Petit guide pratique visant à améliorer la sécurité fiscale des entreprises en France
Rares sont les chefs d’entreprise français qui peuvent aujourd’hui affirmer n’avoir jamais été inquiétés par l’insécurité de notre environnement fiscal. Une enquête menée par Deloitte Société d’Avocats en 2007 auprès d’un panel important de dirigeants français en témoigne1 : « l’insécurité fiscale » n’est pas une abstraction de l’esprit, mais bien une expérience vécue. Ces acteurs de l’économie réelle s’accordent d’ailleurs pour désigner, à hauteur de 64% d’entre eux, l’instabilité et l’opacité de la norme fiscale comme cause principale de cette atmosphère anxiogène. Comment ne pas les comprendre : ces dirigeants d’entreprise, dont la lourde tâche consiste justement à prendre quotidiennement des décisions de gestion susceptibles de remettre en cause l’équilibre financier de leur société, souhaitent ne pas ajouter au risque inhérent à toute entreprise le risque supplémentaire et, pour ainsi dire, extérieur, tenant à un cadre juridico-fiscal instable et incertain. L’homo economicus veut pouvoir définir sa stratégie et engager ses capitaux dans un cadre normatif clair, précis et stable. Autant dire que le cadre fiscal français ne constitue pas encore un modèle du genre, et que certains chiffres sont plutôt de nature à effrayer nos « aventurier » des temps modernes :
- le Code Général des Impôts (CGI), publié par les Editions Dalloz sous format papier, comptait déjà 2.700 pages en 2005, puis 3.300 pages en 2010, pour finalement atteindre 3.450 pages en 2012
- chaque année, environ 20% des articles du CGI sont modifiés de façon profonde ou anecdotique
- entre 2000 et 2008, 32 dispositifs fiscaux ont été créés en moyenne chaque année et 20 ont été supprimés
- la documentation publiée par l’administration (ladite « doctrine administrative »), réunie aujourd’hui dans la base « Bulletin Officiel des Finances Publiques » (Bofip), atteint autour de 35 000 pages réparties en 5.000 documents
- chaque année, l’Administration publie en moyenne 200 nouvelles instructions, pour un volume de plus de 2.000 pages, qui viennent s’ajouter ou modifier la doctrine existante
Autant dire que le travail dévoué et acharné de toute une vie ne suffirait pas pour pénétrer et décrypter les rouages secrets du système fiscal français. Il est certes possible d’objecter que cette complexité n’est, tout compte fait, que le reflet de l’évolution incessante et désordonnée de notre société. L’époque, dite parfois « post-moderne », ne se caractérise-t-elle pas justement par une technologie de plus en plus complexe et immatérielle, par des rapports sociaux toujours plus mouvants et hétérogènes ? À supposer cette observation avérée, la mission du législateur n’a pas pour autant significativement changée depuis l’époque où Lycurgue consultait les oracles à Delphes… et l’idéal de sécurité juridique, qui demeure un des piliers de notre Etat de droit, n’en prend que plus d’importance. Or, à cet égard, force est de constater que les réponses apportées jusqu’à aujourd’hui par les pouvoirs publics français ne sont pas à la hauteur des attentes des acteurs du marché international (1.). Quelques recettes simples, susceptibles d’améliorer significativement le sentiment de sécurité fiscale dans notre pays, existent pourtant (2.).
1. Les réponses apportées par les pouvoirs publics au besoin de sécurité juridique
De nombreux acteurs de la puissance publique sont intervenus au fil du temps pour essayer de réduire les risques et contraintes inhérents à la complexification de notre système fiscal : le législateur bien sûr (1.1.), mais aussi le conseil constitutionnel et l’autorité judiciaire (1.2.).
