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IP Box : tout savoir sur le régime fiscal de faveur de votre propriété intellectuelle

L’IP box à la française

Plus de trois ans après une profonde réforme, force est de constater que le régime de l’IP Box reste encore, par rapport à celui du CIR, méconnu et, parfois, perçu comme trop complexe.

La propriété intellectuelle (« IP ») est un atout majeur pour le développement et la compétitivité de certaines entreprises. C’est en ce sens que le régime fiscal de faveur des brevets (communément appelé « patent box ») a été profondément remanié en 2019, et désormais codifié à l’article 238 du Code général des Impôts. Il a été étendu aux entreprises développant des solutions logicielles originales afin de leur permettre, sous certaines conditions, d’obtenir un taux d’Impôt sur les Sociétés (IS) réduit de 10 % sur les revenus de certains actifs de propriété intellectuelle. La France a adapté ce régime préférentiel pour le rendre compatible avec les exigences de l’OCDE, en introduisant notamment un ratio, ou lien de substance, appelé « nexus ».

Au niveau national, l’utilisation de ce dispositif, dit « IP Box », reste encore limitée par rapport à l’autre incitatif fiscal à la R&D, le bien connu Crédit d’Impôt Recherche (CIR), qui représente pour l’Etat une dépense globale annuelle de l’ordre de 6 Md€ contre moins de 1 Md€ pour le régime de l’IP Box.

Un processus méconnu et complexe

La première barrière qu’instaure ce dispositif est son processus. Celui-ci est en effet nouveau et assez lourd pour les entreprises qui doivent quantifier et suivre le lien entre les revenus, les actifs éligibles et les dépenses de R&D. Il faut également noter que le régime n’est plus applicable aux inventions brevetables mais non brevetées hormis pour les PME (il est ici important de noter que le projet de loi de finances pour 2023 propose de supprimer l’éligibilité de ces inventions brevetables pour les PME). Ces différents éléments peuvent pénaliser certaines entreprises qui ne brevètent pas systématiquement leurs inventions.

En revanche, le régime s’est ouvert aux logiciels protégés par le droit d’auteur, ce qui bénéficie en premier lieu au secteur numérique et, de façon plus large, à toutes les entreprises qui développent et exploitent leurs propres solutions d’algorithmes ou logiciels devant répondre à des contraintes métiers spécifiques.

Le régime est donc aujourd’hui à la fois plus contraignant par rapport à l’ancien régime de faveur des brevets (article 39 terdecies du CGI, abrogé), mais aussi beaucoup plus ouvert vers le monde numérique et la création de logiciels.

Déterminer les actifs éligibles

La définition d’un brevet est assez facile à appréhender, puisqu’il s’agit d’un titre de propriété délivré par un organisme officiel et qui ouvre un certain nombre de droits et d’obligations.

Le logiciel est, lui une notion un peu plus abstraite, , puisqu’il est simplement protégé par le droit d’auteur prévu par l’article L 112-2 du Code de propriété intellectuelle, et ce droit d’auteur ne fait l’objet d’aucune remise de titre ou certificat particulier.

Sur ce point, la doctrine administrative ne précise que la nécessité pour les logiciels d’être « originaux », et il est dès lors parfois difficile pour les entreprises de définir et de documenter quels sont les logiciels « originaux » éligibles au dispositif.

L’Administration, dans un BOFiP de 2012 sur le régime de cession des logiciels (BOI-BNC-SECT-30-20), indique que les logiciels originaux s’entendent de ceux qui « résultent d’un travail intellectuel et personnel de leur créateur allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante ; et […] n’empruntent pas à des logiciels déjà créés notamment en les traduisant dans un autre langage ou en les adaptant à d’autres matériels ou à des utilisations spécifiques ».

On peut toutefois se demander si, pour les besoins de « l’IP box » et cette notion d’originalité, l’Administration ne fera pas appel en pratique aux critères plus connus du CIR, et notamment à l’appréciation d’une avancée du logiciel par rapport à l’état de l’art existant. Cela étant, les entreprises ont encore peu de recul sur l’appréciation de l’originalité et il est donc recommandé de documenter de manière spécifique le caractère original de chaque logiciel dont les revenus sont inclus dans le nouveau régime.

