Un nouvel animal a bondi dans le champ de l’actualité fiscale. Après les paradis fiscaux, l’évasion fiscale, les prix de transfert, voici les « restructurations internationales », ‘business restructuring’ en anglais.
Business Restructuring, de quoi s’agit-il ?
Dans un espace économique qui se mondialisait, les entreprises ont mis en place des structures taillées à l’échelle du monde. Chacune des fonctions entrepreneuriales, jadis située dans chaque pays, sont organisées au niveau régional puis mondial. La fonction achat, la fonction vente, la fonction production, la fonction logistique, la fonction recherche, toutes se voient assigner un territoire, des ambitions, des organisations techniques et humaines au-dessus des frontières. En effet les fournisseurs sont aujourd’hui régionaux, s’ils ne sont mondiaux ; de même que les clients ; de même que le réseau des centres de productions ; de même aussi que les laboratoires, qu’ils soient internes à l’entreprise ou appartiennent à des Universités sous contrat.
Ces modifications n’ont pas manqué d’inquiéter les administrations fiscales restées, elles, purement nationales : ces changements n’entrainent-ils pas des baisses dans les bénéfices déclarées par les sociétés locales qui, à la faveur (ou la défaveur) de la réorganisation, se sont vues délestées des fonctions désormais centralisées ailleurs et, par conséquent, de la part des profits qui s’y attachaient. Le fisc y voit tout naturellement une manœuvre pour échapper à l’impôt local ; l’entreprise réplique que le monde change et qu’elle se contente de s’y adapter. D’où les soupçons, les accusations, les polémiques de toute part. Tentons cependant d’y voir plus clair.
Les réorganisations que nous évoquions plus haut entrainent la mise en place au sein d’entreprises multinationales (EMN) de départements régionaux ou globaux en charge des fonctions restructurées : des bases nouvelles sont physiquement installées pour héberger les responsables de ces fonctions, ils y sont entourés d’équipes techniques, de personnel de support et d’un système de communication permettant de gérer leurs correspondants dans le monde entier. A ces centres sont affectés des responsabilités, des objectifs, des mesures de résultats et, par conséquent, une part du résultat d’ensemble du groupe à raison du rôle qui leur a été imparti et de leur performance effective.
C’est ici que le fisc s’émeut : il voit les bases imposables s’évanouir dès lors que ces centres nouveaux ne sont pas établis chez lui. En effet ces centres étant par définition en quantité réduites (un par région ou un pour le monde entier) ils seront le plus souvent situés ailleurs. Le choix du pays d’installation est parfois, comme le soupçonnent les administrations fiscales, guidé par le niveau d’imposition, mais ce n’est pas le seul critère et l’on peut citer : la présence d’un vivier de personnel compétent, la proximité d’Universités, la capacité d’attirer les cadres supérieurs et leurs familles, le réseau de transport, la situation géographique, etc.
Les administrations fiscales des pays « désertés » n’ont pas manqué de réagir, mais de façon indépendante : lors des contrôles fiscaux les changements constatés ont été écartés comme artificiels et comme ayant pour seul but un transfert de bénéfice imposable à l’étranger ; certains pays ont complété leur législation pour s’autoriser à taxer de façon forfaitaire le changement d’organisation ; etc.
L’OCDE, qui rassemble une trentaine de pays développés, s’est inquiétée de cette tendance menant à un protectionnisme fiscal et qui pouvait conduire à des pratiques nationales nuisibles au libre échange international dont cet organisme est le garant.
Dès avant 2005 un groupe de travail informel s’efforçait de mettre autour de la table des représentant de quelques EMN et d’administrations fiscales. En janvier 2005 une rencontre plus large et plus ouverte essayait d’instaurer un dialogue entre les deux parties en présence. Mais peu de progrès avaient pu être constatés alors. Le secrétariat de l’OCDE a mis en place un groupe de travail, composé de représentants d’administrations fiscales, qui après avoir consulté les entreprises, a publié en un document de travail remarquable analysant les questions une à une et tentant de proposer des solutions. Ces solutions doivent, selon les principes de fonctionnement de L’OCDE, rassembler autour d’elles un consensus des Etat adhérents. On sait que l’OCDE est dépourvue de tout moyen contraignant de faire appliquer ses principes et que son autorité, très grande et reconnue, résulte dès lors de la qualité de ses travaux et du consensus obtenu.
Quels sont, en bref, ces enseignements ?
D’abord les administrations ont identifié un certain nombre de questions majeures :
- Le changement allégué par les EMN est-il réel, ou bien s’est-on contenté de changer les contrats (un distributeur devenant un simple commissionnaire sans risque, un fabricant réduit à l’état de façonnier sans risque, etc.) sans changer la façon dont les membres du groupe travaillent effectivement en termes de décision et de responsabilité ?
- Le changement d’organisation n’a-t-il pas nécessairement entraîné des transferts d’actifs (le plus souvent incorporels comme le savoir-faire, le bénéfice de contrats ou de licences, les listes de clients, etc.), transfert qui devraient déclencher une imposition ?
- Quelles règles appliquer à la valorisation des actifs transférés et aux rémunérations nouvelles résultant du changement (commissions, prestation de façonnage, etc.) : les règles applicables aux prix de transfert et définies dans le document « Principe de détermination des prix de transfert » publié par l’OCDE en 1995 et qui constituent depuis lors la référence incontournable, ou bien faut-il concevoir un jeu de règles nouvelles adaptées aux restructurations internationales ?
- La situation nouvelle créée par la réorganisation ne pourrait-elle pas mettre en évidence des « établissement stables », c’est-à-dire des succursales fiscales de la société étrangère imposables dans le pays « déserté » ?
Après avoir confié la question de l’établissement stable (qui concerne le modèle de Convention publié et mis à jour par l’OCDE) à un autre groupe de travail, le document de 2008 répond assez largement et en détail aux questions plus directement liées à la problématique des prix de transfert.
Le consensus s’est établi sur un certain nombre de principes que nous ne ferons qu’énumérer, et il constitue une avancée remarquable dans la façon d’aborder ce sujet difficile :
- Les administrations admettent qu’effectivement le monde évolue et que les EMN ont dû faire évoluer leur « business model » et leurs structures en conséquence ;
- Bien qu’un changement d’organisation n’entraine pas inéluctablement un transfert d’actif, un tel transfert n’est pas rare, aussi faut-il examiner dans quelle mesure des actifs ont été transférés de fait et quelle est alors la valeur à attribuer à ces actifs transférés de façon à établir les impositions applicables ;
- Les rémunérations nouvelles fixées à la suite du changement doivent être examinées avec attention afin de vérifier qu’elles ont bien été déterminées selon le principe de pleine concurrence ;
- Pour la valorisation des actifs transférés comme pour la mesure des rémunérations, ce sont les « Principes Directeurs » de 1995 et eux-seuls qui doivent être appliqués ;
- Les administrations se réservent le droit de vérifier la réalité des changements annoncés afin de mettre au jour les fraudes éventuelles et les traiter comme telles.
Ce résultat est très positif, même si le EMN consultées sur ce document ont pu faire un certain nombre de remarques, car il dégage un espace de discussion rationnelle entre les administrations et les entreprises.
Les Etats de l’OCDE sauront-ils pour autant réfréner leur envie de s’opposer à la réduction des bases imposables par d’autres moyens ? Et que feront les gouvernements des Etats qui ne sont font pas partie de l’OCDE ?