1.1 Les réponses du législateur
Dès 1959, confronté au développement incessant de la doctrine administrative2, le législateur est intervenu pour protéger le contribuable contre une administration fiscale qui n’hésitait plus à invoquer sa propre turpitude en redressant des contribuables qui avaient suivi les instructions d’une doctrine administrative illégale. Codifiée aujourd’hui à l’article L 80 A du Livre des Procédures Fiscales (LPF), ladite « opposabilité de la doctrine administrative » est une sécurité vis-à-vis de l’interprétation des textes fiscaux donnée par l’administration fiscale : lorsque celle-ci s’exprime spontanément dans des documents de portée générale, ou dans des décisions individuelles, et qu’il s’avère que cette interprétation est contraire à la loi fiscale qu’elle est supposée appliquer, l’Administration n’est plus en droit de remettre en cause le régime d’imposition d’un contribuable qui s’est contenté de faire une application fidèle de cette interprétation. À cet égard, il est nécessaire de bien avoir à l’esprit les hypothèses visées par le législateur : une situation où la contrariété du régime d’imposition d’un contribuable avec la loi fiscale n’est pas imputable à une erreur ou à une maladresse de celui-ci, mais bien à une faute de l’administration fiscale dans l’exercice de son pouvoir exécutif. Contrairement aux affirmations de certains, l’objet de ce dispositif n’est donc pas de bouleverser la hiérarchie des normes en reconnaissant une portée normative à la doctrine administrative. Il s’agit simplement d’éviter, à des fins de sécurité juridique, qu’une erreur de l’administration fiscale soit à l’origine d’un dommage pour le contribuable. C’est la transposition au sein de l’hexagone du principe de confiance légitime reconnu par nos voisins Belges : « les services publics sont tenus d’honorer les prévisions justifiées qu’ils ont fait naître dans le chef des citoyens » (Cour de Cassation Belge, 27 mars 1992).
Puis, en 1987, suite à la remise du rapport un peu alarmant de la commission {Aicardi}, le législateur s’est décidé à étendre la garantie prévue à l’article L 80 A du LPF, pour les interprétations générales (et spontanées) d’un texte fiscal, aux prises de position sollicitées de l’administration fiscale. Codifié à l’article L 80 B du LPF, ce mécanisme dit du « rescrit » introduit une garantie supplémentaire : la réponse écrite formulée par l’administration fiscale saisie par un contribuable d’une demande d’appréciation de sa situation de fait lui est opposable tant que la bonne foi du contribuable n’est pas susceptible d’être remise en cause. La bonne foi du contribuable est ici la contrepartie logique de la démarche consentie par l’Administration : prendre position sur le traitement fiscal d’une situation de fait dont les ressorts profonds ne sont connus que par le contribuable lui-même. Cette version française du « ruling » présente l’avantage, par rapport aux Etats-Unis, aux Pays-Bas ou à l’Espagne, de ne pas être limitée à des domaines particuliers et d’être opposable au juge de l’impôt. Cette garantie couvre tous les impôts, droits et taxes régis par le CGI. De surcroît, pour certains sujets bien circonscrits (i.e. éligibilité à l’amortissement exceptionnel, éligibilité au crédit d’impôt recherche, qualification d’un établissement stable), le contribuable français est titulaire d’un quasi « droit » au rescrit : l’Administration est tenue juridiquement de répondre à ses sollicitations dans un délai déterminé (allant de 3 à 6 mois), sous peine d’accorder implicitement son accord. Si la pratique du rescrit a rencontré des difficultés au départ pour rentrer dans les mœurs françaises, force est de reconnaître qu’aujourd’hui elle a déjà gagné la faveur de beaucoup d’entreprises – on en veut pour preuve le nombre croissant des rescrits qui, après avoir été anonymisés, sont publiés sur le site de l’administration fiscale.
