Depuis quelques années, la Commission européenne mène une campagne contre certains APA et rulings fiscaux, lorsqu’elle considère qu’ils constituent des dispositifs déloyaux, intensifiant la concurrence fiscale intra-européenne au-delà de ce qui est acceptable. L’instrument utilisé pour mener cette bataille est le contrôle des aides d’Etats. Suivant le raisonnement de la Commission, un APA conclu à des conditions trop favorables et accordé de manière discrétionnaire à une société lui confère un avantage sélectif (une réduction de sa charge d’impôts) et constitue donc une aide d’Etat illégale. L’Etat coupable d’avoir accordé un tel APA est alors enjoint de récupérer l’aide accordée, c’est-à-dire, de faire payer à l’entreprise signataire tous les impôts dont elle n’a pas dû s’acquitter en raison de l’APA.
Retour sur les origines des affaires
En 2015, la Commission a notamment visé les Pays-Bas, qui avaient accordé un APA à la société Starbucks, concernant le calcul d’une redevance payée au propriétaire des incorporels du groupe, et le Luxembourg pour un APA accordé au groupe Fiat, concernant la rémunération de sa filiale de financement interne.
Dans ces deux situations, la Commission a considéré (en substance) que les APA signés par les Etats validaient une politique de prix de transfert non conforme au principe de pleine concurrence, et que, par conséquent, ils constituaient des aides d’Etats réputées illégales.
Les Pays-Bas et le Luxembourg ont contesté la décision de la Commission devant le tribunal de l’UE, qui a rendu son jugement fin septembre pour les deux affaires (pour Fiat : affaires T-755/15 Luxembourg v Commission et T-759/15 Fiat Chrysler Finance Europe v Commission et pour Starbucks : affaires T-760/15 Netherlands v. Commission et T-636/16 Starbucks and Starbucks Manufacturing Emea v. Commission).
Le tribunal a donné raison à la Commission dans l’affaire Fiat, mais a rejeté son analyse dans l’affaire Starbucks.
Les conclusions à tirer de ces deux jugements
Au-delà des considérations particulières, qui ont conduit la Cour à rendre des jugements opposés dans deux cas raisonnablement similaires, plusieurs conclusions peuvent être tirées de ces décisions :
- La Cour semble, dans les deux cas, valider l’approche de Commission selon laquelle un APA peut être considéré comme une aide d’Etat. Elle confirme également l’usage du principe de pleine concurrence comme norme permettant de juger si un APA accorde ou non un avantage sélectif à l’entreprise qui l’a signé, et ce, même si le principe de pleine concurrence n’est pas incorporé au droit positif national. Ces deux décisions confortent donc la Commission dans sa démarche de contrôle des APA en Europe, comme cela a été souligné par Margrethe Vestager, interrogée sur ce sujet après la publication des décisions
- Les deux jugements ne donnent cependant, et malheureusement, aucune indication vraiment précise sur la façon dont le principe de pleine concurrence est interprété par les instances européennes, et sur les critères qu’on doit suivre pour juger si un APA s’éloigne ou non de ce principe. La Commission a ainsi sa propre compréhension du principe de pleine concurrence, pas toujours simple à prévoir puisqu’elle peut différer de celle des administrations fiscales et des praticiens des prix de transfert, mais qui va servir de base aux futures analyses des APAs qu’elle va réaliser. L’incertitude est donc toujours très élevée pour les entreprises disposant de rulings en Europe, qui ne bénéficient donc pas de la sécurité juridique qui aurait dû leur être accordée par ces rulings, puisqu’ils sont susceptibles d’être remis en cause à tout moment par la Commission
Dans ce contexte, le jugement concernant l’APA signé par Apple en Irlande, qui a donné lieu au remboursement le plus élevé de l’histoire des aides d’Etat (13Mds€) est plus que jamais attendu par la communauté des fiscalistes.