La deuxième édition togolaise du Dialogue interprofessionnel sur la fiscalité a eu lieu les 6 & 7 juillet 2023. Organisé par l’Office Togolais des Recette (OTR), le Master 227 de l’Université Paris-Dauphine-PSL et l’Association Dauphinoise d’administration fiscale (ADAF), cet évènement s’est concentré sur le thème « Le continent africain à l’épreuve des conventions fiscales ».
Deloitte Togo a participé à cet évènement et était représenté par Patrice Kokou.
Ces journées du Dialogue interprofessionnel sur la fiscalité ont été introduites par le Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche du Togo, Ihou Nazoba Majesté WATEBA, le Commissaire Général de l’OTR, Philippe Kokou TCHODIE, l’Ambassadeur de France, Augustin Favereau, le Professeur Arnaud Raynouard, Directeur du Master 227 de l’Université Paris-Dauphine PSL et responsable du Comité Scientifique Juridique de Deloitte Société d’Avocats, ainsi que Maître Maxence Bringuier, Président de l’ADAF et avocat au sein de Deloitte Société d’Avocats.
Preuve du succès de ce rendez-vous, l’évènement a rassemblé plus de quinze délégations d’administrations fiscales étrangères, des professionnels et des universitaires pour échanger sur l’impact et le rôle des conventions fiscales.
Le colloque était articulé autour de cinq tables rondes :
- Quels modèles pour les conventions fiscales ratifiées par les États africains ?
- Les relations douanes/impôts, investissements/fiscalité : quels sont les liens avec les conventions fiscales ?
- Intégration régionale et souveraineté fiscale des États : quelles articulations ?
- Projet BEPS et la mise en œuvre des conventions fiscales en Afrique : Quels enjeux ?
- Enjeux environnementaux et conventions d’exploitation des ressources naturelles
Au cours de ces journées, les intervenants ont pu faire part de leurs propositions pour améliorer le recours et l’usage des conventions fiscales. La question de la souveraineté des États est d’une importance croissante et est communément prise en compte lors de l’élaboration desdites conventions afin de permettre un meilleur partage des profits entre les États, et cela dans l’objectif d’accroître les recettes fiscales pour les Etats Africains.
Cette rencontre a également permis des échanges de bonnes pratiques fiscales entre les membres de plusieurs administrations fiscales (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Congo, France, Gabon, Guinée, Haïti, Madagascar, Maroc, Niger, République démocratique du Congo, Tchad, Togo.)
Résumé des principales tables rondes
Quels modèles pour les conventions fiscales ratifiées par les États africains
Table ronde présidée par l’économiste Frédéric Baccara
Elle a permis d’engager une réflexion sur le modèle de convention fiscale adapté aux réalités des pays africains.
La table ronde a compté sept communications portant successivement sur les modèles de conventions fiscales ratifiées par les États africains, les Traités Bilatéraux d’Investissement (TBI) et les conventions de double imposition en Afrique, les conventions fiscales inappropriées, les enjeux économiques des conventions, les taux effectifs d’imposition pour les juridictions africaines, l’évolution des conventions fiscales conclues par la France et le mécanisme de règlement des différends fiscaux dans les pays africains à l’aune des conventions fiscales.
Les communications et les débats ont relevé les nombreux problèmes soulevés par la signature des conventions par les pays africains qu’il est possible de résumer en insistant sur la nécessité d’élaborer une véritable stratégie de signature des conventions fiscales commune au continent africain et de bien évaluer les avantages et inconvénients des modèles de conventions fiscales pour les États africains avant de les utiliser.
Les relations douanes/impôts, investissements/fiscalité : quels sont les liens avec les conventions fiscales ?
Table ronde présidée par le Professeur Arnaud Raynouard
Il convient de retenir que les conventions fiscales constituent des traités établis entre les États cocontractants en vue de faciliter les échanges et les investissements transfrontaliers en éliminant les entraves fiscales éventuelles à ces activités.
À cet objectif général s’ajoutent les objectifs spécifiques ci-après : éliminer la double imposition en permettant à une personne exerçant dans deux États de s’acquitter des impôts sur le revenu dans l’État retenu par les dispositions des conventions fiscales. Au départ, les conventions fiscales visaient exclusivement à résoudre le problème de la double imposition des entreprises multinationales ; puis à prévenir la fraude et l’évasion fiscale ; et enfin à rendre effectif la coopération administrative. Ceci s’effectue à travers l’échange de renseignements entre les administrations fiscales des États parties au Traité, l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des impôts, et le règlement des différends relatifs aux prix de transfert.
Somme toute, outre les conventions fiscales, les régimes fiscaux dérogatoires sont censés contribuer à une mobilisation effective et efficace des recettes fiscales sans donner lieu à l’évitement de l’impôt. Les États sources des activités des entreprises multinationales, qui sont souvent des pays en développement, doivent porter leur attention sur les prix de transfert pratiqués et sur l’évaluation périodique des dépenses fiscales par une meilleure appréhension des régimes d’incitation fiscale. Il est important que ces modèles d’ouverture ne soient pas dommageables à la mobilisation optimale des recettes fiscales.