1.2. Les réponses du conseil constitutionnel et de l’autorité judiciaire
Bien que le principe de sécurité juridique n’ait pas à proprement parler de place autonome au sein du bloc de constitutionnalité, le conseil constitutionnel est parvenu par le truchement d’autres normes à valeur constitutionnelle à apporter sa propre pierre à l’édifice. Confronté à un législateur friand de dispositions fiscales rétroactives, il a d’abord refusé de souscrire aux sirènes de la raison d’Etat qui l’invitaient à reconnaître un caractère « inévitable » aux mesures rétroactives en matière fiscale. La tâche était pourtant difficile, entre le caractère « nécessaire » du pouvoir d’imposition de l’Etat reconnu par l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC), et « la garantie des droits » reconnue au contribuable par l’article 16 de cette même déclaration. Le Conseil a fini par trancher en 1986 en reconnaissant que si le législateur a la faculté d’adopter des dispositions rétroactives, c’est uniquement « en considération d’un motif d’intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ». Au fil d’une jurisprudence aujourd’hui bien établie, le conseil s’est ainsi réservé le droit d’invalider les atteintes les plus manifestes que la rétroactivité d’une loi fiscale peut porter aux droits fondamentaux du contribuable. Puis, confronté à la multiplication des dispositions imbriquées et renvois obscurs du législateur français, le conseil constitutionnel a de nouveau frappé en 2005 en reconnaissant qu’une norme fiscale présentant « une complexité excessive au regard de l’aptitude de leurs destinataires à en mesurer utilement la portée » pouvait être « une source d’insécurité juridique » pour le contribuable et, à ce titre, contraire au principe d’égalité devant la loi. La montagne semble toutefois avoir accouché d’une souris. Le seuil minimum d’intelligibilité de la loi fiscale érigé par le conseil en objectif à valeur constitutionnelle, s’il a eu raison du dispositif de plafonnement des niches fiscales prévues par l’article 78 de la loi de finances pour 2006 (illisible même pour les plus aguerris !), n’a pas permis de contenir longtemps le tropisme du législateur envers une phraséologie réservée aux seuls initiés. Depuis 2005, ce ne sont pourtant pas les occasions qui ont manqué pour affermir et développer cette exigence de qualité et d’intelligibilité de la loi fiscale…
Un dernier acteur parmi les pouvoirs publics qui n’a pas démérité sur ce sujet est l’autorité judiciaire. Effort d’autant plus appréciable que le juge venait de loin : ni le principe de sécurité juridique, ni le principe de confiance légitime, n’avaient de place en droit français. Ces principes juridiques d’inspiration allemande étaient en revanche connus depuis longtemps de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)3 et de la Cour Européenne des droits de l’homme (CEDH)4. C’est donc par le prisme du droit européen, dont l’influence n’a cessé de croître depuis que le juge français s’est octroyé le droit d’exercer un contrôle de conventionalité sur la loi nationale, que la sécurité juridique va progressivement se tailler une place dans l’ordonnancement juridique français. La performance fut quasi-unanimement honorée lorsque, le 24 mars 2006 à l’occasion de la célèbre décision « Société KPMG », le Conseil d’Etat finira par ériger la sécurité juridique parmi les principes généraux du droit. Désormais, dans le cadre du contrôle de légalité, le principe de sécurité juridique peut « être utilement invoqué en vue de faire échec à l’application de disposition du CGI »5 à valeur règlementaire ou jurisprudentielle. Le juge de l’impôt a d’ailleurs récemment eu l’occasion d’annuler une disposition à valeur réglementaire instituant un droit de reprise en faveur de l’administration fiscale sans limitation dans le temps sur ce fondement6.
2. Les problèmes non résolus par les pouvoirs publics
En dépit des efforts réalisés par les pouvoirs publics en matière de sécurité fiscale, notre système fiscal a mauvaise réputation auprès des investisseurs étrangers. C’est que les entorses à cette sécurité restent encore innombrables. Toutes ne sont pas insurmontables et, parmi celles-ci, il en existe même quelques-unes qui pourraient être facilement corrigées : la « petite » rétroactivité des lois de finances (2.1.), l’instabilité de la norme fiscale (2.2.) et le caractère unilatéral du contrôle fiscal (2.3.).
