Cet article a été rédigé le mois suivant la signature de l’accord multilatéral et initialement publié dans la Revue Européenne et Internationale de Droit Fiscal en décembre 2017. Il est repris sur notre blog avec due autorisation.
Le 7 juin 2017, un peu moins de deux ans après la publication des 15 rapports précisant les modalités de la lutte contre l’évitement fiscal, 68 pays ont signé la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice.
Plusieurs acteurs de la fiscalité considèrent cet instrument innovant comme un bouleversement majeur dans le monde de la fiscalité internationale.
Quelques mois plus tard, la position des différents pays permet de dresser un premier bilan.
Les travaux de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ont abouti à la fin de l’année 2015 sur des propositions marquantes, qui conduisent à faire évoluer en profondeur les principes applicables en matière de fiscalité internationale. Chacun s’accorde à reconnaître que les travaux menés pour lutter contre le BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) ont conduit à des avancées importantes, pourtant inatteignables au cours des deux décennies précédentes. Cette volonté de réformer en profondeur le corpus de règles applicables aux transactions internationales a conduit les pays de l’OCDE à aller jusqu’à s’assurer de la mise en œuvre effective et rapide des recommandations préconisées, en ayant recours à une méthode originale de mise en œuvre de ces recommandations : l’instrument multilatéral (ou convention multilatérale). Il s’agit d’un outil de nature à transformer dans un temps réduit le « droit mou » que représentent les préconisations de l’OCDE et les engagements des États, en droit international impératif pour les États comme pour les opérateurs économiques.
S’agissant de règles nouvelles destinées à s’appliquer aux transactions/opérations internationales, elles ont vocation à être introduites dans les conventions fiscales signées par les États en vue d’éviter les doubles impositions et, comme le prévoient désormais les recommandations de l’OCDE issues de BEPS, les doubles non-impositions.
Signé le 7 juin 2017 par 68 juridictions1, cet instrument multilatéral est ainsi un outil contraignant ayant pour objet la mise en œuvre rapide, coordonnée et cohérente des mesures proposées dans le cadre du plan BEPS. La logique et les fondements juridiques de ce « nouvel outil », une convention fiscale multilatérale, ont été développés dans le cadre de l’action 15 des travaux BEPS. À la suite du mandat conféré par les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales des pays du G20, un groupe de travail ad hoc a été constitué par plus de 100 juridictions chargées de négocier et d’adopter le texte de cette convention et sa note explicative. Achevés le 24 novembre 2016, ces travaux ont été suivis d’échanges entre les administrations fiscales des États destinés à leur permettre de s’entendre sur les dispositions qu’ils souhaitaient retenir dans le cadre de leurs relations.
Cet instrument multilatéral offre ainsi la possibilité de mettre en œuvre les mesures issues des travaux BEPS en évitant aux États de renégocier une à une l’ensemble de leurs conventions fiscales. Les principaux sujets couverts portent notamment sur l’utilisation abusive des conventions ou le règlement des différends (qualifiés de standards minimums et donc d’application obligatoire) mais aussi sur les dispositions facultatives comme celles liées à l’établissement stable et aux dispositifs hybrides par exemple. Cet outil, qui prend place dans l’ensemble du corpus de règles du droit international, apparaît donc innovant, inédit et vise une plus grande efficacité. Angel Gurria, le Secrétaire général de l’OCDE, considère que « l’adoption de cet instrument multilatéral marque un tournant dans l’histoire de la fiscalité internationale ». 2
L’examen détaillé de cette convention fiscale multilatérale permet en effet d’en percevoir la nature particulière et de mieux appréhender les conditions de sa mise en œuvre. Sa signature récente et les premières réactions des États autorisent un premier examen de ses dispositions, en se penchant sur quelques mesures phares : à défaut d’engager un examen exhaustif, ont été étudiées celles susceptibles d’impacter plus fortement les opérations réalisées par les opérateurs économiques et les relations entre les administrations fiscales des États.