Intégration régionale et souveraineté fiscale des États : quelles articulations ?
Table ronde présidée par Amavi Kouevi, Maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne.
Les échanges ont donné lieu à une réflexion sur le renoncement partiel de la souveraineté fiscale pour l’atteinte des objectifs de l’intégration régionale. Un premier intervenant a rappelé le contexte d’érosion de la souveraineté fiscale des États dicté par une volonté manifeste de s’ouvrir vers l’extérieur, avant de montrer la dualité de normes qui existe au plan interne. Celle-ci se matérialise avec le principe de la hiérarchie des normes, théorisé par Hans Kelsen, qui veut que la norme inférieure soit conforme à la norme supérieure. C’est dans ce cadre qu’il a été démontré la soumission du droit fiscal interne vis-à-vis des conventions fiscales. Au cours de l’intervention, le Maroc a été présenté comme un exemple en matière de réseau conventionnel. Ce pays a ratifié soixante-trois (63) conventions fiscales, la convention fiscale multilatérale de double imposition au sein de l’Union du Maghreb Arabe et la ZELCAF dont l’unique objectif reste la suppression des barrières tarifaires et douanières. Enfin, des constats ont été faits : il s’agit principalement du caractère indispensable de l’intégration régionale. Aucun État ne peut évoluer en vase clos. Toutefois, il a également été relevé que les velléités d’intégration régionale peuvent être compromises par l’utilisation abusive des conventions fiscales, l’hétérogénéité des régimes fiscaux, la faiblesse des capacités du cadre institutionnel, etc..
Un autre intervenant, dans une logique d’étude de la renonciation du pouvoir d’imposition par les États, a montré les divergences entre les conventions fiscales et les conventions d’établissement. Les conventions fiscales sont des traités bilatéraux dont l’objectif phare reste l’élimination de la double imposition juridique. La double imposition juridique est considérée comme l’appréhension d’un revenu par deux pouvoirs d’imposition différents. Elle diffère en cela de la double imposition économique ayant cours dans le cadre d’un rehaussement découlant de la pratique des prix de transfert. Cette situation est également observée avec les sociétés opaques pour l’application de l’Impôt sur les Sociétés (IS) et de l’Impôt sur les Revenus des Valeurs Mobilières (IRVM). En faisant référence aux traités bilatéraux, l’intervenant a également montré la différence entre les deux modèles de convention que sont celle dite de l’ONU et celle dite de l’OCDE. Les critères suivants ont permis d’étayer son argumentaire : l’établissement stable et l’imposition des revenus passifs. Dans le premier cas, la durée du chantier de construction constitutive d’un établissement stable est de six (6) mois dans le modèle de l’ONU alors qu’elle est de douze (12) mois dans celui de l’OCDE. En résumé, le modèle de l’ONU est plus favorable à l’État de la source des revenus.
Les conventions d’établissement n’ont pas le même objectif que les traités internationaux mais confèrent des avantages exorbitants à l’entreprise sans que l’État d’implantation puisse mesurer objectivement les avantages qu’il en résulte. Ce procédé a été utilisé de façon sporadique par les États d’Afrique francophone dès les premières heures de l’indépendance, et en particulier dans le secteur minier et pétrolier. Il en ressort que cette panoplie de textes articulant des régimes fiscaux dérogatoires contribue à l’effritement du pouvoir fiscal.
Enjeux environnementaux et conventions d’exploitation des ressources naturelles
Table ronde présidée par le Professeur Nicaise Mede, Président de la Société Ouest Africaine des Finances Publiques (SOAFiP)
Il a été souligné que la protection de l’environnement est devenue une préoccupation mondiale depuis la conférence de Stockholm en 1972. Cependant on constate que la prise en compte des questions environnementales dans les conventions d’exploitations effectivement conclues demeure insuffisante. En outre, dans les pays africains, la fiscalité environnementale sert plutôt à attirer les entreprises, en allégeant le coût de la prise en compte des conséquences sur l’environnement, plutôt qu’à les sanctionner en cas de dégradation de l’environnement. Par ailleurs, un panéliste constate « une violation régulière des conventions d’exploitation. Cela est perceptible en République Démocratique du Congo où les conventions d’exploitation sont signées et ne font l’objet d’aucun suivi en raison de la corruption existante dans ledit pays ». Pour pallier tous ces dysfonctionnements, cet intervenant recommande notamment une adhésion effective à une fiscalité écologique (intégration de la fiscalité environnementale dans les code fiscaux) et l’établissement d’outils de contrôles des conventions d’exploitation afin de s’assurer de la qualité des obligations pesant sur les entités assujetties, et de la prise en compte des droits de l’État et des communautés locales à cet égard.