Le Conseil d’État juge qu’en application de l’article 238 A du CGI, il convient uniquement de rechercher si le destinataire du paiement des rémunérations était domicilié ou établi dans un État étranger ou un territoire situé hors de France et y était soumis à un régime fiscal privilégié. Ainsi, il casse l’arrêt de CAA qui écarte l’application des dispositions de l’article 238 A en retenant que les sommes ne faisaient que transiter par la société, située à Hong-Kong, avant d’être remises aux intéressés, cette société hongkongaise ne pouvant dès lors être regardée comme étant le bénéficiaire des versements.
Il est de pratique courante que les guides et les agences de voyages soient commissionnés au titre des achats réalisés par les touristes asiatiques qu’ils emmènent dans des boutiques d’articles susceptibles de les intéresser.
Une société, exploitant une boutique d’articles de luxe, cosmétiques et parfums destinés à une clientèle de touristes chinois à Paris, a ainsi eu recours à cette pratique d’apporteurs d’affaires.
Dans un premier temps, elle était directement en contact avec les guides/agences de voyages, puis elle a eu recours à une société établie à Hong Kong qui se chargeait de la relation avec les guides/agences.
À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause :
- d’une part, la déductibilité au titre des exercices 2011 et 2012 d’une fraction des commissions versées en espèces à des guides et à des agences de voyage au titre des achats effectués par les clients apportés par ceux-ci. Tout en acceptant la réalité des prestations, l’Administration remet en cause le taux de commission de 25 % pour lui préférer celui de 10 %
- d’autre part, sur le fondement de l’article 238 A du CGI, la déductibilité au titre de l’exercice clos en 2012 des commissions fixes et proportionnelles versées à la société établie à Hong-Kong, en vertu d’un contrat de prestations de services qui prévoyait notamment le règlement par l’intermédiaire de cette société des commissions dues aux guides et aux agences de voyage apporteurs d’affaires.
La société obtient gain de cause devant la CAA de Paris au titre de la déductibilité des sommes versées à la société établie à Hong Kong, en revanche, elle se pourvoit en cassation en raison du rejet de sa demande portant sur une fraction des commissions versées directement aux guides. De son côté, le Ministre de l’action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre ce même arrêt, en ce qu’il prononce la décharge partielle.
Sur la remise en cause du taux des commissions versées directement aux guides
Pour trancher ce point du litige, le Conseil d’État rappelle, dans la lignée de sa jurisprudence antérieure, les principes de dévolution de la charge de la preuve (cf. notamment concl. Pierre Collin sous CE 20 juin 2003, S.A Etablissements Lebreton – Comptoir général de peintures et annexes, n°232832, et pour le cas de production de factures régulières afférentes à des dépenses réellement supportées CE 21 mai 2007, min c/ Sté Sylvain Joyeux n°284719).
Au cas présent, il relève que la CAA a retenu que l’Administration n’avait pas remis en cause l’existence de la prestation et s’est fondée, pour remettre en cause le taux de commission de 25 % pratiqué, sur un article de presse ainsi que sur un contrat conclu entre une agence de voyage et une grande enseigne de luxe.
Le Conseil d’État rejette la position de la CAA à double titre :
- En ce qu’elle estime que les commissions versées étaient excessives sans rechercher si la société produisait, à hauteur des sommes litigieuses, des factures régulières (cf. notamment décision précitée CE 21 mai 2007, min c/ Sté Sylvain Joyeux n°284719).
- En ce qu’elle retient comme probants les éléments dont l’Administration se prévalait et qui concernaient une grande enseigne parisienne disposant d’une notoriété internationale, dont la situation n’est en rien similaire à celle de la société, laquelle exploitait une boutique éloignée des principaux itinéraires touristiques, se consacrait exclusivement à la clientèle de touristes chinois, n’engageait aucune dépense de publicité et se trouvait ainsi placée dans une situation de dépendance marquée à l’égard de ses apporteurs d’affaires.
En effet, pour être pertinente l’utilisation de comparables doit porter sur des transactions analogues réalisées dans des conditions similaires. Dès lors, il semble difficile de retenir qu’une pratique habituelle ou normale dans un secteur se déduise des rémunérations versées par une ou deux entreprises isolées.
Sur la remise en cause des commissions versées à la société établie à Hong-Kong
Pour écarter l’application des dispositions de l’article 238 A du CGI aux sommes correspondant aux commissions proportionnelles versées par la société, la CAA avait relevé que ces sommes étaient destinées à rémunérer, par application du contrat de prestations de services, les guides et les agences de voyage apporteurs d’affaires et ne faisaient que transiter par la société établie à Hong Kong avant d’être remises aux intéressés. Elle en avait déduit que cette société ne pouvait être regardée comme en étant le bénéficiaire. Puis, constatant que l’Administration n’établissait pas que les guides et agences de voyages ayant perçu les commissions correspondantes étaient soumis à un régime fiscal privilégié dans l’État de leur résidence, la CAA a donc jugé que l’Administration avait à tort refusé leur déduction sur le fondement de l’article 238 A du CGI.
Le Conseil d’État juge qu’en se fondant sur un tel motif, alors qu’il lui appartenait seulement de rechercher si le destinataire du paiement des rémunérations était domicilié ou établi dans un État étranger ou un territoire situé hors de France et y était soumis à un régime fiscal privilégié, la CAA a commis une erreur de droit. Il fait donc une lecture « littérale » de l’article 238 A du CGI, et rejette toute lecture « économique ». Le reversement ultérieur des sommes à une nouvelle personne ne saurait être pris en considération pour l’application du 1er alinéa de l’article 238 A du CGI, qui se fonde ainsi sur le lieu d’établissement du créancier des intérêts ou rémunérations.
Dès lors, le simple versement de ces sommes à une personne établie ou domiciliée dans un tel État est une situation de nature à faire présumer un risque d’évasion fiscale ou à rendre suspicieuse la destination finale des sommes. Il s’agit cependant d’une présomption réfragable qui peut être combattue par le contribuable par le biais, cette fois, d’une approche économique. En effet, si l’Administration apporte la preuve du caractère privilégié du régime fiscal applicable au destinataire de ces sommes, celui-ci peut établir, afin de ne pas se voir appliquer le dispositif, que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu’elles ne sont ni anormales ni excessives.
Il convient donc d’aller au-delà des apparences et de ne retenir la notion de bénéficiaire « effectif » que lorsqu’il s’agit de déclencher l’application d’un texte anti-abus et non pas pour le contourner. Dans ce dernier cas, il conviendra alors de s’arrêter à l’analyse du régime fiscal de la société dite « écran ».