Utilité et portée de l’instrument multilatéral
Les conventions fiscales bilatérales constituent l’une des sources du droit fiscal et sont fondamentales en matière de droit fiscal international. L’OCDE en compte plus de 3.0003 à ce jour et elles forment un véritable réseau par lequel les États, à l’issue de leurs négociations bilatérales, façonnent le droit fiscal applicable aux situations transnationales. Ce dernier peut s’avérer complexe car, si ces négociations sont principalement engagées sur la base de principes internationaux reconnus (généralement issus des travaux de l’OCDE, mais également des Nations Unies), elles conduisent à définir, de manière spécifique et non générale, les relations des États entre eux, au gré de leurs intérêts et des particularités de leur droit fiscal national : certaines règles applicables dans les relations de l’Allemagne avec les États-Unis peuvent être différentes de celles applicables dans ses relations avec le Japon. Ce réseau de conventions, développé au fil du temps, couvre désormais la plupart des pays de la planète, y compris les échanges Nord-Sud.
Le paysage fiscal international s’est considérablement transformé entre la naissance d’un accord francobelge en 18434 (portant sur l’assistance en matière de droits de succession) et l’intense maillage conventionnel que nous connaissons aujourd’hui. Les conventions fiscales bilatérales qui composent le réseau actuel sont les héritières d’un modèle élaboré par la Société des Nations dans les années 1920. L’expansion des conventions fiscales internationales a ensuite été le fruit de plusieurs facteurs, parmi lesquels, naturellement, la mondialisation des échanges. Avec l’internationalisation des activités économiques, le risque de double imposition s’est accru, chaque État appliquant sa propre loi fiscale nationale. Dans ce contexte, la lutte contre ce risque a initialement constitué l’objectif principal des conventions fiscales. Les normes alors développées avaient avant tout pour but d’encourager et de faciliter le commerce international. Par la suite, ces accords ont été étendus à d’autres finalités : la lutte contre l’évasion fiscale, la protection des contribuables, les relations entre les administrations fiscales. Les conventions conclues depuis les années 1980 poursuivent l’ensemble de ces objectifs.
Ce réseau conventionnel constitue ainsi un véritable ordre fiscal international dont l’enchevêtrement rend difficile l’évolution rapide et cohérente en vue de la mise en œuvre d’une nouvelle norme ou de nouveaux principes. Ce constat rend évidentes les deux contraintes auxquelles se heurtaient la mise en œuvre des recommandations de BEPS.
D’une part, pour que la révolution fiscale matérialisée par la publication des rapports BEPS en novembre 2015 devienne réalité, la modification du réseau de conventions bilatérales est incontournable. À défaut, les travaux menés durant deux ans sous l’impulsion du G20 et du conseil de l’OCDE ne peuvent recevoir une traduction concrète.
D’autre part, le nombre de conventions bilatérales rend illusoire la renégociation de chaque convention, une à une. L’OCDE a reconnu que ce processus serait « fastidieux [ … ] et limiterait l’efficacité des efforts multilatéraux » (BEPS – Action 15 – Rapport final). En effet, par son ampleur, les ressources limitées des administrations comme leurs intérêts divergents, une telle entreprise aurait évidemment conduit à un étalement des travaux dans le temps (combien d’années, voire plus d’une décennie ?). Dans un premier temps, un nouveau modèle de convention fiscale aurait dû être élaboré. La renégociation de chaque convention, sur la base de ce nouveau modèle, aurait dû être menée dans un deuxième temps. Ce processus, classique dans le passé mais particulièrement long, a naturellement été jugé incompatible avec les objectifs affichés par l’OCDE comme par les États eux-mêmes. Au demeurant, le recours à ce processus habituel d’élaboration des conventions fiscales bilatérales aurait pu conduire, l’expérience passée l’a montré, à un manque d’homogénéité des dispositions retenues dans le réseau conventionnel, créant ainsi le risque d’une forte instabilité nuisible aux relations entre administrations fiscales et dommageables pour les opérateurs économiques.
Ces contraintes ont rapidement conduit l’OCDE à envisager une alternative, lors de l’engagement de ses travaux BEPS. C’est ainsi que le concept de l’instrument multilatéral est apparu, en tant que promesse d’une action rapide, efficace et cohérente : une convention fiscale multilatérale, permettant une mise à jour instantanée et coordonnée du réseau conventionnel international, à tout le moins pour les États signataires de ce nouvel outil de fiscalité internationale. En introduisant dans cette convention multilatérale les recommandations issues des rapports BEPS, ces dernières deviennent opposables aux États qui la signent, le « droit mou » des recommandations de l’OCDE prend ainsi force de loi entre les parties et devient alors applicable aux opérations internationales. Fort logiquement, compte tenu de l’engagement des travaux BEPS sur les instructions des pays du G20, la volonté d’établir un cadre contraignant ressort clairement du rapport OCDE de 2014 (ci-après « le Rapport de 2014 »), reproduit dans le rapport final de l’action 15, dont l’objet était notamment « d’examiner la faisabilité technique d’une approche multilatérale contraignante ».
