, peuvent être synthétisés comme suit.
Une société française exerçant une activité de gestion de fonds d’investissements commercialisés en France et à l’international (société opérationnelle), a constitué, avec ses cadres dirigeants, une société holding française, détenant elle-même des sociétés luxembourgeoises, ayant pour objet social le développement à l’international de la marque et des fonds de la société opérationnelle.
Ces sociétés luxembourgeoises ont perçu au titre de leur activité, des honoraires, qu’elles ont reversés à la holding française (dividendes placés sous le bénéfice du régime mère-fille), laquelle les a ensuite elle-même reversés sous forme de dividendes (directement ou via des holdings patrimoniales) à ses associés personnes physiques (i.e., les cadres dirigeants de la société opérationnelle française), selon des critères de performance.
A l’issue de contrôles sur pièces de la situation fiscale des cadres dirigeants au titre de l’IR sur les revenus des années 2010 à 2014, consécutifs à des vérifications de comptabilité des sociétés françaises, l’Administration a remis en cause ces opérations sur le terrain de l’abus de droit.
Elle a considéré que l’interposition des sociétés luxembourgeoises, de la holding française (et, le cas échéant, des holdings patrimoniales), était constitutive d’un montage artificiel ayant pour unique objet de convertir en dividendes la rémunération perçue par les cadres dirigeants de la société opérationnelle, au titre de leurs actions de promotion commerciale à l’international des fonds.
Elle a, en conséquence, imposé les sommes litigieuses directement entre les mains des cadres dirigeants, dans la catégorie des traitements et salaires.
La décision du Conseil d’État
Sur la caractérisation du montage artificiel
Le Conseil d’État confirme l’artificialité du montage dans son ensemble, en se fondant sur les éléments suivants :
- Les sociétés luxembourgeoises auxquelles avait été confiée la réalisation des prestations de promotion commerciale n’étaient pas en mesure de l’exercer, eu égard à leurs moyens matériels et humains limités (aucun apport en industrie à leur profit par la société holding française n’étant, de plus, établi) ;
- Ces sociétés avaient perçu des rémunérations hors de proportion eu égard à leurs dates de création respectives (rémunérations perçues en 2009 et 2010 pour des sociétés respectivement créées en décembre 2009 et en décembre 2010) ;
- La répartition des dividendes, par la société holding française (dont la seule source de profits était constituée des distributions reçues de ses filiales luxembourgeoises), n’était pas fonction du pourcentage de détention capitalistique des bénéficiaires, mais était décidée par un comité des résultats, constitué des cadres dirigeants de la société opérationnelle française, en fonction de critères de performance, relatifs notamment à l’activité de promotion à l’international des fonds.
- Enfin, cette activité de promotion à l’international des fonds n’était pas distincte de celle inhérente aux fonctions des mandataires sociaux de la société opérationnelle, lesquels l’exerçaient auparavant effectivement, avant la création des structures luxembourgeoises et de la holding française.
On notera que le Conseil d’État prend ici le soin de préciser que l’Administration n’a pas remis en cause la substance économique des structures interposées (l’une d’entre elles disposant d’une substance avérée), pas plus que la réalité des flux financiers entre ces différentes entités, mais l’artificialité du montage dans son ensemble.
Comme le souligne le rapporteur public dans ses conclusions, la « justification fractionnée (…) pour chacun des maillons de cette chaîne » est dépourvue de pertinence. Il rappelle, à cet égard, que « retenir l’existence d’un montage artificiel en présence d’une société qui n’est pas purement factice n’a rien d’innovant ».
Sur le critère du but exclusivement fiscal
La preuve de l’artificialité du montage étant apportée, le Conseil d’État ne s’attache qu’à l’examen du critère de l’exclusivité fiscale (critère subjectif).
Au cas d’espèce, les contribuables faisaient valoir que le montage litigieux leur avait également permis de réduire en tout ou partie les charges sociales afférentes à ces revenus salariaux, de sorte que l’opération poursuivait un motif autre que fiscal.
Le Conseil d’État retient toutefois le but exclusivement fiscal.
Dans ses conclusions, le rapporteur public avait considéré l’argument, indiquant que le fait que le gain de nature non fiscale invoqué par le contribuable soit un gain illicite n’était pas, per se, de nature à le disqualifier pour écarter l’exclusivité fiscale.