À l’occasion d’une demande d’imputation des déficits reportables de la société vérifiée, le Conseil d’État rappelle, par un arrêt didactique, les modalités d’application des règles d’attribution de la charge de la preuve.
En application des règles gouvernant l’attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, et sauf dispositions contraires, il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa prétention. Néanmoins, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci (CE 16 janvier 2006 n°258277 ; CE 10 mai 2012 n°328263 et 328302, min. c/ SARL cabinet Lionel Triquet ; CE 19 juillet 2016 n°380716 et 380717, SAS Fruitofood).
L’histoire
Une SCI donne en location le bien immobilier dont elle est propriétaire à une EURL à fin d’exploitation d’un fonds de commerce de location de gîtes ruraux, de chambres et tables d’hôtes et de toute activité d’hébergement assortie de prestations à caractère hôtelier et para-hôtelier.
À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale remet en cause le traitement fiscal des résultats réalisés par la SCI et considère que cette dernière exerce une activité industrielle et commerciale la rendant redevable de l’impôt sur les sociétés. Les redressements portent sur les exercices clos de 2010 à 2012. Elle lui oppose par ailleurs un refus de constater l’existence de déficits reportables à la clôture de l’exercice 2009.
La SCI a donc saisi le TA de Montpellier d’une demande d’imputation, au titre de son exercice clos le 31 décembre 2010, des déficits en report constatés sur son exercice clos le 31 décembre 2009.
La société ne convainc ni le tribunal administratif, ni la Cour administrative d’appel. La CAA de Marseille juge en outre qu’il appartient au contribuable de justifier l’existence et le montant du déficit qu’il entend reporter. Or, pour la première fois en appel, la SCI a produit les grands livres des comptes généraux afférents aux exercices clos de 2003 à 2008 et à celui clos en 2011 ainsi que la balance des comptes généraux pour les exercices clos en 2009 et 2010, ainsi que le bilan de l’exercice clos en 2010.
Aussi, à défaut de toute justification des écritures comptables correspondantes et en l’absence de précision sur l’origine de ces déficits, elle décide que la SCI ne saurait être regardée comme justifiant l’existence et le montant des déficits reportables à la clôture de l’exercice clos en 2009. Elle n’est donc pas fondée à demander le report de ces déficits au titre de son exercice clos le 31 décembre 2010.
La décision
Le Conseil d’État rappelle d’une part, qu’en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l’exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé au titre dudit exercice (CGI, art. 209 du CGI).
D’autre part, il rappelle (comme l’avait précédemment fait la CAA de Marseille dans sa décision) qu’en vertu des règles gouvernant l’attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s’il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci.
Il juge ainsi que pour l’application des dispositions de l’article 209 du CGI, il appartient au contribuable de justifier l’existence d’un déficit reportable et de son montant. À ce titre, il s’acquitte de cette obligation par la production d’une comptabilité régulière et probante ou, à défaut, par toute autre preuve extracomptable suffisamment probante.
Dans l’hypothèse où le contribuable s’acquitte effectivement de cette obligation en produisant une comptabilité, il incombe ensuite à l’administration fiscale, si elle s’y croit fondée, soit de critiquer les écritures ayant conduit à la constatation d’un déficit, soit de demander au contribuable de justifier de la régularité de ces écritures. Il appartient enfin au juge de l’impôt d’apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l’administration fiscale.
Or, dans le cadre du débat contradictoire devant la CAA, la SCI a, en réponse aux critiques formulées par l’administration fiscale qui lui reprochait de ne pas justifier du déficit qu’elle invoquait, produit des documents comptables se rapportant à la période allant de 2003 à 2011, qui n’ont pas été critiqués par l’administration fiscale.
Dès lors, le CE juge que la CAA a commis une erreur de droit en décidant que la SCI ne justifiait pas de l’existence et du montant des déficits en litige au seul motif qu’elle n’avait pas assorti les documents comptables de justifications des écritures comptables qu’ils retraçaient et de précisions sur l’origine des déficits.
Il prononce en conséquence l’annulation de l’arrêt attaqué (et le renvoi de l’affaire devant la même Cour).