Calculer le résultat éligible

Le nécessaire « détourage » du revenu éligible

Les résultats soumis au taux d’IS réduit doivent résulter de contrats de concessions, sous-concessions ou de cessions des actifs éligibles.

Il est d’abord nécessaire de bien délimiter les revenus afférents aux licences (ou cessions) des seuls actifs éligibles. Ces revenus peuvent être directement disponibles lorsque les contrats ne concernent que des actifs éligibles, dans le cadre par exemple de licences de brevets sans aucun autre actif ou aucune prestation additionnelle.

Toutefois, notamment dans le domaine du logiciel, la majorité des contrats de licence concernent à la fois des actifs éligibles mais également des actifs ou services non-éligibles (marque ou prestations additionnelles comme l’hébergement). Au cas particulier du monde digital, les contrats SaaS (« Software as a Service ») incluent une prestation complète en sus du logiciel mis à disposition. Ces éléments sont en général rémunérés par un prix unique. La doctrine prévoit ces cas et met à la charge du contribuable « de déterminer la partie du prix correspondant à la rémunération [des actifs éligibles] selon la méthode la plus adaptée ». Ainsi, il est nécessaire de « détourer » le chiffre d’affaires généré par les licences ou sous-licences en ne conservant que la part du CA liée directement aux actifs éligibles. A titre d’exemple, lors de la mise à disposition d’un logiciel dans le cadre d’un contrat SaaS (« Software as a Service »), les prestations d’hébergement ou de maintenance corrective n’entrent pas dans la rémunération de l’actif éligible à proprement parler (i.e. le logiciel mis à disposition).

Les méthodes sont nombreuses (coût de revient des différents éléments, utilisation de comparables…) et doivent être simulées afin d’identifier celle qui reflète au mieux la réalité au sein de chaque société, et également être soigneusement documentées

La définition du résultat net

Le résultat net est défini par l’article 238 du CGI comme « la différence entre les revenus acquis au cours de l’exercice tirés des actifs incorporels éligibles et les dépenses de recherche et de développement qui se rattachent directement à ces actifs et sont réalisées directement ou indirectement par l’entreprise au cours du même exercice ». Contrairement à l’ancien régime, antérieur à 2019, qui ne considérait comme dépenses éligibles que (pour simplifier) les frais de gestion des actifs, les dépenses de R&D en lien avec les actifs éligibles doivent désormais être défalquées du résultat du même exercice soumis au taux d’IS réduit. Toutefois, dans de nombreux cas, les dépenses de R&D restent en réalité déductibles au taux d’IS de droit commun, puisque les revenus sont perçus ultérieurement et non sur les mêmes exercices (sous réserve d’un mécanisme dit de « recapture » que nous ne détaillons pas ici).

La notion de dépenses de R&D

L’Administration semble adopter une compréhension de la R&D similaire à celle utilisée pour le Crédit Impôt Recherche (« CIR »). En effet, malgré l’absence de référence dans la loi, la doctrine administrative fait, pour l’application de l’article 238, un lien avec la définition de la R&D au sens du CIR, à savoir les activités de recherche fondamentale, de recherche appliquée et de développement expérimental.

BOI-BIC-BASE-110-30, n° 80 : « Sont prises en compte pour la détermination du résultat net les dépenses qui présentent la nature de dépenses de R&D, c’est-à-dire celles qui résultent directement d’activités de R&D telles que définies au BOI-BIC-RICI-10-10-10-20 » – ce dernier BOI définit les activités de recherche et de développement éligibles au CIR).  

Il convient par ailleurs de ne retenir parmi les projets de R&D que ceux qui ont un lien direct avec les actifs éligibles, ce qui impose à beaucoup d’entreprises de mettre en place un suivi et des outils spécifiques, exercice également nécessaire pour calculer le nexus présenté ci-dessous.

