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Les difficultés du groupe ne justifient pas la modification du plan de sauvegarde d’une filiale

Les difficultés du groupe ne justifient pas la modification du plan de sauvegarde d’une filiale

Arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 28/11/2017

Le Code de commerce envisage la possibilité de modifier un plan de sauvegarde.

S’il s’agit d’une modification substantielle dans les objectifs et moyens du plan de sauvegarde, cette modification doit être décidée par le tribunal de commerce à la demande du débiteur, sur rapport du commissaire à l’exécution du plan (mandataire de justice en charge du bon suivi du plan), sur avis du ministère public et après avoir entendu les créanciers désignés contrôleurs et les instances représentatives du personnel.

Si le plan de sauvegarde a été validé par les comités de créanciers, cette modification doit également être acceptée par ces mêmes comités de créanciers à la majorité des deux tiers.

Dans la grande majorité des cas, la demande du débiteur intervient en présence de nouvelles difficultés financières pour honorer son plan qu’il doit justifier. La demande vise alors à modifier les modalités d’apurement du passif comme l’allongement de la durée du plan, le report des échéances sur les dernières années du plan ou l’obtention de remises contre un paiement accéléré.

Dans ce cas, le tribunal informe les créanciers concernés qui disposent alors d’un délai de quinze jours pour formuler leurs observations. A défaut de réponse, une option leur est imposée.

La réforme du droit des procédures collectives de 2014 a également prévu le cas, beaucoup plus rare, du retour à meilleure fortune du débiteur, situation en présence de laquelle le commissaire à l’exécution du plan peut lui-même prendre l’initiative de demander au tribunal une modification substantielle du plan au profit des créanciers lorsque la situation du débiteur le permet.

Que se passe-t-il si la demande de modification vise le plan de sauvegarde d’une société appartenant à un groupe : les difficultés du groupe justifient-elles la modification du plan de sauvegarde de la filiale ?

C’est justement la question à laquelle la Cour d’Appel de Paris a répondu par la négative dans son arrêt du 28 novembre 2017.

Selon cette décision, les nouveaux besoins de trésorerie du groupe ne permettent pas de justifier une demande de modification du plan de sauvegarde d’une filiale dont la seule finalité est de permettre une remontée de trésorerie plus rapide vers la holding du groupe au détriment des créanciers hors groupe à qui il est demandé des efforts très importants alors même que la filiale en question n’a aucune difficulté pour honorer son plan de sauvegarde.

Une demande de modification d’un plan de sauvegarde doit donc être justifiée au regard de la situation de la seule entité concernée et non pas globalement au niveau du groupe auquel elle appartient.

Au cas d’espèce, plusieurs sociétés d’un groupe exploitant une activité de vente de vêtements ont été placées en procédure de sauvegarde en juin 2015. Les plans de sauvegarde de ces sociétés ont été arrêtés en juillet 2016, chaque société du groupe étant soumise à des conditions singulières. En 2017, l’augmentation soudaine des ventes amène le groupe à vouloir modifier le plan de sauvegarde d’une des filiales qui venait justement de céder un actif important. Le but était de faire remonter de la trésorerie vers la holding du groupe qui centralisait les achats du groupe mais qui n’arrivait pas à obtenir des concours bancaires. La modification demandée aggravait sérieusement la situation des créanciers hors groupe de la filiale, tout en améliorant celle de l’ensemble du groupe. Le commissaire à l’exécution du plan, le juge commissaire et le ministère public ont unanimement donné un avis favorable à cette proposition de modification. Mais en juillet 2017, le Tribunal de commerce de Créteil rejette cette demande de modification au motif qu’il n’existait pas de motif grave inhérent à la filiale rendant nécessaire une modification si radicale du plan de sauvegarde. La filiale interjette appel de ce jugement en soutenant que sa difficulté ne résultait pas d’un manque de trésorerie mais de l’organisation de la trésorerie mise en place au sein du groupe et la centralisation des achats au niveau de la holding. Dans son arrêt du 28 novembre 2017, la Cour d’appel de Paris confirme le jugement de juillet 2017.

Les dernières réformes du droit français des entreprises en difficulté tendent à prendre en considération la notion de groupe pour plus d’efficacité comme la compétence unique d’un tribunal pour ouvrir toutes les procédures collectives des sociétés du groupe, la désignation de mandataires de justice communs à l’ensemble des procédures ou la désignation de coordinateurs.

Il en est de même au niveau du droit communautaire de l’insolvabilité (traitement coordonné des difficultés du groupe).

La jurisprudence continue toutefois à refuser de tenir compte des particularités du groupe de sociétés (notamment son unité patrimoniale, en dépit de sa réalité économique) lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts ; cet arrêt participe à cette résistance, laquelle va parfois contre l’avis des praticiens de l’insolvabilité (comme en l’espèce).

Un bon exemple est celui de la pratique des tribunaux de commerce lorsqu’ils vérifient les conditions d’ouverture d’une procédure collective à l’égard d’une société appartenant à un groupe. Ces conditions d’ouverture – difficultés insurmontables en cas de procédure de sauvegarde ou cessation des paiements en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire – sont en effet toujours examinées au regard de la situation de la seule société concernée (principe d’autonomie patrimoniale de chaque société) et non de la situation du groupe (ses capacités financières) auquel elle appartient (sauf cas particulier comme l’existence d’une lettre de support de la mère).

A l’inverse, la notion de groupe est bien prise en compte lorsqu’il s’agit de sanctionner les abus (extension de procédure, nullités de la période suspecte, action en responsabilité, co-emploi) ou d’imposer au groupe une obligation de reclassement des salariés licenciés.

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