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Il faut une organisation mondiale de la fiscalité

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La crise est un puissant et terrifiant révélateur de l’inadaptation des règles de l’économie mondiale. Elle ouvre en même temps des opportunités sans précédent pour de nouvelles régulations, mot d’ordre du G20 qui s’est réuni à Londres. Le défi fiscal auquel doivent faire face les Etats aujourd’hui, dont les paradis fiscaux sont une partie significative mais émergée de l’iceberg, se pose en ces mêmes termes. Un renforcement du protectionnisme fiscal déjà à l’œuvre dans de nombreux pays serait aussi périlleux qu’une exacerbation de la concurrence fiscale liée à l’absence totale de contrôle, jouant contre les États et les entreprises. La régulation à l’échelle mondiale des politiques fiscales est la seule réponse au conflit qui oppose finances publiques et privées, États nationaux et entreprises internationales.

L’histoire économique de l’après-guerre s’est caractérisée par un développement sans précédent de la mondialisation et de la libéralisation du commerce. Dans le même temps, les autorités fiscales sont, elles, restées confinées à l’intérieur des frontières, alors même que les Etats ont accompagné l’ouverture des marchés. Nous arrivons aujourd’hui à un point de rupture. Le développement incontrôlé de la concurrence fiscale et des paradis fiscaux mais aussi de la double imposition, des obstacles fiscaux ou des nouveaux mécanismes créés pour compenser les anciennes recettes douanières, ont fini par jouer à la fois contre les entreprises et contre des États confrontés à un manque croissant de ressources. In fine, c’est la source de progrès représentée par le développement des échanges qui risque de se tarir.

Le cas des prix de transfert est à cet égard emblématique du passé, et constitue une priorité pour le futur. En 2008, près de 60% du commerce mondial a résulté de transactions effectuées au sein même des entreprises multinationales, une part qui progresse d’année en année (le taux dépasse les 70% au sein de l’UE). Le prix de ces transactions intragroupe, le « prix de transfert », est l’objet d’une attention particulière tant des États que des entreprises. Clé de la répartition du produit de l’impôt entre les Etats et source de revenus fiscaux conséquents, leur imposition est très souvent déconnectée du bien-fondé de la politique de marché des groupes concernés ou de tout fondement économique, pour servir uniquement la rentabilité fiscale. Dans un tel environnement, les entreprises se retrouvent en situation d’insécurité, et sont de plus en plus victimes d’impositions multiples par plusieurs États pour une seule et même activité. Simultanément, les entreprises se doivent de comparer les règles et les pratiques fiscales des États afin de satisfaire à la logique de rentabilité qui préside à toute activité économique.

Aussi la fiscalité des flux internationaux est-elle devenue le principal instrument du protectionnisme en ce début de XXIe siècle, remplaçant l’outil douanier. Plus sophistiqué, il est en apparence moins dissuasif : plutôt que d’imposer des tickets d’entrée, il permet d’envisager une taxation une fois les investissements bien ancrés dans le pays. La barrière à l’entrée est devenue une barrière à la sortie. Or, dans ce monde ouvert, où les entreprises opèrent économiquement sans frontière, cette logique est vouée à l’échec : elle ne pourra que détruire de la richesse, en incitant à la localisation des profits dans les pays fiscalement les plus attractifs et les plus sûrs, en réduisant la productivité des investissements et en contractant le commerce mondial. De fait, les Etats qui cherchent à combler leurs déficits par la taxation des groupes étrangers opérant sur leurs territoires s’appauvrissent nécessairement à moyen terme. Dans la période de crise mondiale que nous vivons, la tentation est pourtant grande de recourir massivement à ce protectionnisme qui ne dit pas son nom. Depuis près d’un demi-siècle, les rounds du GATT et de l’OMC n’ont cessé de lutter contre les entraves au commerce international pour fixer des règles du jeu favorables à l’investissement et à la croissance. Dans le même temps, l’évolution de la fiscalité est demeurée dans l’angle mort des organisations internationales. Attribut de la souveraineté par excellence, l’impôt est resté une chasse gardée aux mains Etats. Alors même qu’ils se dessaisissaient de leurs prérogatives sur le contrôle des échanges, et que le principe de concurrence s’étendait au point d’atteindre la fiscalité elle-même.

Il est temps, non pas de remettre en cause les souverainetés nationales, mais de saisir l’opportunité unique qu’offre la crise pour instituer une compétence fiscale internationale, à même de fixer des règles du jeu et des principes généraux reconnus par les nations. Les institutions économiques internationales ne manquent pas et certaines d’entre elles pourraient parfaitement accueillir cette fonction d’arbitre fiscal international. N’oublions pas non plus la responsabilité de l’Union Européenne : malgré son marché unique, elle n’a toujours pas réussi à faire réellement progresser son intégration sur le plan fiscal, ni même à instaurer les bases d’une coordination suffisante. Il est urgent qu’elle montre enfin l’exemple. La crise et ses effets, eux, n’attendront pas.

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