Une fois ce périmètre identifié, les coûts afférents à ces projets de R&D, et à considérer pour le calcul du résultat net, sont énumérés par la doctrine administrative, et non pas dans la loi, et incluent par exemple les dépenses de personnel et les dépenses externalisées, auprès de tiers ou en intragroupe, des dépenses très semblables à celles considérées dans l’assiette du CIR. D’autres dépenses éligibles nécessitent une identification spécifique telles que les dépenses d’acquisition d’installations techniques, de matériels et outillages industriels affectés directement à la réalisation d’opérations de R&D par exemple. En ce sens, le suivi des dépenses de recherche peut être plus complexe notamment selon l’option qui peut être réalisée par actif, produit ou famille de produits. Il est possible, comme indiqué plus bas, d’opter pour un regroupement des actifs par produits ou familles de produits, et d’allouer certains des dépenses ci-dessus entre plusieurs groupes d’actifs via des clés de répartition (à justifier dans la documentation obligatoire).

Lorsque le revenu net est obtenu, il convient de calculer le rapport d’assujettissement ou ratio Nexus qui permettra de déterminer le résultat net soumis au taux d’imposition préférentiel.

 

Le calcul du ratio nexus

Le ratio dit nexus correspond au rapport entre les dépenses de R&D en lien direct avec la création et le développement de l’actif éligible (ou du groupement d’actifs) réalisées directement par le contribuable ou par des entreprises sans lien de dépendance, par rapport à l’intégralité des dépenses de R&D en lien direct avec la création, l’acquisition et le développement de l’actif incorporel (ou du groupement d’actifs) réalisées directement ou indirectement par le contribuable. !

Le ratio Nexus a pour objectif de mesurer l’effort de R&D propre de la société (ou externalisé auprès de tiers) par rapport à celui externalisé auprès d’autres entités du même groupe en France ou à l’étranger (les entreprises liées). Ce ratio limite ainsi les revenus de cessions ou de concessions des actifs pouvant bénéficier en France du taux d’IS réduit. Il est incrémental et prend donc en compte les dépenses de R&D engagées qui ont contribué au développement de l’actif éligible depuis l’origine. Néanmoins, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2021, l’entreprise est autorisée à ne remonter qu’aux exercice ouverts à compter du 1er janvier 2019 (CGI, art. 238, III-2-al. 2).

En synthèse, ce ratio peut être résumé tel que suit :

 

 

Ces dépenses sont les mêmes que celles utilisées pour le calcul du résultat net. Si les dépenses du numérateur sont retenues pour 130 % de leur montant, le ratio Nexus ne peut lui excéder 100 %.

Une fois le ratio Nexus obtenu, celui-ci est appliqué au résultat net afin d’obtenir le résultat net éligible. C’est ce dernier qui constituera la base de revenu imposée à 10 %.

 

Quelques points de vigilance à garder à l’esprit en amont de la constitution du dossier d’éligibilité

Le cas particulier de l’entrée dans un groupe fiscal

Le dispositif a été adapté pour les groupes fiscaux, avec un régime particulier prévu à l’article 223 H du CGI. Cet article prévoit notamment que les dépenses de R&D confiées entre les sociétés membres du même groupe fiscal (au sens de l’article 223 A du CGI) ne pénalise pas le ratio Nexus de la société (membre dudit groupe fiscal) qui perçoit les revenus, puisque ces dépenses sont admises au numérateur dudit ratio.

Toutefois, certains retraitements spécifiques en cas d’intégration fiscale posent problème. Ainsi, selon l’article 223 H II du CGI, la valeur vénale d’un ou plusieurs actifs éligibles détenus par une société à la date de son entrée dans un groupe fiscal constitue « une dépense d’acquisition » retenue pour le calcul du résultat net d’ensemble (…) et prise en compte au dénominateur du ratio [Nexus].

En d’autres termes, la valeur réelle des actifs détenus par une société qui entre dans un groupe fiscal doit être reprise dans le ratio de lien mais uniquement au dénominateur, venant ainsi fortement dégrader ce ratio, pour plusieurs années.

