Le Conseil d’État juge que l’appréciation du seuil de 250 m€ de CA pour l’assujettissement à l’ancienne contribution exceptionnelle d’IS d’une société doit se faire en tenant compte des recettes perçues par la société pour le compte de chacun des fonds d’investissement dont elle assure la gestion.
Rappel
Pour mémoire, la contribution « exceptionnelle » était une contribution temporaire additionnelle à l’IS (dernière application aux exercices clos au 30 décembre 2016) dont le taux était fixé à 10,7 % pour les exercices clos depuis le 31 décembre 2013 (5 % auparavant). Cette contribution était due par les entreprises qui réalisaient au titre de l’exercice un chiffre d’affaires supérieur à 250 m€ (CGI, art. 235 ter ZAA).
L’Administration a très vite considéré que ce seuil d’assujettissement devait être apprécié en retenant le chiffre d’affaires mondial des sociétés, qu’elles soient françaises ou étrangères, exerçant leur activité en France et/ou hors de France (BOI-IS-AUT-20, n°100). Elle a d’ailleurs procédé à de nombreux redressements sur ce terrain, notamment dans le secteur bancaire.
Cette position a ensuite été rapidement confirmée par le Conseil d’État (CE, 9 décembre 2016, n°395015).
L’histoire
Une société allemande exerçait en France une activité de gestion d’actifs immobiliers consistant à acquérir pour le compte d’investisseurs institutionnels (fonds d’investissement) des immeubles qu’elle donnait à bail en vue d’en retirer des revenus locatifs pérennes qu’elle redistribuait à ses investisseurs.
Au titre des exercices 2011 et 2012, la société a été assujettie à la contribution exceptionnelle, dont elle a ensuite demandé le remboursement.
Cette société détenait plusieurs immeubles situés en France, inscrits à l’actif de son bilan et donnés en location. Outre la perception des revenus de location, elle a réalisé des plus-values à l’occasion de cessions d’immeubles (près de 25 cessions entre 2011 et 2015).
Devant les juridictions du fond, le litige s’est cristallisé autour de la question de la prise en compte de ces plus-values pour l’appréciation du seuil de 250 m€.
Amené à statuer une 1re fois dans cette affaire, le Conseil d’État a précisé que le seuil devait s’apprécier par référence aux recettes tirées de l’ensemble des opérations réalisées par le redevable dans le cadre de son activité professionnelle normale exercée en France et hors de France (CE, 10 juillet 2019, n°412968, annulant CAA Versailles, 1er juin 2017, n°15VE02458).
Il a écarté la prise en compte des plus-values de cession, en indiquant que :
- la société en cause avait pour objet social de procurer des revenus locatifs réguliers à des fonds d’investissement ;
- le seul caractère récurrent, ainsi que l’importance et le nombre des cessions d’immeubles opérées par la société, ne suffisaient pas à les regarder comme entrant dans le cadre de son activité normale. Les plus-values en résultant ne pouvaient donc être intégrées à son chiffre d’affaires sans qu’il soit recherché au préalable si ces cessions s’inscrivaient dans le modèle économique de l’entreprise.
Statuant sur renvoi, la CAA de Versailles a déchargé la société de l’ancienne contribution exceptionnelle, après avoir jugé que les plus-values de cession litigieuses ne relevaient effectivement pas de l’activité normale et courante de l’entreprise et ne devaient, dès lors, pas être retenues pour l’appréciation du seuil de 250 m€.
Un nouveau pourvoi a été formé devant le Conseil d’État.
La décision du Conseil d’État
Le Conseil d’État annule la décision de la CAA de Versailles, non pour avoir exclu les plus-values de cession du calcul du chiffre d’affaires permettant de déterminer l’assujettissement à la contribution exceptionnelle, mais pour ne s’être pas assurée que l’ensemble des recettes retirées par la société de son activité professionnelle normale exercée en France et hors de France, n’excédaient pas, par ailleurs, le seuil de 250 m€.
Il juge ensuite l’affaire au fond.
Il confirme, sans surprise, l’exclusion des plus-values litigieuses pour le calcul du chiffre d’affaires permettant de déterminer l’assujettissement à la contribution exceptionnelle.
En revanche, il juge qu’il convenait de retenir, pour apprécier le seuil de 250 m€, les recettes perçues par la société pour le compte de chacun des fonds d’investissement dont elle assurait la gestion.
Il indique, à cet égard, que les fonds d’investissement allemands dont la société allemande assurait la gestion, étaient dépourvus de personnalité morale, et qu’elle percevait, en sa qualité de propriétaire des immeubles acquis pour leur compte, les loyers retirés de leur location, et que chacun des fonds administrés recevait ensuite les revenus produits par les investissements pour leur compte, déduction faite de toute charge y afférente – y compris des charges d’impôt.
En déterminant le chiffre d’affaires de la société selon cette méthode, le seuil de 250 m€ était bien atteint, au titre de l’année 2011 à tout le moins.
Le Conseil d’État écarte par ailleurs les arguments soulevés par la société, tenant à une incompatibilité au regard des libertés européennes d’établissement et de circulation, ainsi qu’à une contrariété à la clause de non-discrimination prévue par la convention franco-allemande.
Il nous semble que la solution ainsi rendue devrait valoir pour d’autres dispositifs se référant à la notion de « chiffre d’affaires ».