Cette décision, rendue sous l’empire de la législation en vigueur avant 2012, reconnaît comme conforme aux intérêts propres de la société mère et relevant d’une gestion normale, l’abandon de créance à caractère financier consenti par une mère à sa filiale alors même qu’il n’a pas été démontré, compte tenu de la faible notoriété de cette dernière, que ses difficultés auraient pu emporter une atteinte particulière au renom de la mère.
Pour mémoire, le législateur a entendu expressément encadrer les abandons de créances consentis à compter des exercices clos depuis le 4 juillet 2012 (CGI art. 39, 13) en posant un principe général de non-déductibilité des aides à caractère financier. Par exception, et sous certaines conditions, la perte consécutive à un abandon de créance présentant un caractère autre que commercial est considérée comme une charge déductible de l’exercice lorsque cet abandon est consenti :
- en application d’un accord constaté ou homologué dans les conditions prévues à l’article L 611-8 du Code de commerce ; ou
- aux entreprises à l’encontre desquelles est ouverte une procédure de sauvegarde au sens des articles L 620-1 à L 628-7 du Code de commerce, une procédure de redressement judiciaire au sens des articles L 631-1 à L 632-4 du Code de commerce ou de liquidation judiciaire au sens des articles L 640-1 à L 644-6 du Code de commerce (CGI art. 39, 13 al. 2) ou toute procédure d’insolvabilité mentionnée à l’annexe A du règlement CE n°1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 (BOI-BIC-BASE-50-20-10 n°63, qui étend la disposition législative au sein de l’UE).
Antérieurement à cette date, la jurisprudence avait eu l’occasion de se prononcer sur les conditions de déductibilité des aides à caractère financier. Le Conseil d’État avait ainsi reconnu le caractère normal de l’abandon de créance consenti afin d’éviter le dépôt de bilan d’une filiale qui aurait pu porter atteinte au renom de la société mère et avoir une incidence sur la diversification de ses activités (notamment CE 11-3-1988, n°46846).
Dans l’affaire soumise, fin 2007 (i.e. sous l’ère de la législation antérieure), une société mère consent à sa filiale en difficulté détenue à 80 % un abandon de créances au titre des avances de trésorerie et des prestations restant à régler. Dans ce cadre, elle comptabilise en charge déductible le montant de cet abandon de créances. À l’issue de la vérification de comptabilité de la société mère, l’administration fiscale a remis en cause cette déduction considérant que la société ne justifiait pas de l’intérêt qu’elle aurait eu à l’abandon de ses créances qui ne se rattachait pas, dès lors, à sa gestion commerciale normale.
À la suite du rejet de sa réclamation, la société a demandé au TA de Rouen de prononcer la décharge partielle, de la cotisation supplémentaire d’IS, et de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, mises à sa charge. Confrontée au rejet de sa demande, elle relève appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Douai.
Dans ce contexte, la Cour rappelle tout d’abord qu’une société peut sans commettre d’acte anormal de gestion, prévenir les conséquences de graves difficultés financières d’une filiale, dans son intérêt propre, notamment pour sauvegarder son renom, en lui consentant une aide pour assainir sa situation alors même qu’elle n’entretiendrait avec elle aucune relation commerciale. Elle relève que cette aide doit par ailleurs, sauf preuve contraire, être réputée augmenter la valeur de la participation détenue dans le capital de la filiale. Pour apporter la preuve que la valeur de sa participation dans le capital de sa filiale n’a pas augmenté, il appartient à la société qui consent une aide financière d’apporter tous éléments de nature à justifier que la situation nette réelle de sa filiale est négative.
En l’espèce, la société requérante fait valoir, sans être contredite, qu’aucune perspective de redressement de sa filiale ne pouvait être envisagée à court terme, de telle sorte que cette société était exposée au risque d’un dépôt de bilan pour insuffisance d’actif.
Dans ces conditions, la Cour décide que la société mère a pu estimer, à juste titre, qu’il était conforme à ses propres intérêts d’assainir la situation financière de sa filiale, alors même qu’il n’est pas démontré que les difficultés rencontrées par cette dernière, compte tenu de la faible notoriété de cette entreprise, auraient emporté une atteinte particulière au renom de sa société mère. Dès lors, elle considère que la société mère, en consentant l’abandon de créances en cause, doit être réputée avoir agi dans le cadre d’une gestion normale, alors même, d’une part, qu’elle aurait pu recourir à d’autres mesures pour parvenir aux mêmes fins et, d’autre part, que la filiale aurait connu postérieurement des résultats déficitaires en dépit du rétablissement de son capital social, comme le relève l’administration fiscale.
Néanmoins, la Cour remet en cause le montant de la valorisation d’actif telle que déterminée par la société mère qui a consenti l’abandon de créance.
En effet, elle constate qu’à la date de clôture de l’exercice 2007, soit après l’abandon de créances accordé par sa société mère, le résultat d’exploitation de la filiale était redevenu positif. Par conséquent, elle relève qu’en l’absence de toute contribution de même nature consentie par les actionnaires minoritaires de la filiale, l’abandon de créances en cause avait nécessairement augmenté la valeur de la participation détenue dans la filiale à concurrence d’un montant égal au prorata de ses parts sociales, i.e. 80 % de la créance abandonnée. En raison de cette contrepartie, elle juge que la somme abandonnée par la société mère à sa filiale ne pouvait être admise en déduction du bénéfice imposable de l’exercice 2008 qu’à concurrence de 20 % de son montant (voir notamment en ce sens CE 30 avril 1980, n°16253 et CE 1er juillet 1991, n°61065).
Enfin, la Cour ayant préalablement rattaché l’abandon de créances à une gestion normale justifiant la constatation d’une charge déductible, elle juge que la société requérante est fondée à demander la décharge totale de la majoration de 40 % pour manquement délibéré.
Bien que rendue sous l’empire des règles antérieures à 2012, cet éclairage reste valide dans les cas d’exceptions à la non-déductibilité prévues désormais.
- CAA Douai, 1er octobre 2020, n°18DA01413