Or, la définition de ce nouvel outil contraignant, et son entrée en vigueur, doit cependant respecter la souveraineté des États. Selon le Rapport de 2014, l’instrument multilatéral est certes contraignant mais il respecte néanmoins l’autonomie souveraine des États en matière fiscale. Fondamental, ce principe d’autonomie souveraine préserve l’équilibre des négociations internationales. « Les pratiques d’érosion de la base d’imposition [ … ] étant la résultante des interactions entre les législations et les traités de multiples pays, les gouvernements doivent intensifier leur collaboration par le biais d’un instrument multilatéral contraignant visant à la fois à empêcher que le réseau de conventions fiscales facilite ces pratiques et à protéger la souveraineté des États ». Ainsi, l’objet de l’instrument multilatéral aux termes de sa rédaction, comme défini par le rapport final sur l’action 15 du plan BEPS, ne vise pas à modifier les législations nationales, ce qui aurait menacé la souveraineté fiscale des États, mais porte exclusivement sur l’application des mesures comprises dans les conventions fiscales. Par ailleurs, la nature bilatérale des conventions est préservée, même si l’instrument est bien multilatéral car signé par un ensemble d’États, de manière concomitante par certains à l’origine puis rejoints par d’autres : les États choisissent les dispositions qu’ils souhaitent voir appliquer dans leurs relations bilatérales et l’expriment ensemble, dans la même unité de temps et de manière coordonnée.
Les États tirent trois bénéfices principaux de cette nouvelle approche via l’instrument multilatéral :
- cet instrument autorise une mise en œuvre ciblée sur des points particuliers des travaux BEPS et ne constitue pas un corpus de principes généraux soumis à interprétation
- il assure la synchronisation de l’harmonisation des conventions fiscales
- il garantit le respect de l’objectif des travaux BEPS, sans violer les traités existants « qu’induirait le recours à des mesures unilatérales et non coordonnées »
Le Rapport de 2014 souligne que l’élaboration d’un instrument multilatéral permet en outre aux pays en voie de développement de bénéficier du projet BEPS (l’un des objectifs que les États du G20 et du Conseil de l’OCDE s’étaient assignés). Cet outil semble ainsi particulièrement adapté au contexte économique actuel, marqué par une hyper mondialisation, au sein duquel les opérateurs économiques évoluent aujourd’hui. Or, dans ce cadre, certains pays en voie de développement (à l’exception des grands pays émergents) doivent souvent lutter contre un rapport de force défavorable lorsqu’il leur faut renégocier leurs conventions fiscales bilatérales en raison de l’opposition à laquelle ils doivent naturellement faire face lorsque s’engage la négociation. L’instrument multilatéral permet de préserver un certain équilibre, d’aucuns iraient même jusqu’à évoquer une certaine justice, entre les parties à la convention multilatérale, dès lors que les règles applicables sont déjà limitativement identifiées (la pression ne peut être exercée sur d’autres dispositions de la convention) et les options possibles déjà fixées par les rapports des travaux BEPS. De la sorte, la signature de cet instrument multilatéral évite le passage obligé d’une longue discussion technique non dénuée de contraintes économiques et politiques. Cet outil permet d’intégrer dans les conventions bilatérales les mesures ciblées par BEPS, en rendant inutile la recherche d’un compromis qui pourrait nuire aux objectifs premiers de l’actualisation des conventions, chacun risquant de tenter de tirer profit de l’opportunité de la renégociation, au détriment des objectifs initiaux des recommandations de BEPS.
Mise en œuvre et entrée en vigueur de l’instrument multilatéral
En dépit de ses objectifs de rapidité, de cohérence et de clarté, l’instrument multilatéral n’en reste pas moins un outil complexe, prenant place dans le droit international et impactant nombre de sujets fiscaux techniques. Il reste au demeurant à ce jour sans réel équivalent en matière fiscale, à l’exception de la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale. Datant de 1988, cette Convention est entrée en vigueur relativement tard, en 1995. Les administrations fiscales ont faiblement eu recours à ses dispositions, jusqu’à ce que, en 2009, conscients de la rare utilisation de cette Convention, les dirigeants du G20 donnent pour mission à l’OCDE et au Conseil de l’Europe de l’adapter aux normes actualisées. Le 3 juillet 2014, 66 pays ont signé la nouvelle Convention. Il est intéressant de noter qu’entre 2009, début des travaux, et la signature de la Convention nouvelle, cinq années se sont écoulées. Sur ce plan, l’OCDE a été en mesure d’accélérer le processus puisque l’instrument multilatéral vient d’être signé en juin par les premiers États, alors que, si les travaux portant sur la faisabilité juridique sont mis de côté, il peut être considéré que les travaux ont réellement débuté à la fin de l’année 2015.
