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Charge de la preuve – Absence d’avantage en nature – Nécessité de la preuve d’un avantage par comparaison – Exemple du versement de redevances pour la mise à disposition de dossiers techniques nécessaires au dépôt d’AMM

Cet article a été publié dans les Éditions JFA Juristes & Fiscalistes Associés – mai 2024 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.

La CAA de Lyon rappelle la nécessité pour l’administration fiscale de procéder à une analyse par comparaison du transfert indirect de bénéfices, dès lors qu’elle n’est pas en mesure de démontrer l’existence d’un avantage par nature. Dans cette affaire concernant une activité de distribution de médicaments génériques, le versement de redevances par la filiale française avait pour contrepartie la mise à disposition de dossiers techniques permettant de déposer des autorisations de mise sur le marché français (AMM), indispensables à la réalisation de son activité. En l’absence d’avantage par nature, la preuve d’un avantage par comparaison était donc nécessaire.



Rappel des faits et de la procédure 

La société Arrow Génériques exerce une activité de distribution de médicaments génériques à destination principalement du marché officinal, mais également du marché hospitalier en France. Sa société mère de droit danois, Arrow Group ApS, est ellemême filiale à 100 % de la société de droit maltais Arrow International Limited.

À l’occasion d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2010 et 2011, l’administration a considéré que le versement de redevances à hauteur de 5 % du chiffres d’affaires net à la société Arrow Group ApS et à la société de droit britannique Breath Ltd, soeur de la société française, au titre de la sous-concession de droits de propriété intellectuelle afférents aux dossiers techniques permettant de déposer des autorisations de mise sur le marché français (AMM), constitue un avantage par nature, dès lors que la société ne démontre pas la réalité et la nature des services rendus.

À la suite de la saisine du juge par la société française, le TA de Lyon a fait droit à la demande du contribuable1. La CAA de Lyon, saisie par le ministre de l’Économie, confirme la position du juge de première instance en constatant que le versement des redevances a pour contrepartie la mise à disposition de dossiers techniques, indispensables à la réalisation de son activité.

L’existence d’une contrepartie implique la démonstration d’un avantage par comparaison 

Pour rappel, la mise en oeuvre de l’article 57 du CGI implique pour l’administration de démontrer l’existence d’un avantage accordé par une société française à une société liée étrangère. La charge de la preuve de cet avantage est supportée en premier lieu par l’administration. Une fois qu’elle parvient à démontrer l’existence d’une des catégories d’avantages, une présomption de transfert de bénéfices est établie. La dialectique de la preuve suppose ensuite que la société justifie de contreparties au moins équivalentes permettant de réfuter cette présomption.

Cet avantage accordé peut être qualifié soit d’avantage par nature, dès lors qu’aucune contrepartie à cet avantage n’a été identifiée (un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu permettant de démontrer l’existence d’une libéralité consentie par l’entreprise établie en France), soit d’avantage par comparaison, dès lors qu’un travail de comparaison mené par l’administration, avec l’élaboration d’un panel de transactions comparables, montre que la contrepartie n’est pas conforme au prix de marché2.

Au cas présent, le rapporteur public précise, s’agissant des avantages par nature, que « cette catégorie recouvre en substance l’hypothèse de dépenses ou de renonciations à recettes consenties sans aucune contrepartie, autrement dit un pur appauvrissement caractéristique de l’acte anormal de gestion ».

En l’espèce, l’administration a étrangement à la fois remis en cause la réalité des contreparties et le montant excessif des redevances au regard de ces mêmes contreparties. D’une part, le service vérificateur a notamment considéré que la circonstance que la société française versait des redevances relatives à des incorporels qui n’apparaissaient pas au bilan des sociétés qui les percevaient, était suffisante pour démontrer un avantage par nature. D’autre part, il a constaté le caractère anormal des prévisions contractuelles qui ne prévoyaient ni limitation dans le temps, ni actualisation des redevances.

