Dans le cadre d’une TUP placée sous le régime de faveur, la société confondante est fondée à déduire une moins-value représentative de la perte réelle de valeur subie du fait de l’annulation des titres. Est sans incidence à cet égard la circonstance que la règle d’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit puisse faire obstacle à la taxation de la reprise de la provision pour dépréciation des titres de la société confondue.
L’histoire
La société France Télécom SA, tête d’un groupe intégré, a inscrit en comptabilité une provision pour dépréciation des titres de sa filiale intégrée, la société Cogecom, pour des montants de 9 md € en 2002 et 3 md € en 2004. Elle n’a toutefois pas déduit les dotations aux provisions pour dépréciation de son résultat imposable.
En 2005, Cogecom a fait l’objet d’une TUP au profit de France Télécom SA, placée sous le régime de faveur.
France Télécom SA a déterminé le mali de confusion par différence entre d’une part le montant de l’actif net comptable de Cogecom qui lui a été transmis et d’autre part la valeur nette comptable des titres annulés, c’est-à-dire la valeur brute des titres minorée des provisions pour dépréciation constituées en 2002 et 2003 non déduites fiscalement. Elle a considéré que la différence en résultant devait être regardée intégralement comme un mali technique, non déductible fiscalement.
La provision pour dépréciation a été annulée en comptabilité – les titres ayant disparu – sans qu’une reprise de provision ne soit constatée, ni au résultat comptable, ni au résultat imposable.
Parallèlement, France Télécom a déduit extra-comptablement un montant équivalent à la provision pour dépréciation (12 md €).
Le redressement
À l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur l’exercice 2005, l’Administration a considéré que France Télécom aurait dû déduire de son résultat imposable les provisions constitués en 2002 et 2003 et, par suite, a ajouté à son résultat imposable de 2005 le montant de la provision pour dépréciation inscrite à l’ouverture de l’exercice 2005.
Cette affaire a donné lieu à un long contentieux, qui s’est d’abord essentiellement cristallisé autour de la notion de 1er exercice prescrit pour l’application de la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture (CAA Versailles, 18 février 2016, n°13VE02491, CE 5 décembre 2016, n°398859, en 1re cassation, CAA Versailles, 24 juillet 2018, n°16VE03503, Sté Orange).
Examinant désormais l’affaire au fond dans le cadre d’un 2nd pourvoi, le Conseil d’État se prononce, de manière nouvelle, sur la faculté pour France Télécom de déduire une moins-value correspondant aux provisions pour dépréciation constituées avant la TUP.
Notion de 1er exercice non prescrit pour l’application de la règle d’intangibilité du bilan d’ouverture
Il est désormais de jurisprudence constante qu’une provision inscrite en comptabilité et qui remplit l’ensemble des conditions fiscales de déductibilité doit être effectivement déduite pour la détermination du résultat imposable (CE, 23 décembre 2013, n°346018, Société Foncière du Rond-Point, CE, 10 août 2017, n°398791, Sté Dalkia).
En pratique, lorsque l’entreprise n’a pas déduit cette provision, le juge admet que l’Administration puisse corriger la surestimation de l’actif net du bilan d’ouverture de l’exercice au cours duquel elle est reprise. En minorant le bilan d’ouverture de l’exercice du montant de la provision non déduite, l’Administration peut ainsi tirer les conséquences de sa reprise. Par application du mécanisme de correction symétrique, elle est toutefois tenue, sauf cas d’erreur délibérée, de corriger à la baisse la valeur de l’actif net de clôture de l’exercice précédent, la correction des valeurs devant ainsi être opérée jusqu’à l’exercice de dotation de la provision.
Lorsque la provision a été constituée en période prescrite, ces corrections se heurtent à l’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit (CGI, art. 38-4 bis). Il en résulte une variation négative de l’actif net du 1er exercice non prescrit, ce qui permet à l’entreprise de récupérer son droit à déduction de la provision. Par ailleurs, ce principe d’intangibilité du premier exercice non prescrit fait obstacle à toute taxation de la reprise de la provision lorsque cette reprise affectait le résultat de ce 1er exercice non prescrit. En effet, dès lors que la provision ne peut être constatée au bilan d’ouverture de cet exercice, aucune variation d’actif net taxable ne peut être mise en évidence au titre de ce même exercice à raison de la reprise de la provision.
En application de l’article 38, 4 bis du CGI, l’actif net intangible doit être déterminé au regard du délai général de reprise prévu à l’article L. 169 du LPF (en règle générale, le droit de reprise de l’Administration s’exerce jusqu’à la fin de la 3e année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due). Toutefois, il doit également être tenu compte, pour la détermination de cet actif net, des actes ayant interrompu la prescription conformément à l’article L. 189 du LPF.
