Les règles espagnoles en matière de prix de transfert ont été refondues ces dernières années, et l’Espagne dispose d’un cadre renouvelé pleinement applicable pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016, à la suite des modifications réglementaires introduites en 2014 (Loi sur l’IS) et 2015 (Règlement de l’IS) ainsi que des récents développements de l’OCDE en matière de prix de transfert dans le cadre du Projet BEPS.
Cet article présente, de façon succincte, les principales particularités du régime espagnol de prix de transfert par rapport au régime français. Cet article traite également des discussions principales avec les administrations fiscales et de l’évolution récente de la jurisprudence dans ce domaine.
Principales particularités du régime espagnol de prix de transfert
Champ de l’obligation documentaire
Depuis 2016, les obligations espagnoles en matière de prix de transfert s’appuient sur la three-tiered approach (approche à trois niveaux) établie dans l’Action 13 de BEPS (Master File, Local File et CBC Reporting). Compte tenu du niveau élevé de la charge documentaire, la réglementation prévoit un régime simplifié pour les groupes ayant un chiffre d’affaires inférieur à 45 millions d’euros. Dans le cadre de ce régime simplifié, les contribuables sont dispensés de présenter le Master File et peuvent se contenter d’un Local File dans un format réduit.
De plus, certaines opérations restent hors champs de l’obligation de documentation (mais pas de l’obligation de les valoriser selon le principe de pleine concurrence). Il s’agit principalement des opérations ne dépassant pas, dans leur ensemble, les 250 000 euros par partie liée, et les opérations réalisées entre des entreprises appartenant au même groupe de consolidation fiscale. Cela veut dire, a contrario, que les opérations intra-espagnoles hors intégration fiscale doivent être documentées.
Dans tous les cas, la documentation prix de transfert doit être prête au moment où la liasse fiscale est remise, mais ne doit être soumise qu’en cas de demande de l’administration fiscale.
Obligations d’information
En outre, depuis 2016, les entreprises espagnoles sont obligées de déclarer les opérations liées réalisées durant l’exercice fiscal en suivant un modèle d’information spécifique (Modèle 232), qui doit être présenté dans les 11 mois suivants la clôture de l’exercice.
D’une manière générale, toutes les opérations réalisées avec la même entité et qui dans son ensemble, dépassent les 250 000 euros doivent être déclarées. Et, sous ce seuil, certaines opérations spécifiques (comme la cession d’actifs incorporels, la transmission d’actions ou l’achat-vente d’immeubles) doivent être déclarées si leur montant dépasse les 100 000 euros.
Caractère intragroupe d’une transaction
Les règles espagnoles définissent clairement ce qui relève ou non d’une transaction intragroupe. Ainsi, sont considérées comme intragroupe toutes les opérations réalisées entre entités ayant entre elle un niveau de contrôle de plus de 25 %. De plus, les opérations réalisées avec des personnes physiques (soit en qualité d’associé ou d’administrateur) sont aussi considérées comme des opérations liées.
Principaux points d’attention lors des contrôles fiscaux
La focalisation de l’administration fiscale espagnole sur les prix de transfert a fortement augmenté au cours des dernières années. Ainsi, le Plan Annuel de Contrôle Fiscal et Douanier pour l’exercice 2018, qui établit les priorités concernant les activités de vérification en Espagne, identifie comme des domaines de risque fiscal potentiel et, donc, susceptibles d’être analysés en profondeur :
- Les opérations impliquant des actifs incorporels à forte valeur
- Les services intragroupe ou management fees
- Les restructurations d’entreprises
- Les opérations de financement intragroupe
Comme en France, l’administration fiscale a également accès à un niveau croissant d’informations sur les opérations réalisées par les contribuables. Parmi les sources d’information, notons le mécanisme de fourniture automatique d’information (SII, en espagnol), par lequel les entreprises doivent fournir sous forme automatique, télématique et presque simultanée les informations relatives aux facturations reçues et émises et la réception d’informations sur les comptes financiers de contribuables espagnols dans le cadre du projet CRS (Common Reporting Standard).
Management fees
Dans le domaine des services intragroupe, la source principale de conflits entre les contribuables et l’administration fiscale porte sur la justification du rationnel des refacturations intragroupe, au-delà même de la simple question de la tarification de ces opérations.
Cette question est d’autant plus importante à la lumière d’un récent arrêt de la Haute Cour de justice espagnole (l’Audiencia Nacional) du 28 avril 2016, dans lequel la Cour a validé le redressement de l’administration fiscale espagnole, qui avait considéré qu’un contribuable ne pouvait déduire de son résultat des dépenses intragroupe dont la justification était insuffisante. L’administration fiscale a considéré qu’une telle attitude correspondait à une faute par négligence.
Restructurations d’entreprises (Cas Colgate-Palmolive et Microsoft)
En février 2018, la Haute Cour a rendu deux arrêts portant sur la rémunération de structures de distribution à risque limité opérant sur le territoire espagnol. Ces deux cas constituent des précédents, tant par l’aspect original de la position de la Cour que par le niveau de discussion technique atteint.
Le cas Colgate-Palmolive illustre l’utilisation des règles de prix de transfert pour remettre en cause des opérations de structuration intragroupe. Au cas d’espèce, le « Principal » (une entreprise suisse) a été considéré, sur la base d’une analyse fonctionnelle, comme la « partie testée », avec un simple objectif de rémunération de routine et, par conséquent, tout le profit résiduel a été attribué à la société espagnole (sans chercher à voir si, en amont, d’autres entités du groupe auraient dû conserver le profit résiduel).
Dans le cas Microsoft, la Cour a validé certains critères techniques utilisés dans l’analyse économique réalisée par l’administration fiscale (ex. exclusion des entreprises en pertes) et l’ajustement de la rentabilité de la filiale espagnole au quartile supérieur de l’intervalle de pleine concurrence, là encore sur la base de l’analyse fonctionnelle.
Ces deux arrêts récents illustrent la nécessité de sécuriser au mieux les transactions intragroupe impliquant des entités espagnoles, dans un contexte où le juge de l’impôt semble moins protecteur qu’en France. Les positions adoptées sont à rapprocher de celle retenue en matière d’établissement stable, via l’arrêt Roche de 2012, qui reconnaît l’existence en Espagne d’un établissement stable au sein d’une entité de distribution agissant en tant que commissionnaire d’une entité suisse sur le marché espagnol. Cette position espagnole, là encore, diffère fortement de celle du Conseil d’Etat dans l’arrêt Zimmer de 2010.