Sur le premier point, le rapporteur public s’était tourné vers les principes OCDE, selon lesquels les coûts associés à la mise au point d’actifs incorporels en interne par la société elle-même, par opposition par exemple à une acquisition auprès de tiers, peuvent être considérés comme des charges et donc non comptabilisés en immobilisation, de sorte que les actifs incorporels ainsi créés n’apparaissent pas toujours au bilan3. Il ne pouvait donc pas s’agir d’un avantage par nature.

Sur le deuxième point, le rapporteur public avait retenu que les développements de l’administration « sont davantage susceptibles de venir au soutien d’une argumentation articulée autour du caractère excessif du montant des redevances au regard de leur objet, mais l’administration ne s’est, à tort, jamais engagée sur une discussion chiffrée à cet égard », comme elle aurait dû le faire dans le cadre de la démonstration d’un avantage par comparaison.

La cour a constaté que la société a réellement eu accès aux dossiers techniques lui ayant permis d’obtenir les AMM nécessaires à la réalisation de son activité. Or, elle ne disposait pas des moyens matériels et humains nécessaires pour préparer elle-même ces dossiers techniques, qui nécessitent le concours de divers professionnels et la réalisation de tests cliniques. Faute d’être parvenue à établir l’existence d’un avantage par nature, puisqu’il existait bien une contrepartie au versement de la redevance, l’administration aurait dû tester l’existence d’un avantage par comparaison, en vue de démontrer la réalité d’un transfert indirect de bénéfices au sens de l’article 57 du CGI.

L’administration avait tenté en vain de fonder ses rectifications sur l’article 238 A du CGI, ne nécessitant pas la démonstration d’un quelconque avantage

Le rapporteur public a observé dans ses conclusions que « le service vérificateur a entendu se placer sur différents fondements, de toute évidence afin de se ménager la charge de preuve la plus favorable ». L’administration avait fondé initialement ses rectifications sur l’article 238 A du CGI, sur l’article 57 du CGI et sur l’article 39 du CGI.

Certains pourront s’étonner du choix de l’article 238 A du CGI par l’administration. Cette dernière avait considéré que les redevances étaient in fine versées dans un territoire soumis à un régime fiscal privilégié en soulignant que ces redevances étaient ensuite reversées à la société de droit maltais. Sur ce fondement, l’administration avait considéré bénéficier d’un régime de preuve plus favorable. Reste que cette motivation initialement avancée a dû être abandonnée en appel4. L’administration s’est ainsi trouvée démunie lorsqu’elle a dû faire face à la contrainte de détailler et renforcer sa position au regard de l’article 57 du CGI, et l’existence d’un avantage accordé par la société française. La caractérisation d’un avantage par comparaison étant difficile à établir à ce stade du litige, le service s’est donc naturellement tourné vers l’existence d’un avantage par nature. C’est ce que le rapporteur public souligne : « la tâche de l’administration fiscale au contentieux est assez ardue du fait de l’application erronée d’un fondement juridique inadéquat ».


L’oeil de la pratique 

Cet arrêt offre une opportunité au juge de rappeler une nouvelle fois les principes applicables en matière de charge de la preuve des transferts indirects de bénéfices. De manière classique, la Cour administrative d’appel de Lyon rappelle l’obligation qui pèse sur l’administration de déterminer si elle a décelé un avantage par nature, faute de contrepartie à l’avantage concédé. Si tel n’est pas le cas, elle doit nécessairement se livrer aux travaux qui lui permettront éventuellement de démontrer l’existence d’un avantage par comparaison. Par ailleurs, les débats avec les vérificateurs devraient se trouver clarifiés par cet arrêt qui offre une protection contre le « shopping » au fondement juridique auquel se livrent certains services de contrôle.


TA Lyon, 26 oct. 2021, n° 2005396, SAS Arrow Génériques, concl. M. Sautier : FI 1-2022, n° 4, § 8, comm. E. Lesprit

  CE, 7 nov. 2005, n° 266436 et n° 266438, Min. c/ Sté Cap Gemini : RJF2006 n° 17 ; BDCF 1/06 n° 5, concl. E. Glaser.

Principes OCDE, § 6.7.

Cf. TA Lyon, 26 oct. 2021, n° 2005396, SAS Arrow Génériques, préc.

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