L’OCDE, sous la pression du G20, vise également une mise en œuvre rapide. Les États ont été guidés afin de respecter plusieurs étapes indispensables destinées à préciser le champ des dispositions prévues par cet outil et d’en détailler la portée. Ainsi, chaque État signataire a dû procéder de la manière suivante :
- les États signataires ont établi la liste des conventions fiscales bilatérales qu’ils souhaitent voir impactées par les dispositions de l’instrument multilatéral. Il s’agit des conventions dites « couvertes », selon l’expression retenue par l’OCDE. Pour que les dispositions de l’instrument multilatéral s’intègrent à la convention bilatérale, les deux États doivent avoir désigné la convention fiscale qui les lie comme étant une « convention couverte »
- les États ont notifié leurs choix concernant les dispositions intégrées dans leurs conventions fiscales :
- certaines dispositions, qualifiées de « standards minimaux » ou normes minimales (tel est le cas des dispositions relatives à l’utilisation abusive des conventions ou aux règlements des différends) sont obligatoirement intégrées à la convention bilatérale visée, à moins que cette dernière ne dispose déjà d’une norme identique (ou « disposition existante »)
- les autres dispositions offrent en revanche une certaine flexibilité aux États, ces derniers ayant la faculté de choisir s’ils souhaitent appliquer entièrement ces dispositions ou s’ils entendent faire part de réserves quant à leur application
Ce processus d’identification et de notification des dispositions existantes est particulièrement important. En effet, en cas de défaut de notification ou si la notification diffère de celle de l’État partenaire dans la convention bilatérale, les dispositions de l’instrument multilatéral, lorsqu’elles ne concernent pas les normes minimales, sont alors inapplicables.
Au-delà de ces étapes préalables, et quand bien même les États signent la convention multilatérale, son entrée en vigueur est soumise au respect des conditions suivantes, prévues par les articles 34 et 35 de la Convention. Ces derniers précisent, d’une part, que l’entrée en vigueur intervient le premier jour du mois qui suit l’expiration d’une période de trois mois à compter de la date du dépôt du cinquième instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation. Ce délai est réduit à un mois pour les signataires qui ratifient, acceptent ou approuvent la convention après le dépôt du cinquième instrument. D’autre part, lorsque deux États ont ratifié l’instrument multilatéral et notifié la convention bilatérale qui les unit à l’OCDE, les modifications induites prennent effet à l’expiration d’un délai de six mois après la dernière des dates d’entrée en vigueur « pour chacune des juridictions contractantes ayant conclu une Convention fiscale couverte », pour tous les impôts perçus à l’exception des retenues à la source, pour laquelle les modifications prennent effet le premier jour de l’année civile suivant la dernière des dates d’entrée en vigueur. (Voir Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice, article 35)
Ces dispositions de la convention multilatérale conduisent l’OCDE à considérer que l’entrée en vigueur devrait intervenir après le début de l’année 2018. À la date de l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral, les dispositions sur lesquelles les États signataires sont d’accord ont un effet direct. Les États signataires de l’instrument multilatéral peuvent par ailleurs engager des discussions bilatérales en cas de désaccord concernant les « dispositions existantes », c’est-à-dire déjà présentes dans leurs conventions fiscales bilatérales.
Articulation de l’instrument multilatéral avec le droit international
L’instrument multilatéral constitue donc un outil du droit fiscal international et s’intègre en tant que tel dans l’ordre juridique international déjà établi, constitué des traités internationaux multilatéraux, du réseau de conventions bilatérales, mais également des lois nationales portant sur les situations internationales. Le rapport entre cet outil, dont il vient d’être indiqué en quoi il est nouveau, et les normes existantes mérite un examen attentif.