2.1 La « petite » rétroactivité des lois de finances
En droit fiscal français, c’est le fait générateur de l’impôt qui commande la loi fiscale applicable. Or depuis 1948, en matière d’impôt sur les sociétés, ce fait générateur correspond à la clôture de l’exercice comptable. Pour cette raison, il est admis en pratique que l’adoption d’une loi fiscale qui entre en vigueur préalablement à la clôture d’un exercice comptable (et souvent seulement quelques jours ou heures avant cette clôture !) peut déployer ses effets sur l’ensemble des opérations qui ont été réalisées par l’entreprise entre l’ouverture et la clôture de cet exercice. Tolérance qui, dans le pire des scenarii, peut concrètement aboutir à rétroagir l’effet de ladite loi sur plus de 11 mois ! Nul doute que quelques visiteurs étrangers (surtout s’ils s’avèrent être Persans et philosophes), à la vue de cette singularité du système fiscal français, nous demanderaient : « Mais comment les agents économiques de ce pays peuvent-ils avoir confiance dans un système fiscal qui s’autorise, annuellement et impunément, à changer rétroactivement leur régime d’imposition ? ». Nous serions tentés de leur répondre, faute de mieux, qu’il ne s’agit là que d’une « petite » rétroactivité. Une maigre entorse à la sécurité juridique, en somme, que nous expliquerons (ironie du sort) par un raisonnement purement juridique : avant la clôture de chaque exercice comptable, n’étant pas encore redevable de l’impôt sur les sociétés, l’entreprise ne peut {de jure} prétendre à l’application d’une loi fiscale déterminée… et ce n’est qu’à l’instant où elle clôt son bilan pour l’exercice écoulé que, devenue redevable légal de l’impôt, elle est en droit de connaître avec certitude la loi qui commande le calcul de celui-ci. Puis nous ajouterions, par souci d’exhaustivité, que si notre Constitution contient bien des principes juridiques encadrant la rétroactivité juridique des lois fiscales – i.e. une modification rétroactive des règles applicables à la détermination d’un impôt dont le fait générateur est déjà intervenu – elle est en revanche inopérante à l’encontre de la « petite » rétroactivité des lois fiscales7. Un instant stupéfaits par la rigueur de notre démonstration juridique (signe de notre cartésianisme légendaire), nos deux visiteurs Persans auront vite fait de retrouver leurs esprits et de nous alerter sur les risques inhérents à ce type de « raisonnement ». À savoir qu’il n’est pas une décision de gestion significative au sein de l’entreprise qui ne soit prise sans calcul et anticipation de ses coûts fiscaux. Que permettre au législateur de modifier rétroactivement le régime fiscal d’un contribuable, c’est oublier que la fiscalité est un paramètre déterminant du marché économique et, par la même occasion, c’est fausser l’arbitrage de ses agents (dirigeants, entrepreneurs et investisseurs). Remarques d’autant plus convaincantes que, au-delà du bon sens dont ne manquerait pas de se réclamer nos deux étrangers, un bref retour en arrière sur l’histoire de cette « petite » rétroactivité suffit à remettre en cause l’infaillibilité du raisonnement juridique qui fait aujourd’hui autorité.
Avant 1948, le droit fiscal français dissociait l’année de la « réalisation » des revenus (exercice n) et l’année de leur « imposition » (exercice n+1). En application d’une jurisprudence constante, le fait générateur de l’impôt sur le revenu des entreprises intervenait au 1er janvier de l’année d’imposition, soit à une date qui correspondait concrètement à la clôture de l’année de réalisation des revenus. La grande réforme fiscale de 1948 est venue bouleverser cette harmonie puisque, tout en opérant une fusion entre la période de réalisation des revenus et celle de leur imposition (voir actuel article 12 du CGI), le législateur s’est bien gardé de préciser la date à retenir pour le fait générateur de l’impôt. Confronté au silence de la loi, le Conseil d’Etat a fait le choix en 1956 d’ « abandonner la règle de la détermination de la loi fiscale à la date du 1er janvier de l’année d’imposition » afin de préserver le « principe d’après lequel le fait générateur de l’impôt n’apparaît qu’à la clôture de la période de réalisation de ces revenus »8. Car selon les partisans de la « petite » rétroactivité, le fait générateur de l’impôt doit nécessairement intervenir après que la tranche annuelle des revenus soit constatée, c’est-à-dire à la fin de l’année de réalisation des revenus (ou clôture de l’exercice pour les sociétés). Le caractère inéluctable de cette solution est toutefois discuté (et discutable). D’un point de vue strictement juridique, la réforme de 1948 n’imposait pas de modifier la temporalité du fait générateur au bénéfice de la clôture de la période de réalisation des revenus. Or la solution inverse – i.e. préservation du fait générateur au 1er janvier de l’année d’imposition (soit à l’ouverture de l’exercice) – aurait permis au contribuable d’être imposé sur un revenu annuel conformément à des règles fixées (et connues) à l’avance… et un tel système n’était pas, de l’avis même d’un célèbre Commissaire du Gouvernement, « inconcevable »9
Dans ces conditions, alors que la concurrence fiscale fait rage et que la « petite » rétroactivité devient difficilement conciliable avec les garanties que le contribuable français peut aujourd’hui tirer du « droit au respect des biens » reconnu par l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales10, comment ne pas souscrire aux propositions (récurrentes) du Conseil des Impôts invitant le législateur à « inverser le principe qui prévaut aujourd’hui : les lois de finances ne s’appliqueraient qu’aux exercices commencés après leur entrée en vigueur, sauf disposition expresses »11. Surtout qu’il n’est pas nécessaire d’engager une révision constitutionnelle et d’inscrire le principe de sécurité juridique dans le préambule de la Constitution de 1958 pour se débarrasser de cet anachronisme. Une simple modification de la loi organique relative aux lois de finances (ladite Lolf), prévoyant que les lois de finances votées par le Parlement ne sont applicables qu’aux exercices ouverts après leur entrée en vigueur, offrirait aux contribuables des garanties suffisantes.