En l’espèce, en application de la prescription triennale, le 1er exercice non prescrit était 2005. Toutefois, les résultats de l’exercice 2004 avaient également fait l’objet de rectifications, notifiées par une proposition de rectification en 2007. Par conséquent, cette proposition de rectification doit être regardée comme ayant interrompu le délai de reprise de l’Administration au titre dudit exercice et comme lui ayant ouvert un nouveau délai, qui n’était pas expiré à la date de la notification de la proposition de rectification relative aux provisions litigieuses, adressée à la société en 2008.
En revanche si l’exercice au titre duquel la proposition de rectification interruptive a été notifiée constitue bien le 1er exercice non prescrit, c’est à hauteur seulement du montant du redressement notifié.
Au cas particulier, cela conduit à considérer que le bilan d’ouverture de l’exercice 2005 n’est pas intangible à hauteur des redressements notifiés au titre de l’exercice 2004 (à hauteur de 2 Md €).
En pratique donc :
- Pour le surplus de provision en litige (9 Md €) : le 1er exercice non prescrit était l’exercice 2005. Or, il s’agit de l’exercice de reprise de la provision. Le bilan d’ouverture de cet exercice étant intangible, l’Administration ne pouvait le rectifier en y inscrivant la provision, ce qui rendait impossible l’inscription de sa reprise au bilan de clôture. Aucun rehaussement n’était donc possible.
- À hauteur des 2 Md €, le 1er exercice non prescrit était 2004, de sorte que l’Administration pouvait modifier le résultat imposable de 2005. En toute logique toutefois, la société aurait dû bénéficier du jeu de la correction symétrique, puisque la provision aurait dû faire l’objet d’une déduction au titre du bilan de clôture de 2004, neutralisant la reprise de provision en 2005. Mais, au cas particulier, il s’agissait d’une provision intra groupe, de sorte que si la correction conduisait bien à la déduction de la provision du résultat propre de la société France Télécom, cette provision devait ensuite être neutralisée en 2004 par application des règles propres aux groupes intégrés.
Faculté de déduire la moins-value correspondant aux provisions pour dépréciation constituées avant la TUP
Pour mémoire, il résulte des articles 745-3 et suivants du PCG que le mali de fusion correspond à l’écart négatif entre (i) l’actif net reçu par la société absorbante à hauteur de sa participation détenue dans la société absorbée et (ii) la valeur comptable de cette participation.
Le mali de fusion se décompose en un « mali technique » et un « vrai mali » :
- Le mali technique correspond aux plus-values latentes sur actifs apportés minorées des passifs non comptabilisés. Ce mali technique n’est fiscalement pas déductible
- Le vrai mali – seul déductible fiscalement – est égal à la différence entre le mali de fusion et le mali technique
Pour calculer le mali de fusion, la valeur comptable de la participation à retenir est la valeur nette comptable (VNC), c’est-à-dire y compris les dépréciations éventuellement comptabilisées avant l’opération de fusion (recueil des normes comptables de l’ANC, Commentaire IR 3 sous l’article 745-3 du PCG).
En l’espèce, France Télécom s’était bien conformée à cette définition comptable en calculant son mali par différence entre l’actif net comptable de Cogecom et la VNC de sa participation (déduction faite des provisions litigieuses). Elle a considéré que l’intégralité de ce mali était un mali technique, donc non déductible fiscalement.
Parallèlement, la société a opéré un retraitement extra-comptable pour déduire un montant correspondant auxdites provisions, qu’elle a – selon les conclusions du rapporteur public – qualifié de « mali fiscal ».
Le Conseil d’État admet cette déduction en jugeant que lorsqu’une société est dissoute sur le fondement notamment de l’article 1844-5 du Code civil et sous le régime de faveur de l’article 210 A du CGI par confusion de son patrimoine avec celui de la société qui détient ses titres, cette dernière société est fondée à déduire une moins-value représentative de la perte réelle de valeur subie du fait de l’annulation des titres. La circonstance que la règle d’intangibilité du bilan d’ouverture du 1er exercice non prescrit puisse faire obstacle à la prise en compte, pour l’établissement de l’impôt, de la reprise de provisions est sans incidence sur le bien-fondé de la déduction de cette moins-value.
La lecture des conclusions du rapporteur public apporte à cet égard un éclairage précieux sur cette solution.
Il relève que la doctrine administrative indique que « dans le cas où les titres ont fait l’objet, avant la fusion, d’une provision pour dépréciation, le vrai mali étant, sur le plan comptable, calculé à partir de la valeur nette comptables des titres, la provision pour dépréciation n’est pas reprise » (BOI-IS-FUS-10-50-20-20180310, § 50). Or, « la voie de l’absence de reprise de la provision n’étant plus ouverte pour tirer les conséquences de sa non-prise en compte dans le mali comptable (jurisprudence Foncière du Rond-point précitée) – seule reste ouverte celle d’une déduction extra-comptable ». A défaut, la société risquerait, au titre de l’exercice d’annulation des titres, de se voir à la fois imposée sur la reprise de provision et dans l’impossibilité de déduire une perte devenue définitive.