La relation entre l’instrument multilatéral et les conventions fiscales bilatérales peut être appréciée, d’une part, par rapport aux conventions existant avant son entrée en vigueur et, d’autre part, par rapport aux conventions qui seront signées à l’avenir.
L’instrument multilatéral ne modifie pas l’ensemble du texte d’une convention bilatérale; les domaines non affectés par la convention multilatérale resteront en vigueur en l’état. S’agissant des dispositions amendées ou ajoutées par la convention multilatérale, le Rapport de 2014 rappelle qu’il existe deux façons de traiter la question de la coexistence entre l’instrument multilatéral et les conventions modifiées : (i) définir la relation dans le texte même de la convention, (ii) s’en remettre au droit international. À cet égard, la Convention de Vienne sur le droit des Traités (ci-après « la Convention de Vienne »), en son article 30,(3), établie le principe « lex posterior derogat lexi priori » : ainsi, lorsque deux normes renvoient à la même matière, la norme postérieure prévaut5. S’agissant de l’instrument multilatéral, et afin de préserver l’objectif de clarté et d’efficacité poursuivi par les travaux de l’OCDE, des clauses de compatibilité ont toutefois été introduites dans l’instrument lui-même (Voir la Note explicative sur la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice, p.7).
Ces clauses de compatibilité, ou clauses de conflit, permettent de définir en amont la relation entre les conventions. Étant donné la complexité et la technicité de la convention multilatérale, ces clauses visent à garantir la sécurité juridique.
Il existe plusieurs types de clause de compatibilité visant à abroger, remplacer, supplanter et/ou modifier les dispositions de conventions existantes. Les articulations suivantes peuvent être citées s’agissant de l’instrument multilatéral :
- « s’appliquer à la place de » dispositions existantes des conventions fiscales bilatérales couvertes : les dispositions de l’instrument multilatéral remplacent une disposition existante et ne s’appliquent pas en l’absence de dispositions existantes
- « s’appliquer à ou modifie » les dispositions existantes des conventions fiscales bilatérales couvertes : les dispositions de l’instrument multilatéral modifient une disposition existante sans la remplacer, elles peuvent donc s’appliquer uniquement lorsqu’une telle disposition existe
- « s’appliquer en l’absence » de dispositions existantes des conventions fiscales bilatérales couvertes : les dispositions de l’instrument multilatéral trouvent à s’appliquer uniquement si les conventions fiscales bilatérales ne comprennent pas déjà de dispositions portant sur le sujet
- « s’appliquer à la place ou en l’absence » des dispositions existantes des conventions fiscales bilatérales couvertes : les dispositions de l’instrument multilatéral s’appliquent de manière systématique, aucune notification préalable n’est nécessaire
Le rapport sur l’action 15 de BEPS a également traité le sujet de l’articulation entre l’instrument multilatéral et les conventions fiscales bilatérales postérieures. Les expressions de « clause d’obéissance » ou de « clause prospective de compatibilité » sont alors retenues. Ces dernières permettent de préserver l’esprit de la convention dans le futur et notamment de s’assurer que les conventions ou tout autre traité conclu postérieurement à l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral respectent l’esprit de la convention multilatérale.
Dans certains cas, les conventions ultérieures peuvent aller au-delà des prévisions de la convention initiale et pourraient prévoir, non des mesures contradictoires puisqu’elles sont exclues, mais simplement intégrer des dispositions plus étendues. L’article 41 de la Convention de Vienne traite cette situation en établissant que l’accord principal, en l’espèce l’instrument multilatéral issu des travaux BEPS, ne peut interdire la conclusion d’accords postérieurs6 et prévoir trois voies envisageables :
- les accords principaux peuvent comporter des clauses permettant aux signataires de prendre des engagements plus vastes, dès lors que ceux-ci se limitent « à confirmer, compléter, développer ou étendre les dispositions de l’accord principal »
- les accords principaux peuvent prévoir que « les accords postérieurs ne doivent pas être contraires à l’objet et au but du traité principal ou incompatibles avec ses dispositions »
- les accords principaux peuvent encourager les parties à « adopter des accords postérieurs qui étendent la portée du traité ou facilite sa bonne application »
La rédaction actuelle de la convention multilatérale ne prévoit toutefois rien de précis sur ce point. Ce choix de l’OCDE et des États participants aux travaux peut apparaître cohérent avec la volonté de flexibilité définie dans le rapport final sur l’action 15.
