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Demande de restitution de TVA collectée à tort : terrain miné !

Un redevable qui demande la restitution d’une TVA collectée à tort, peut se voir refuser tout remboursement par l’administration fiscale lorsqu’il n’a pas procédé à l’imputation de cette TVA sur sa déclaration de chiffre d’affaires !
Autrement dit, le contribuable qui dépose à cet effet une réclamation dans les conditions de droit commun, peut, pour cette unique raison, ne pas obtenir satisfaction.

Comment est-on arrivé à cette situation ?

A ce stade, la pièce ne comporte que deux actes qui correspondent à deux arrêts du Conseil d’Etat, rendus respectivement le 27 juillet 2009 dans l’affaire General Electric Capital Fleet Services (GECFS) et le 23 décembre 2011 dans l’affaire Keolis Cherbourg.

Analysons ces deux arrêts pour comprendre les données du problème.

Premier arrêt

L’affaire General Electric Capital Fleet Services. Dans cette affaire, un assujetti demandait le paiement d’intérêts moratoires au titre d’une TVA qu’il avait collectée à tort sur des indemnités d’assurance. Cet assujetti avait toutefois la particularité d’être en crédit de TVA permanent. La TVA qu’il avait collectée à tort au titre de ces indemnités avait donc minoré le crédit de taxe dont il disposait, et dont il pouvait effectivement demander le remboursement.

Pour autant, le Conseil d’Etat lui refuse le paiement des intérêts moratoires, en jugeant que pour obtenir la restitution d’une TVA collectée à tort, cet assujetti, en situation de crédit permanent, n’était pas en droit d’introduire une réclamation de droit commun (de l’article L 190 du LPF), mais aurait dû procéder à l’imputation de cette taxe sur sa déclaration de chiffre d’affaires, pour ensuite en demander le remboursement via une demande de remboursement de crédit de TVA (des articles 242-0 A & s. de l’annexe II au CGI).

Dans cette première affaire, seuls les intérêts moratoires étaient en jeu puisque l’arrêt indique que, suite à un accord avec l’administration fiscale, l’assujetti avait été autorisé à imputer cette TVA sur ses déclarations.

Cela étant, en jugeant que la technique de l’imputation était, dans cette situation particulière, la seule voie possible pour obtenir la restitution de la TVA collectée à tort, le Conseil d’Etat justifiait certes l’impossibilité d’obtenir des intérêts moratoires, mais créait cependant un véritable « piège à TVA » qui allait se refermer dans un deuxième arrêt.

Deuxième arrêt

L’arrêt Keolis Cherbourg. Dans cette affaire, la TVA avait été collectée à tort sur des subventions. Cette fois-ci l’assujetti n’était pas en crédit de TVA permanent mais en situation de crédits de TVA intermittents. Cet assujetti avait introduit une réclamation de droit commun pour obtenir la restitution de la TVA collectée à tort ainsi que le paiement d’intérêts moratoires.

Suivant les principes dégagés dans le premier arrêt, le Conseil d’Etat n’a cependant validé la restitution de la TVA et le paiement d’intérêts moratoires qu’à hauteur du montant de taxe effectivement payé à l’administration fiscale au cours des années en litige. La demande de restitution du solde de TVA collectée à tort (qui avait diminué le montant du crédit de TVA) était, quant à elle, rejetée.

Ainsi, le raisonnement qui a justifié l’absence de paiement d’intérêts moratoires dans la première affaire vient à présent priver un assujetti du droit d’obtenir la restitution d’une TVA collectée à tort.

Quels sont les arguments qui sous-tendent cette analyse ?

A la lecture des conclusions présentées par le rapporteur public dans l’affaire GECFS, on comprend que la voie de la réclamation est fermée dès lors qu’aucune TVA n’a été versée par le redevable.

On découvre également que la modification de l’article L 190 du LPF opérée par l’article 86 de la loi de finances pour 2003 ne modifie pas l’analyse puisque s’il est désormais possible de réclamer contre un redressement ayant pour seul effet de réduire un crédit de TVA, la voie de la réclamation est cependant fermée lorsque la collecte indue résulte d’une erreur du contribuable, et ceci même si cette erreur trouve sa source dans l’application d’une instruction fiscale.

Bien que l’arrêt Keolis Cherbourg assimile désormais une instruction fiscale au droit national pour vérifier la conformité du droit français par rapport au droit communautaire, cet arrêt n’en tire toutefois aucune conséquence sur la lecture de l’article L 190 du LPF.

Ces arguments n’emportent cependant pas la conviction

Effectivement, au-delà de tout débat technique, nous considérons que cette nouvelle analyse produit un véritable changement de règles « en cours de jeu » qui, au final, laisse une « ardoise de TVA », au surplus indûment collectée, chez les entreprises.

En pratique, un tel effet constitue évidemment une atteinte au fonctionnement même de la taxe et au principe de la neutralité selon lequel la TVA ne doit pas être une charge pour les entreprises.

Sur un plan plus technique également, on ne comprend pas pour quelles raisons l’imputation, qui ne repose que sur la notice de la déclaration de TVA, est privilégiée par rapport à une réclamation de droit commun qui, quant à elle, trouve sa source dans la loi.

De surcroît, à l’origine l’imputation concerne la TVA déductible et non une restitution de la TVA collectée. Une fois encore, l’utilisation de cette méthode pour obtenir la restitution d’une TVA collectée ne repose que sur la notice d’un imprimé.

Par ailleurs, d’un point de vue économique, si l’on considère, d’une part, qu’une entreprise souffre du même préjudice financier lorsqu’elle verse à tort une TVA de 100 EUR à l’Etat que lorsqu’elle n’obtient pas le remboursement d’un crédit de TVA de 100 EUR, et que, d’autre part, la TVA est un impôt spécifique dans lequel la TVA collectée n’est pas un produit, la TVA déductible n’est pas une charge, et un crédit de TVA est encore moins un déficit, on peut s’interroger sur la pertinence du débat autour de la taxe versée pour les besoins de l’article L 190 du LPF. Un crédit de TVA constitue seulement une dette de l’Etat vis-à-vis d’un auxiliaire fiscal.

Pour conclure, une évolution rapide sur le sujet nous semble souhaitable. Il s’agirait ainsi de mettre en place, pour le futur, une procédure respectueuse du fonctionnement de la TVA et du principe d’effectivité (voir notamment sur le sujet les conclusions présentées dans l’affaire 591/10, Littlewoods Retails Ltd e.a.). Enfin, il nous semble également important de trouver une solution pour les dossiers en cours, dans lesquels des entreprises font face à des « ardoises de TVA ».

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