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« Amendement Charasse » : modalités d’imputation sur le prix d’acquisition des titres du montant de l’augmentation de capital concomitante

Le Conseil d’État juge que les fonds apportés à la société cessionnaire lors d’une augmentation de capital réalisée simultanément à l’acquisition de titres sont déductibles du prix d’acquisition de ces titres, pour l’application du dispositif de l’amendement Charasse, sans condition d’affectation de ces fonds à l’opération d’acquisition.

Rappel

L’amendement Charasse est un dispositif qui limite la déductibilité des charges financières en cas d’acquisition à titre onéreux, par une société membre d’une intégration fiscale des titres d’une société qui devient membre de la même intégration fiscale, lorsque cette acquisition a été effectuée auprès de l’actionnaire, personne physique ou morale, qui contrôle le groupe, indépendamment du mode de financement de l’opération (CGI, art. 223 B, al. 6).

Les charges financières présumées liées à l’opération sont réintégrées à compter de l’exercice d’acquisition et des 8 exercices suivants. Leur montant est évalué forfaitairement pour chaque exercice par application, sur le total des charges financières déduites par toutes les sociétés du groupe fiscal, d’un coefficient de réintégration égal au rapport entre le prix d’acquisition des titres et le montant moyen des dettes des sociétés membres au titre de l’exercice considéré.

Le prix d’acquisition à retenir est réduit du montant des fonds reçus par la société cessionnaire dans le cadre d’une augmentation du capital réalisée simultanément à l’acquisition des titres, à condition que ces fonds soient apportés à la société cessionnaire par une personne autre qu’une société membre du groupe fiscal ou, s’ils sont apportés par une société du groupe fiscal, qu’ils ne proviennent pas de crédits consentis par une personne non-membre de ce groupe.

A titre de règle pratique, la condition tenant au caractère simultané de l’augmentation de capital et de l’acquisition des titres est considérée comme remplie si les fonds correspondants sont versés dans les 3 mois qui précèdent ou suivent l’achat des titres (BOI-IS-GPE-20-20-80-20, § 140, 31 juillet 2019).

Rappel des faits et du contentieux

Dans le cadre de la restructuration d’un groupe, une société française, créée pour l’occasion, a acquis, en 2014, les titres d’une société mère intégrée, en 2 temps :

La société cessionnaire s’est ensuite constituée tête d’un nouveau groupe intégré fiscalement.

A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2014 à 2016, l’Administration a considéré que la première opération d’acquisition, auprès de la société mère commune étrangère, tombait sous le coup de l’amendement Charasse, et a donc refusé la déduction partielle d’une partie des charges financières supportées.

Le litige a été porté devant les juridictions, la société arguant que le prix d’acquisition à retenir pour la détermination forfaitaire des charges financières à réintégrer au résultat d’ensemble devait être diminué de l’intégralité des apports en numéraires correspondant aux augmentations de capital réalisées de manière concomitante – aboutissant à un prix d’acquisition nul (et donc à l’absence d’application de l’amendement Charasse).

L’Administration considérait, au contraire, que ces apports en numéraires ne pouvaient être retenus que pour la seule fraction ayant servi au remboursement partiel de la prime d’émission (par emprunt auprès de la société mère commune étrangère) – à l’exclusion donc de ceux affectés à l’acquisition des titres de la cible auprès du fonds (hors du scope du Charasse).

La CAA de Paris a finalement confirmé la proratisation retenue par l’Administration, et jugé que les fonds apportés à la société cessionnaire lors d’une augmentation de capital réalisée simultanément à l’acquisition de titres ne sont déductibles du prix d’acquisition de ces titres, pour l’application du dispositif de l’amendement Charasse, qu’à concurrence du montant affecté au financement de cette acquisition (CAA Paris, 17 janvier 2025, n°23PA05010).

Nous nous étions alors interrogés sur la portée de cette décision, qui nous semblait procéder d’une lecture extensive des dispositions de l’article 223 B, al. 6 du CGI, non-éclairée, de surcroît, par la doctrine administrative.

La société a formé un pourvoi devant le Conseil d’État, et sollicité la transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel.

La décision du Conseil d’État

Le Conseil d’État juge, de manière dépourvue de toute ambiguïté, que les dispositions de l’article 223 B, al. 6 du CGI prévoient de réduire le prix d’acquisition du montant des fonds apportés à la société cessionnaire lors d’une augmentation de capital réalisée simultanément à l’acquisition des titres, « sans subordonner cette imputation à une condition d’affectation de ces fonds à l’opération d’acquisition ».

Cette clarification bienvenue aura notamment le mérite de mettre un terme aux appréciations divergentes retenues par les juridictions du fond (notons que la CAA de Nancy avait, elle, retenu une solution favorable au contribuable mais peu claire dans ses motifs, en jugeant que l’Administration ne saurait limiter le montant de l’augmentation de capital déductible du prix d’acquisition de la société cible par imputation d’une part de l’emprunt souscrit de manière concomitante par le cessionnaire – CAA Nancy, 18 juin 2020, n°18NC03443, SAS A. Schulman Holdings France, décision devenue définitive, CE (na) 7 octobre 2021, n°442325).

Cette précision apportée, le Conseil d’État refuse, ensuite, la demande de transmission de QPC formulée par la société.

L’avis du praticien : Christophe Le Bon

Cette clarification devrait permettre d’éviter de nombreux contentieux. C’est l’ensemble des éléments du passif qui permet de financer les actifs, quels qu’ils soient. On imagine quelles difficultés rencontreraient les sociétés si elles avaient à justifier avec quelle dette ou fonds propre est financé chaque actif. Le caractère par nature fongible des financements ne permet pas une telle allocation. C’est pour cette raison que la formule de calcul du coefficient de non-déductibilité des intérêts prévu par l’amendement Charasse est forfaitaire. Les augmentations de capital peuvent être déduites de la dette « incriminée » dès lors qu’elles sont concomitantes à l’acquisition et en numéraire. Ajouter à ces deux critères des conditions liées aux motivations supposées ou réelles de l’augmentation aurait rendu ce dispositif inutilement complexe.

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