Voilà déjà dix ans déjà que la Cour de cassation a alerté le législateur et tiré la sonnette d’alarme, en l’invitant à mettre en conformité le droit français avec le droit de l’Union européenne en matière de congés payés, en vain. Face au silence des pouvoirs publics, la Cour n’a eu d’autre choix que de réécrire certaines dispositions du Code du travail français à travers plusieurs décisions rendues le 13 septembre dernier, au grand dam des entreprises.
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Sur le fonds, les décisions rendues ne surprennent pas, quoiqu’elles constituent, dans leurs effets, un véritable big-bang. Concrètement, la Cour de cassation s’est résolue à écarter les dispositions du Code du travail contraires au droit européen et à faire une application directe du droit de la Charte des droits fondamentaux de l’UE éclairé par la directive 2003/88/CE et la jurisprudence de la CJUE.
Il a ainsi été décidé d’une part qu’un salarié en congé maladie pour une cause non professionnelle, acquiert des droits à congé payé pendant sa période de maladie, même si le Code du travail l’exclut (article L 3141-3). Et d’autre part, qu’un salarié en congé maladie, à la suite d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail, acquiert lui aussi des droits à congé payé pendant toute sa période de maladie, alors que le Code du travail limitait cette période à une durée d’un an seulement (article L 3141-5 5°). Précisons que les solutions posées valent pour l’ensemble des congés payés, qu’ils soient d’origine légale (5 semaines) ou conventionnelle.
Les conséquences de ces décisions pour les entreprises peuvent se résumer à une injonction paradoxale. Si ces dernières ne pourront pas ignorer les décisions rendues par la Cour de cassation et devront de gré ou de force s’y plier, elles peineront à déterminer les conséquences à tirer de ces décisions, car de nombreuses zones d’ombres persistent et ne semblent pas prêtes d’être dissipées.
Quid du point de départ de la prescription ?
Dans la pratique, les entreprises vont devoir régulariser, sauf à faire face à des contentieux, la situation des salariés qui ont été malades et dont la période de maladie n’a pas été prise en compte pour déterminer leurs droits à congés payés. Cette régularisation donnera lieu, pour les salariés en activité, à l’attribution de jours de congés supplémentaires et pour ceux dont le contrat de travail a déjà été rompu à une indemnisation complémentaire. La difficulté résidera, pour les entreprises, à déterminer la période de régularisation : régularisation pour l’avenir seulement ou régularisation pour le passé ? Question, épineuse, qui renvoie à celle de la prescription.
Si la durée de la prescription ne fait pas débats – trois ans, selon une jurisprudence bien établie de la Cour – en revanche, le point de départ de la prescription fait, lui, difficulté. Dans une des décisions rendues le 13 septembre dernier, la Cour de cassation réaffirme une solution ancienne qui veut que le point de départ de la prescription court à partir de l’expiration de la période de prise des congés payés ; en clair, le 31 mai 2023 pour des congés payés acquis entre le 1er juin 2021 et le 31 mai 2022. Mais la Cour apporte aussi une nouvelle précision dans le sillage de la CJUE, voulant que la prescription ne puisse commencer à courir que si « l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé ».
Si l’objectif est clair – garantir l’effectivité du droit à congé et interdire à l’employeur de se prévaloir de sa défaillance – le sens et la portée de la formule sont discutables : peut-on considérer que l’employeur a satisfait à son obligation de mettre le salarié en mesure d’exercer effectivement son droit à congé payé quand il n’a pas informé ce dernier sur l’étendue exacte de ses droits à congés payés ? Situation dans laquelle se trouve nécessairement l’employeur qui n’a pas pris en compte, lorsqu’un salarié est malade, sa période de maladie pour déterminer ses droits à congés payés…
La conclusion est vertigineuse : l’employeur ne pourrait pas opposer au salarié la prescription, faute de l’avoir fait courir. On voit bien là qu’il devient urgent que les pouvoirs publics, inertes et sourds jusqu’à présent aux appels répétés de la Cour de cassation, interviennent pour, à défaut de garantir la sécurité juridique, tracer une voie que les entreprises pourraient emprunter sans trop perdre.
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