Par un recours pour excès de pouvoir, un contribuable a demandé l’annulation de la doctrine administrative relative au pacte Dutreil en ce qu’elle exclut la location meublée à usage d’habitation du dispositif de faveur. Le 29 septembre 2023, le Conseil d’Etat a donné raison au contribuable rendant cette doctrine désormais inopposable.
Rappel
Pour mémoire, le dispositif fiscal en faveur de la transmission d’entreprise disposé à l’article 787 B du CGI dit « pacte Dutreil » est réservé aux sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, « à l’exclusion de toute activité civile » de gestion de son propre patrimoine ainsi que le précise la doctrine fiscale relative au dispositif.
La qualification civile ou commerciale de l’activité de location meublée à usage d’habitation reste controversée puisque le Code de commerce ne lui reconnait pas de caractère commercial tandis que la loi fiscale la qualifie d’activité commerciale à l’article 35 du CGI lequel définit les bénéfices industriels et commerciaux et consacre là la notion d’activité commerciale au sens du droit fiscal.
Relevons que, s’agissant de l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI), l’article 966 du CGI retire la qualification commerciale aux activités visées à l’article 35 lorsqu’elles relèvent de la gestion de son patrimoine immobilier. C’est en se fondant sur ce dispositif fiscal relatif à l’IFI que l’administration fiscale a exclu la location meublée à usage d’habitation du bénéfice du pacte Dutreil au sein de la doctrine litigieuse (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n°15).
Une activité à caractère commercial
Les conseillers d’Etat rappellent dans leur décision que l’administration fiscale reconnait dans sa doctrine relative au pacte Dutreil l’éligibilité des sociétés exerçant une activité commerciale visée aux articles 34 et 35 du CGI. Citons le 5° bis de l’article 35 du CGI qui confère une nature commerciale à l’activité de location de locaux d’habitation meublés. Cependant, la doctrine litigieuse retire ensuite la nature commerciale à cette activité de location meublée en reprenant l’exclusion, prévue en matière d’IFI, des activités de gestion par une société de son propre patrimoine immobilier.
Ils rappellent ensuite qu’au sens des dispositions relatives à l’IFI, cette activité perd son caractère commercial uniquement parce que le législateur fiscal a expressément exclu les sociétés exerçant une activité de gestion de son propre patrimoine et relèvent enfin qu’ « aucune disposition de portée similaire ne permet, en revanche, de dénier de manière générale à la location de locaux meublés à usage d’habitation le caractère d’activité commerciale au sens des articles 787 B et 787 C du code général des impôts. »
Aussi, dans cette décision, le juge administratif estime que « le fait de donner habituellement en location des locaux d’habitation garnis de meubles ne saurait être systématiquement regardé, pour l’application de la loi fiscale, comme une activité civile dépourvue de caractère commercial. » et conclut donc que la doctrine administrative litigieuse n’est pas fondée et doit être annulée.
Portée de la décision
Cette importante décision du Conseil d’Etat vient censurer une partie de la doctrine administrative relative au pacte Dutreil qui excluait sans nuance l’activité de location de locaux meublés à usage d’habitation.
Faisant écho à l’arrêt rendu le 1er juin 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. Com. 1er juin 2023, n°22-15.152) qui reconnaissait la nature commerciale de l’activité de location équipée et donc son éligibilité au pacte Dutreil, la décision lève l’exclusion administrative de location meublée du dispositif Dutreil ouvrant la voie à la transmission des titres d’une société exploitant ses immeubles en location meublée, sous réserve d’une appréciation de la commercialité de son activité.
Néanmoins, relevons une importante nuance introduite par le Conseil d’Etat puisqu’il ne se fonde pas expressément sur le 5° bis de l’article 35 du CGI. Cela nous laisse à penser qu’il ne faut pas voir dans cette décision une consécration de l’éligibilité de l’activité de location meublée au pacte Dutreil.
La décision retient le caractère commercial de la location de locaux meublés non pas de plein droit mais lorsqu’elle est exercée à titre habituel, ouvrant une forte marge à l’interprétation de cette notion. L’administration fiscale devrait se référer à son analyse de l’activité économique proche de l’appréciation de la commercialité.
Toutefois, si cette décision ouvre un champ de réflexion pour les contribuables ayant effectué leurs investissements immobiliers au travers de sociétés qui exploitent ces biens en location meublée, prudence est de mise !
En effet l’assimilation de la location meublée à une activité commerciale est sujette à controverse et la réaction du législateur ne devrait pas tarder alors qu’a commencé l’examen du projet de loi de finances pour 2024 depuis quelques jours.
Ce d’autant plus que de façon inattendue un amendement donnant un terme au dispositif Dutreil au 31 décembre 2026 a été adopté par la commission des finances de l’Assemblée nationale.