Par souci d’exhaustivité, il est rappelé que, conformément aux principes applicables en matière de droit international, l’instrument multilatéral crée des obligations uniquement entre les signataires du traité. Il est en effet admis que « le consentement des États parties au traité en question est un facteur vital dans la mesure où les États ne sont liés que s’ils y consentent », dès lors que « les traités sont des contrats entre États et sans le consentement des différents États, leurs dispositions ne sont pas opposables »7. La Convention de Vienne a d’ailleurs établi ce principe en ces articles 34 et 35. Les États qui ne signeront pas la convention multilatérale ne seront ainsi pas affectés par les modifications introduites par cette dernière, quand bien même un État partenaire d’un État non signataire est partie à la convention : les dispositions de la convention bilatérale signée entre ces deux États, signataire et non signataire, trouveront toujours à s’appliquer dans leurs relations, sans modification. Les travaux BEPS trouvent ici leur limite, dans la mesure où les recommandations issues des rapports de fin 2015 et les standards minimums préconisés par l’OCDE trouveront à s’appliquer uniquement dans les États y consentant par eux-mêmes, en signant la convention multilatérale, naturellement, et en s’abstenant de formuler des réserves.
Une convention fiscale est un simple trait d’union, une frêle passerelle jetée entre deux systèmes fiscaux.8
Le caractère multilatéral de la convention ne modifie pas sa place dans la hiérarchie des normes, celle d’une convention internationale classique. La valeur de chaque texte examiné par le juge restera la même et ils seront examinés dans le même ordre que celui qui prévaut en cas de convention internationale, selon le système juridique considéré.
Certains systèmes nationaux de droit fiscal n’accordent pas de prééminence aux textes internationaux sur les lois nationales. Tel est notamment le cas aux États-Unis. D’après les principes généraux du droit américain, conventions internationales et textes internes ont la même force. En cas de conflit, le texte le plus récent prévaut, de manière identique à ce que prévoie la Convention de Vienne en matière de droit international (cfr ci-dessus).
L’approche française est différente, les principes de droit interne sont en l’espèce désormais bien établis et consacrent la priorité du droit interne sur le droit conventionnel (ou principe de subsidiarité) ainsi que la primauté du droit conventionnel sur le droit interne. Jacques Arrighi de Casanova retenait dans ses conclusions sous l’affaire Memmi que le juge devant lequel une imposition est contestée « doit vérifier, éventuellement d’office, si l’argumentation que lui soumet le contribuable ne conduit pas à lui donner satisfaction sur le terrain du droit interne. Ensuite, et seulement en cas de réponse négative à cette première question, l’éventuel conflit entre les deux normes doit être examiné, et il ne peut évidemment se résoudre qu’au bénéfice d’une convention ». La convention fiscale bilatérale ne peut donc pas constituer une base légale d’imposition, le caractère multilatéral de la convention est sans incidence.
En droit communautaire, la hiérarchie des normes doit conduire à considérer l’instrument multilatéral de la même manière que les conventions bilatérales existantes. Les directives transposées sont analysées conformément aux principes applicables en matière de droit interne : à l’issue de la période de transposition, elles sont intégrées à l’ordre juridique national.
S’agissant du droit européen hors directives, le juge se prononcera à l’aune du principe de nécessité de la conformité avec le droit de l’Union européenne, issu d’une jurisprudence constante. Dans l’affaire Gilly notamment, au cœur de laquelle était analysée la compatibilité des dispositions d’une convention franco-allemande avec le traité de Rome, en particulier l’article 48 de ce dernier relatif à la libre circulation des travailleurs, le juge européen a considéré que la liberté de circulation des travailleurs présentait un caractère absolu et qu’elle ne pouvait être appréciée au regard de quelque convention que ce soit. Il consacrait, par là, le principe de nécessaire conformité du droit conventionnel au droit communautaire.
Reste que, au-delà de la hiérarchie des normes, la convention multilatérale apporte des éléments nouveaux quant à l’engagement pris par les États dans le cadre de leurs conventions bilatérales, en particulier en matière d’élimination de la double imposition, de lutte contre certains instruments juridiques ou l’utilisation abusive des dispositions de ces conventions. Le juge devrait ainsi, quel que soit le système juridique analysé, en tenir compte dans son analyse en tant que précisions ou éléments d’explication de la convention fiscale bilatérale considérée.
