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Annulation de la doctrine administrative interdisant l’imputation de pertes constatées à la suite d’une réduction de capital motivée par l’obligation de reconstitution des capitaux propres

Photo du Conseil d'Etat

Le Conseil d’Etat annule la doctrine administrative refusant l’imputation sur les plus-values de même nature des pertes constatées dans le cadre d’une procédure collective, en raison de son caractère discriminatoire, dès lors qu’une telle faculté est admise dans le cadre de procédures collectives.

Pour mémoire, seules les pertes résultant de cessions de titres sont imputables sur des plus-values de même nature (Instruction 5 C-1-01 n°114 du 3 juillet 2001 ; BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40 n° 170, 20-12-2019).

L’annulation de titres d’une société en vue de procéder à une réduction de capital ne constitue pas une cession de titres susceptible de dégager une perte imputable sur des plus-values de même nature, à une exception près : les pertes constatées en cas d’annulation de valeurs mobilières, de droits sociaux ou de titres assimilés dans le cadre d’une procédure collective peuvent être imputées sur les plus-values de même nature réalisées à compter de l’année où intervient une des trois situations suivantes (CGI, art. 150-0 D, 12, modifié par Ordonnance 2000-912, 2000-09-18 art. 4 I 33° JORF 21 septembre 2000) :

La doctrine administrative (§ 5 et 6 de la fiche n°5 de l’instruction administrative 5 C-1-01 du 3 juillet 2001 ; BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40 n° 170, 20-12-2019) réitère ces conditions et indique qu’en dehors des cas où la société fait l’objet d’une procédure collective, les pertes consécutives à une annulation de titres ne sont pas imputables sur les plus-values de même nature. Elle exclut donc du dispositif l’intégralité des « annulations de titres volontaires quels qu’en soient les motifs ».

Or, une société est parfois dans l’obligation d’effectuer une réduction de capital, en dehors de toute procédure collective. Cette obligation touche entre autres les sociétés par actions. En effet, conformément à l’article L.225-248 du Code de commerce, si du fait des pertes constatées à la clôture d’un exercice, les capitaux propres d’une société deviennent inférieurs à la moitié du capital social de celle-ci, et si l’AGE ne prononce pas la dissolution de la société, alors les associés ont l’obligation de procéder à l’annulation des titres (ou à la diminution de la valeur nominale des titres) de la société afin de réduire son capital social d’un montant au moins égal à celui des pertes qui n’ont pas pu être imputées sur les réserves. Si les pertes constatées par la société sont égales ou supérieures à ses capitaux propres, celle-ci procède à un coup d’accordéon (réduction de son capital à zéro par annulation de titres, suivie d’une augmentation de capital).

En l’espèce, l’assemblée générale d’actionnaires du 14 février 2003 avait décidé de procéder à une opération de réduction de capital sous la condition suspensive d’une augmentation de capital. La réduction de capital par imputation sur les pertes constatées à la clôture de l’exercice avait ainsi abouti à réduire à zéro le capital social de la société et conduit à l’annulation de toutes les actions détenues par les actionnaires.

Diverses opérations d’augmentation de capital ayant été décidées depuis lors, l’actionnaire avait cédé, le 29 mai 2008, l’ensemble de sa participation et déclaré une plus-value de cession de valeurs mobilières correspondant à la différence entre le prix de cession, d’une part, et le prix d’achat augmenté de la perte correspondant à l’annulation préalable de ses actions dans la société, d’autre part. L’Administration avait redressé la plus-value ainsi déterminée.

Devant le Conseil d’Etat, le contribuable a soulevé dans un premier temps une QPC estimant qu’une différence de traitement découlerait de l’option choisie par la société (annulation des titres ou diminution de la valeur nominale des titres) pour procéder à sa réduction de capital. Cette QPC n’a pas été transmise au Conseil constitutionnel, le Conseil d’Etat ne la jugeant pas sérieuse (Conseil d’Etat, 7 juin 2019, n° 429009).

Le contribuable a alors formé un recours pour excès de pouvoir contre la doctrine administrative (§ n° 5 et 6 de la fiche 5 de l’instruction administrative 5 C-1-01 du 13 juin 2001 ; BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40 n° 170, 11-04-2016) estimant que le refus d’admettre l’imputation des pertes consécutives à une annulation de titres sur des plus-values de même nature en dehors de toute procédure collective avait un caractère discriminatoire.

Le Conseil d’Etat fait droit à la demande du contribuable et juge que l’instruction administrative en cause est contraire aux stipulations combinées de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

Il relève en effet que ne se trouvent pas dans une situation suffisamment différente pour justifier un traitement différencié :

Toutefois, il faut garder à l’esprit que le Conseil d’Etat ne s’est ici prononcé que sur l’hypothèse particulière où la réduction de capital est motivée par l’obligation de reconstitution des capitaux propres. Il est notamment permis de penser que le Conseil d’Etat n’aurait sans doute pas abouti à la même solution si la société avait procédé à une annulation volontaire des titres, dans d’autres circonstances.

Rappelons qu’en 2010 (CE, 25 juin 2010, n° 338966), le CE avait jugé que la différence de traitement – résultant de l’article 150-0 D, 12 du CGI – entre détenteurs de droits sociaux qui procèdent à une annulation de titres dans le cadre d’une liquidation amiable de la société et ceux procédant à une annulation de titres dans le cadre d’une liquidation judiciaire, était justifiée.

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