2.2. L’instabilité de la norme fiscale
Les dispositifs fiscaux ayant été victimes des ajustements répétés et désordonnés du législateur (ou de la doctrine administrative) ne manquent pas (e.g. bouclier fiscal, crédit d’impôt recherche, régime de déduction des intérêts financiers). À titre d’illustration pratique, l’histoire de la « niche Copé » en est un bel exemple.
Introduite en 2004, cette « niche » avait pour ambition d’améliorer l’attractivité du système fiscal français pour les sièges de direction (holding) de groupe français et étrangers en permettant, à compter du 1er janvier 2007, une exonération des plus-values à long terme sur la cession de titres de participation au titre de l’impôt sur les sociétés. Inspirée du modèle néerlandais du « participation-exemption », ladite « niche » correspondait en réalité à une véritable réforme du système d’imposition des entreprises visant à assurer une égalité de traitement fiscal (le principe de neutralité) entre les diverses formes de rémunération des titres de participation : les dividendes d’un côté, et les plus-values à long terme de l’autre. Dans l’esprit du législateur, en effet, l’exonération accordée aux plus-values à long terme réalisées par les holdings détenant des titres de participation n’était que le prolongement de l’exonération des dividendes dont ces entités bénéficient depuis la grande réforme fiscale de 1948. À l’instar des dividendes, d’ailleurs, l’exonération des plus-values de cession n’était pas intégrale : une quote-part de 5% (dite de « frais et charges », car réputée correspondre aux charges antérieurement déduites) de la plus-value demeurait passible de l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun. Dans l’hypothèse où la cession des titres de participation dégageait non pas une plus-value, mais une moins-value, celle-ci était susceptible de se compenser avec les plus-values à long terme réalisées au cours du même exercice. En revanche, si au terme de l’exercice le solde des plus/moins values long terme se révélait être négatif, le déficit afférent était perdu et ne pouvait être reporté sur les exercices suivants.
Outre les nombreuses modifications visant à prévenir les divers schémas d’évasion fiscale développés au sein de certains groupes d’entreprises, le législateur est venu en 2011 relever le taux de la quote-part de frais et charges imposable de 5% à 10% pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2011. Puis, en 2012, le législateur est revenu pour augmenter un peu plus le taux de la quote-part (qui passe de 10% à 12%), mais aussi pour changer l’assiette de cette quote-part: les moins-values à long terme ne peuvent plus s’imputer sur les plus-values à long terme réalisées au cours du même exercice (le revenu net est devenu un revenu brut). Résultat : la neutralité que le législateur s’était engagé à introduire entre les différentes formes de rémunération des titres de participation est aujourd’hui rompue. Alors que les dividendes intra-groupe supportent en théorie un taux effectif d’imposition de 1,66%, les plus-values long terme intra-groupe supportent un taux effectif d’imposition de 3,99%. Nul doute que les investisseurs américains et asiatiques qui ont répondu positivement aux appels de la « niche copé » en choisissant d’établir leur siège de direction européen (ladite « Sub-holding ») en France retiendront la leçon : les promesses du législateur français n’engagent que ceux qui les écoutent.