Cette disposition limite fortement l’accès au dispositif pour une entreprise qui change de périmètre d’intégration fiscale, y compris potentiellement au sein d’un même groupe en cas de restructuration interne, alors même que l’entreprise avait elle-même développé l’actif éligible en France. Un changement, ou peut être un assouplissement, de cette disposition (qui ne semble pas imposée par les travaux réalisés dans le cadre de l’OCDE) semblerait souhaitable.

Les autres difficultés possibles

Pour rappel, le régime est optionnel et impose par défaut une option actif par actif. En revanche, la loi prévoit que dans le cas où le suivi par actif rendrait l’exercice artificiel, il est possible d’opter pour un regroupement par produits ou services ou par familles de produits ou de services. Le choix d’un tel regroupement reste un élément stratégique du régime car il conditionnera la détermination à la fois des revenus et des dépenses. Des simulations selon le niveau de regroupement possibles peuvent aider à déterminer la granularité optimale pour chaque société.

Dans la pratique, les systèmes d’informations de la majorité des sociétés n’étant que très peu adaptés à un suivi par actif (brevet ou logiciel), certaines entreprises optent, dans un souci de simplification, pour le nouveau régime au niveau d’un groupe homogène d’actifs éligibles, c’est-à-dire au niveau de produits ou familles de produits.

Ce regroupement doit selon la doctrine administrative « refléter une réalité commerciale de l’entreprise en étant cohérente avec la segmentation de son offre commerciale ». Force est de constater qu’en pratique, les offres commerciales de l’entreprise peuvent évoluer d’une année sur l’autre.

Quelle position adopter pour le suivi de l’option « l’IP Box » ?

Une refonte chaque année ou régulièrement des produits ou familles de produits crée une difficulté de suivi pour le calcul du ratio Nexus. Par ailleurs, la doctrine administrative prévoit que « dans tous les cas, l’entreprise doit respecter une permanence et une cohérence dans la méthode retenue pour chaque exercice au titre duquel le régime s’applique ».

A l’inverse, conserver des produits, ou familles de produits, figés pour les seuls besoins de l’IP Box et qui ne seraient plus en adéquation avec l’évolution des offres commerciales de l’entreprise pourrait également être remis en cause en cas de contrôle, les impacts étant difficile à appréhender.

Il serait, en tous cas, utile que l’Administration étoffe ses commentaires sur ce sujet et fasse preuve d’une certaine tolérance dans l’appréciation des regroupements d’actifs de PI et leurs évolutions.

Les démarches à effectuer pour bénéficier du dispositif

Comme déjà évoqué plus haut, l’IP Box est un régime optionnel. Ce régime a donc hérité de formulaires CERFA spécifiques (2467 SD en cas de groupe fiscal, 2468 SD dans les autres cas) à déposer avec la déclaration de résultats de l’exercice concerné.

Ces formulaires récapitulent l’ensemble des éléments ayant permis de calculer le résultat net imposable à taux réduit et doivent notamment y figurer :

Il est à noter que ce régime étant encore une fois optionnel (et non de plein droit), le non-respect du dépôt de ces formulaires constitue une cause de déchéance de l’option, assortie le cas échéant de pénalités.

Enfin, les sociétés ayant choisi d’opter pour le régime de faveur doivent tenir à disposition de l’Administration, une documentation obligatoire (à peine d’amende) justifiant de la détermination du résultat net soumis au taux réduit de chaque actif, bien ou service, ou famille de biens ou services.

Cette documentation se doit d’être didactique et d’expliquer, étape par étape, la détermination des actifs éligibles ainsi que le calcul du résultat net et du ratio Nexus. Elle inclut également une présentation générale des activités de R&D de la société qui peut s’inspirer largement des documentations CIR et prix de transfert.

Malgré ces difficultés (parmi d’autres) ou lourdeurs, les entreprises ont tout intérêt à s’interroger sur l’éligibilité de leurs actifs à ce dispositif « IP Box ». Celui-ci permet en effet, s’il est soigneusement mis en place et documenté, de valoriser de manière efficace les revenus des actifs incorporels créés en France via une économie d’IS parfois significative. Il complète judicieusement le CIR, qui allège, quant à lui, les coûts de la recherche, quel que soit le résultat d’ailleurs de ces travaux.

 

 

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