Les dispositions de l’instrument multilatéral
La convention multilatérale a vocation à couvrir l’ensemble des aspects traités durant les travaux BEPS et ayant fait l’objet de recommandations à l’occasion des rapports rendus publiques à la fin de l’année 2015. Seuls quelques-uns seront traités ici, en retenant ceux considérés comme les plus discutés au moment de la signature de l’instrument multilatéral car susceptibles d’avoir un impact plus important sur les opérateurs économiques et les administrations fiscales :
- l’utilisation abusive des conventions fiscales (action 6)
- la révision de la définition d’établissement stable (action 7)
- l’amélioration de l’efficacité des procédures amiables et d’arbitrage (action 14)
Les mesures retenues par l’instrument multilatéral constituent pour certaines d’entre elles des normes minimales, c’est-à-dire sans réserves possibles (mais avec options), leur application est donc obligatoire. D’autres revêtent un caractère facultatif et peuvent faire l’objet de réserves (des options sont également possibles).
L’utilisation abusive des conventions
Les États parties à l’instrument multilatéral intègrent, par leur signature, dans leurs conventions fiscales bilatérales des mesures prévenant l’utilisation abusive des conventions fiscales.
Ils acceptent tout d’abord d’insérer une clause relative à l’intention commune des parties à la convention fiscale d’éliminer les situations de double non-imposition ou d’imposition réduite, sous la forme d’un préambule. Cette clause s’applique à la place ou en l’absence de dispositions existantes. Ainsi, a minima, le texte s’ajoutera au préambule existant. Lorsque les États signataires ont notifié l’application de cette clause, celle-ci remplacera totalement l’actuel préambule.
Ils acceptent ensuite de choisir entre deux types de rédactions d’une clause visant à lutter contre le treaty shopping, ou « chalandage fiscal » selon la traduction de l’OCDE, c’est-à-dire le choix de certains contribuables de se placer sous les dispositions d’une convention qui leur est plus favorable, quand bien même elle ne serait pas celle retenue par les administrations fiscales au terme de leur appréciation de la situation considérée :
- une clause anti-abus générale, qui prévoit un système de règles et de sanctions fondé sur le respect de l’esprit des dispositions de la convention. Il s’agit d’apprécier si celui qui entend se prévaloir de la convention n’avait pas pour objectif principal d’échapper à l’impôt en s’organisant pour bénéficier de ladite convention. Cette approche est généralement préférée par les États de l’Union européenne. Elle est nommée approche du Principal Purpose Text (PPT)
- une clause construite sur l’identification de la liste des situations dans lesquelles le bénéfice de la convention est exclu. Quiconque se trouve dans l’une des situations ainsi pré-identifiées se verra refuser le bénéfice des dispositions conventionnelles. Plus délicate à rédiger que la précédente, puisqu’elle suppose d’avoir identifié par avance l’ensemble des situations considérées comme frauduleuses, cette approche recueille les faveurs des États-Unis et de certains pays d’Asie. Elle est nommée approche Limitation Of Benefit (LOB)
Quel que soit le choix, la clause retenue s’applique à la place ou en l’absence de dispositions existantes.
Ce standard minimum a vocation à limiter les avantages conventionnels aux seules opérations réalisées de bonne foi et vise spécifiquement les « sociétés relais » établies dans des pays disposant de conventions fiscales favorables.
L’établissement stable
Conformément aux recommandations du rapport final de l’action 7, relatives à l’établissement stable, les articles 12 à 15 de la convention multilatérale modifient la définition de l’établissement stable et les règles concernant la fragmentation des activités.
La proposition de modification de l’article 5.5 du Modèle de convention OCDE, telle qu’elle figure dans le rapport sur l’action 7, prévoyait notamment que:
« Lorsqu’une personne agit dans un État contractant ayant conclu une convention fiscale couverte pour le compte d’une entreprise et ce faisant conclut habituellement des contrats ou joue habituellement le rôle principal menant à la conclusion de contrats qui, de façon routinière, sont conclus sans modification importante par l’entreprise et que ces contrats sont :
- Au nom de l’entreprise, ou
- Pour le transfert de la propriété de biens, ou pour la concession du droit d’utiliser des biens, appartenant à cette entreprise ou que l’entreprise a le droit d’utiliser, ou
- Pour la fourniture de services par cette entreprise
Cette entreprise est considérée comme ayant un établissement stable dans cet État pour toutes les activités que cette personne exerce pour l’entreprise ».
