Selon l’Avocat Général, les services de la plateforme informatique « Aladdin » de BlackRock constituent une prestation de services unique intégralement soumise à TVA dès lors qu’elle est utilisée à la fois pour la gestion de « fonds communs de placement » éligibles à l’exonération de l’article 135-1-g de la Directive TVA et pour la gestion d’autres fonds non éligibles (Conclusions de l’Avocat Général PIKAMÄE, 11 mars 2020, aff. C-231/19, Blackrock Investment Management UK).
L’affaire d’origine britannique concerne une société du groupe BlackRock exerçant l’activité de gestionnaire de fonds. Cette société britannique bénéficie d’une prestation de services rendue par une autre société du groupe établie aux Etats-Unis à travers une plateforme informatique (« Aladdin ») consistant en la fourniture de divers éléments : analyses et contrôles de performance et de risques pour assister les gestionnaires dans la prise de décisions d’investissement, surveillance du respect de la réglementation, assistance aux gestionnaires de portefeuilles afin de mettre en œuvre les décisions.
La société utilise ces services d’une part, dans le cadre de la gestion de « fonds communs de placement » (FCP) au sens de l’article 135-1-g de la Directive TVA qui exonère « la gestion de [FCP] tels qu’ils sont définis par les Etats membres » et, d’autre part, dans le cadre de la gestion d’autres fonds de placement qui ne sont pas éligibles à cette exonération. Ces derniers constituent la majorité des fonds gérés par la société.
L’administration fiscale britannique a considéré que la société devait autoliquider la TVA afférente aux services précités sans pouvoir ventiler entre la partie du service utilisée pour la gestion de FCP (partie que la société entendait exonérer) et celle utilisée pour la gestion d’autres fonds, dans la mesure où la prestation, composée de plusieurs éléments, était destinée de manière prépondérante à la gestion d’autres fonds inéligibles à l’exonération précitée.
Dans cette affaire, la CJUE va être amenée à se prononcer sur le point de savoir si les différents éléments d’une prestation unique de gestion de fonds peuvent être traités, d’un point de vue TVA, de manière différenciée en fonction de leur utilisation ou s’ils doivent recevoir un traitement uniforme.
Pour l’Avocat Général, la solution ne fait pas de doute et s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle dégagée par la CJUE. A titre liminaire, il convient de noter qu’au cas d’espèce, la qualification de « gestion » de la prestation rendue ne fait pas l’objet de discussions dans la mesure où la Cour n’a pas été saisie de ce point par la juridiction britannique. Cette dernière avait considéré la prestation en cause comme relevant de la notion de « gestion » de fonds.
L’Avocat Général analyse la prestation rendue en une prestation unique, au motif que les informations transmises via la plateforme Aladdin peuvent être regardées comme un flux unique d’informations dont la combinaison est recherchée par les gestionnaires de portefeuilles lors des différents cycles d’investissement.
Quant au régime de cette prestation unique, l’Avocat Général écarte les exemples fournis par BlackRock pour lesquels la Cour a admis de traiter différemment les multiples éléments d’une prestation unique au motif qu’il s’agissait d’arrêts d’espèce et de cas exceptionnels commandés par les particularités des affaires en question. A cet égard, l’Avocat Général relève que la lettre de l’article 135-1-g de la Directive TVA n’invite pas à distinguer la « part » des services de gestion destinée à des fonds éligibles à l’exonération de celle destinée à des fonds inéligibles.
Enfin, l’Avocat Général rejette l’idée selon laquelle l’assiette de la taxe devrait être décomposée entre une partie principale taxable et une partie exonérée au motif qu’une partie de la prestation rendue est destinée à la gestion de FCP éligibles à l’exonération car :
- L’exonération même partielle de la prestation en cause qui bénéficie majoritairement à des fonds inéligibles à l’exonération n’est pas conforme à l’objectif de l’exonération visant à faciliter aux investisseurs le placement dans des titres au moyen d’organismes de placement collectif en excluant les coûts de la TVA ;
- Au cas particulier, il est impossible d’isoler une caractéristique distincte au sein de la prestation pour déterminer quelle portion de services vise à gérer les FCP des autres fonds. L’argument de BlackRock selon lequel le prix payé pour les services de gestion serait calculé au prorata de la valeur des actifs gérés est écarté par l’Avocat Général. En effet, cette méthode ne serait pas conforme au libellé de l’exonération, qui n’exonère pas en fonction « des actifs des FCP gérés » et conduirait, en pratique, à faire varier en permanence l’assiette de la taxe en fonction de la valeur des fonds concernés. La détermination de la date à laquelle se placer pour apprécier la valeur des fonds serait, en outre, source de difficulté.
L’Avocat Général conclut donc au cas particulier en faveur de la taxation de l’intégralité de la prestation rendue.
Toutefois, l’Avocat Général souligne que l’exonération pourrait être octroyée aux services fournis par un tiers à un gestionnaire de fonds, à la condition que le prestataire fournisse des données détaillées permettant à l’administration d’identifier de manière précise et objective les services fournis spécifiquement en faveur de fonds éligibles à l’exonération.
La date de prononcé de la décision de la Cour n’est à ce jour pas connue.
Pour mémoire, le texte d’exonération applicable en France, l’article 261 C, 1°-f) du CGI, a fait récemment l’objet de modifications par la loi de finances pour 2020 quant à la liste des fonds éligibles.