Le juge de l’impôt précise les modalités d’appréciation de la situation nette d’une filiale bénéficiaire d’un abandon de créance. Ainsi, l’utilisation de méthodes d’évaluation économique de la valeur globale des sociétés bénéficiaires des abandons de créances ne saurait suffire, à elle seule, à remettre en cause la situation nette comptable de référence de ces sociétés à prendre en considération pour apprécier la déductibilité de la créance abandonnée.
Pour mémoire, le législateur a entendu expressément encadrer les abandons de créances consentis à compter des exercices clos depuis le 4 juillet 2012 (CGI art. 39,13) en posant un principe général de non-déductibilité des aides à caractère financier – sauf exceptions expressément prévues.
Antérieurement à cette date, la jurisprudence avait eu l’occasion de se prononcer sur les conditions de déductibilité des aides à caractère financier. Ces décisions constituent aujourd’hui encore un éclairage utile pour l’application des quelques exceptions à la non-déductibilité des abandons de créances à caractère financier. La présente affaire (faits datés d’avant 2012) est donc présentée dans ce contexte.
L’histoire
Dans le cadre d’une vérification de comptabilité de la société mère intégrante du groupe, portant sur les exercices clos en 2008 et 2009, l’administration fiscale a notamment remis en cause les abandons de créances à caractère financier consentis à 2 de ses filiales.
L’affaire est portée au contentieux. En 1re instance, le TA de Versailles rejette sa demande en décharge, en droits et intérêts de retard, des suppléments d’IS et de contribution sociale sur l’IS auxquels elle a été assujettie au titre de l’exercice clos en 2008. La société relève donc appel du jugement devant la CAA de Versailles.
La décision
La perte consécutive à l’abandon de créance est considérée comme une charge déductible à concurrence :
- du montant de la situation nette négative de la société bénéficiaire de l’abandon
- et, pour le montant excédant cette situation nette négative, à proportion des participations détenues par d’autres personnes que l’entreprise qui consent les aides
La situation nette comptable à laquelle il y a lieu, en principe, de se référer correspond à la différence entre le total de l’actif – sous déduction des frais d’établissement et des pertes de l’exercice – et celui du passif exigible.
Dans l’hypothèse où il existe un écart entre la situation nette comptable de l’entreprise bénéficiaire de l’abandon et sa situation nette réelle :
- l’entreprise qui consent l’abandon est admise à établir que la situation nette comptable est supérieure à la situation nette réelle
- le service des impôts peut, en sens inverse, démontrer que la situation nette réelle est supérieure à la situation nette comptable (BOI-BIC-BASE-50-20-10 n°70 et s.).
Dans un 1er temps, la CAA juge ainsi qu’en se prévalant de méthodes d’évaluation économique de la valeur globale des 2 sociétés auxquelles elle a abandonné ses créances – i.e. étude et rapport réalisés par une banque d’affaires et un expert-comptable, indiquant l’un comme l’autre, par utilisation de méthodes de nature économique, telles que l’évaluation de la rentabilité de l’actif, la valorisation par les flux futurs ou la valorisation liquidative, que la valeur marchande de ces deux sociétés était restée nulle postérieurement aux abandons de créance – la société qui a consenti les abandons ne critique pas sur un plan comptable, et par suite pas utilement, la détermination de la situation nette réelle de ces sociétés, ni ne fait état d’une inexacte comptabilisation de certains postes de son bilan. Elle conclut qu’elle ne peut ainsi être regardée comme établissant que la situation nette réelle de ses filiales était négative à la date des abandons de créances consentis et par suite, comme justifiant leur caractère déductible.
À titre subsidiaire, elle rejette également l’argument jurisprudentiel selon lequel les abandons de créance pouvaient être qualifiés de « commercial » dès lors que la société mère intégrante, et holding animatrice du groupe intégré, fournissait des prestations de services internes d’intérêt commun à l’ensemble de ses filiales dans la gestion desquelles elle s’immisçait et avec lesquelles elle entretenait des relations commerciales (voir en ce sens CE, 7 février 2018, n°398676, SARL France Frais). En effet, selon la Cour, la société n’établit ni même n’allègue que son CA 2006 et 2007 était presque uniquement procuré par la rémunération des prestations de services facturées à ses filiales, contrairement à la situation dans laquelle a été rendue la décision citée en référence.
Elle relève ainsi que :
- la société mère dont l’actif est principalement constitué d’immobilisations financières, se rémunérait majoritairement sur les dividendes que lui assuraient ses investissements dans les sociétés dans lesquelles elle avait pris des parts depuis sa création en 2001
- les prestations de services rendues à ses filiales ont représenté sensiblement moins de la moitié de son CA net de 2005 à 2007
- en termes d’affectation salariale, le secteur titres est prépondérant dans son activité
- la société mère désigne elle-même les activités afférentes aux secteurs titres, immobilier et prêts et avances comme constitutives de son activité » propre « , par opposition à celle de prestataire de services à ses filiales qui se révèle ainsi accessoire
Elle en déduit dès lors que les motivations financières des abandons de créances litigieux sont prépondérantes sur d’éventuelles motivations commerciales (voir en ce sens CE, 27 juin 1984 n°35030 et BOI-BIC-BASE-50-10 n°140 : lorsque les motivations commerciales et financières sont imbriquées, la qualification de l’aide découle de ses motifs prédominants ; CE, 9 octobre 1991, n°67642, Laboratoire Goupil : lorsque les motivations sont principalement financières, il n’est pas tenu compte des motivations commerciales qui présentent un caractère accessoire, notamment en raison du faible poids des achats de la filiale dans le CA de la société mère).
Par conséquent, la Cour valide la réintégration par l’administration fiscale d’une quote-part de chacun des abandons de créances litigieux dans le résultat imposable de la société requérante.