Pour regagner la confiance de ces agents économiques, quelques mesures concrètes et simples inscrites dans la Loi organique relative aux lois de finances (Lolf) permettraient de prévenir les comportements les plus abusifs du législateur :
- Obliger le législateur à limiter dans le temps la durée des dépenses fiscales et à ne pas les modifier avant leur terme (sauf motif sérieux), pour garantir une visibilité de leur durée de vie
- Subordonner la prolongation de ces dépenses fiscales (au-delà de la durée de vie fixée initialement) à un bilan de leur efficacité (i.e. une étude d’impact)
2.3. L’unilatéralité du contrôle fiscal
En matière de contrôle fiscal la France a mauvaise presse. Cela tient probablement au lourd héritage des fermes générales de l’Ancien régime, et à la relation conflictuelle que le fisc et le contribuable ont entretenue depuis. D’autres Etats, autrefois également réputés pour l’agressivité de leurs administrations fiscales, sont parvenus à contenir cet antagonisme en introduisant pour les grandes entreprises un outil alternatif au contrôle fiscal classique : le contrat de partenariat/coopération entre l’Administration et le contribuable.
Les précurseurs dans cette démarche de contractualisation de la relation Administration/contribuable sont les néerlandais. En 2005, à côté du contrôle fiscal classique (dit « vertical »), le Ministère des Finances a mis en place un système de contrôle fiscal dit « horizontal » (horizontal toezicht). Ce dernier, dès l’origine, a été présenté comme un programme de coopération entre l’administration fiscale et le contribuable qui, sous l’autorité d’un contrat de partenariat, permettrait de privilégier la prévention sur la répression. En étroite collaboration avec le contribuable, ce contrôle horizontal repose sur une procédure allégée (mais continue) de revue des opérations d’une entreprise en amont du dépôt de la déclaration fiscale qui trouve sa contrepartie dans la garantie, pour le contribuable, de ne pas voir ses positions fiscales remise en cause par la suite à l’occasion d’un contrôle. Les clauses du contrat sont rédigées de manière à garantir un niveau très élevé de coopération et de transparence : l’Administration s’engage à vérifier rapidement et en toute transparence les positions fiscales prises par l’entreprise, et celle-ci s’engage à tenir l’Administration informée en temps réel de toutes les décisions de gestion susceptible de comporter un risque fiscal. Cette coopération présuppose bien entendu une confiance réciproque des co-contractants12, mais aussi l’existence chez le contribuable d’un système de contrôle interne dense et efficace… un département fiscal pourvu de personnels qualifiés, en somme. Le résultat attendu de cette réforme était, de l’avis même du Ministère des Finances néerlandais, un véritable changement de paradigme : en lieu et place de l’agent chargé de contrôler {a posteriori} la conformité du résultat fiscal d’une entreprise avec la loi fiscale, l’inspecteur des impôts deviendrait un partenaire (voir un prestataire) chargé de veiller à la bonne exécution d’un contrat de gestion du risque fiscal avec l’entreprise.
Bien qu’il soit encore difficile de dresser un bilan13, l’enthousiasme suscité par cette expérience initiée dans le plat pays est considérable : l’OCDE a fait du passage à un modèle de « Enhanced Relationship/Cooperative Compliance » le défi de ce début de XXIe siècle14, et des démarches comparables de coopération sont actuellement en voie d’expérimentation en Grande-Bretagne et en Allemagne. La France n’est pas restée insensible à cette évolution des mentalités puisque, le 21 janvier 2013, Bercy a présenté officiellement un projet visant à renforcer la « relation de confiance » entre l’administration fiscale et les grandes entreprises. Directement inspirée du modèle néerlandais, ce projet vise à introduire sur la base du volontariat un dispositif de gestion du risque basé non plus sur un contrôle fiscal à caractère punitif (unilatéral et a posteriori), mais sur un contrôle fiscal à caractère coopératif et partenarial (bilatéral et a priori). Plus précisément, la proposition suivante, en ligne depuis le 2 juillet dernier15, a été faite aux grandes entreprises : si le contribuable s’engage à être loyal et transparent (c’est-à-dire à fournir en temps réel l’ensemble des informations financières nécessaire à l’exercice d’une revue fiscale, parallèlement à la procédure de contrôle des commissaires aux comptes), l’Administration acceptera de valider son résultat fiscal en amont et de renoncer à son droit de reprise pour l’avenir. S’il est possible de s’interroger sur l’intérêt pour les entreprises à entrer dans une telle relation, nul doute que la sécurité fiscale au sein de l’ordre juridique français sortirait grandie de la généralisation d’une telle pratique.