Sur ce point, la rédaction de l’article 12.1 de la convention multilatérale diffère très peu de celle du rapport sur l’action 7. Seules quelques adaptations terminologiques sont insérées, notamment relatives à la mention des « conventions couvertes ». L’article 12.1 s’applique à la place des dispositions existantes.
Le rapport sur l’action 7 prévoyait également une proposition de modification concernant l’article 5.6 du Modèle de convention de l’OCDE relatif à l’agent dépendant :
- « Le § 5 ne s’applique pas lorsque la personne qui agit dans un État contractant pour le compte d’une entreprise dans l’autre État contractant exerce dans le premier État une activité d’entreprise comme agent indépendant et agit pour la première entreprise dans le cadre ordinaire de cette activité. Toutefois lorsqu’une personne agit exclusivement ou presque exclusivement pour le compte d’une ou de plusieurs entreprises auxquelles elle est étroitement liée, cette personne n’est pas considérée comme un agent indépendant (…)
- Aux fins du présent article, une personne est étroitement liée à une entreprise si, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, l’une contrôle l’autre ou toutes deux sont sous le contrôle des mêmes personnes ou entreprises. Dans tous les cas, une personne sera considérée comme étroitement liée à une entreprise si l’une détient directement ou indirectement plus de 50 % des intérêts effectisi dans L’autre (ou dans le cas d’une société plus de 50 % du total des droits de vote et de la valeur des actions de la société ou des intérêts effectifs dans les capitaux propres de la société} ou si une autre personne détient directement ou indirectement plus de 50 % des intérêts effectifs (ou dans le cas d’une société plus de 50 % du total des droits de vote et de fa valeur des actions de la société ou des intérêts effectifs dans les capitaux propres de la société) dans la personne et l’entreprise. »
Cette rédaction retient sans changement majeur celle du rapport sur l’action 7, à l’exception d’adaptations terminologiques, de renvois et de précisions sur la notion de liens de détention renvoyant à l’article 15 sur la « Définition d’une personne étroitement liée à une entreprise »9. L article 12.1 s’applique à la place des dispositions existantes.
La convention prévoit également en son article 13 des mesures « visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable par le recours aux exceptions applicables à certaines activités spécifiques ».
Deux options sont disponibles, que les États peuvent choisir ou non d’appliquer, chacune fondée sur le maintien de la liste actuelle des exceptions. L’option A propose l’ajout d’une condition cumulative, baptisée « dénominateur commun », aux termes de laquelle l’activité visée doit nécessairement présenter un caractère préparatoire ou auxiliaire. L’option B offre aux États la faculté d’ajouter la condition du caractère préparatoire ou auxiliaire à une ou plusieurs activités figurant sur la liste.
Enfin, alors que le Modèle de convention de l’OCDE10 prévoit dans son article 5, paragraphe 3, qu’un chantier de construction ou de montage constitue un établissement stable si sa durée dépasse 12 mois, l’article 14 de la convention multilatérale permet d’empêcher le fractionnement des contrats destiné à contourner cette mesure. Cette disposition fixe en effet la manière de déterminer cette période de 12 mois.
Ainsi, lorsque :
- une entreprise d’un État contractant exerce des activités dans l’autre État contractant à un endroit qui constitue un chantier de construction ou de montage et que ces activités sont exercées pendant une ou des périodes qui, au total, dépassent 30 jours mais ne dépassent pas douze mois; et
- des activités connexes sont exercées sur le même chantier de construction ou de montage pendant des périodes différentes de plus de 30 jours chacune, par une ou plusieurs entreprises étroitement liées à la première entreprise, ces différentes périodes sont ajoutées à la période totale pendant laquelle la première entreprise a exercé des activités sur ce chantier de construction ou de montage.
Ces modifications, issues des travaux BEPS, ont toutes pour objectif de déjouer les techniques utilisées par certains opérateurs et de s’assurer que des activités essentielles ou à forte valeur ajoutée ne bénéficient pas indûment des exceptions à la qualification d’établissement stable.
Règlement des différends et arbitrage
En vue de répondre aux attentes des contribuables en matière de sécurité juridique et fiscale, une partie de l’accord multilatéral est consacrée aux règlements des différends.
L’article 16 de l’instrument dispose que, en cas d’imposition non conforme à la Convention, le contribuable est en droit de soumettre sa situation à l’autorité compétente de l’un ou l’autre des États contractants dans les 3 ans suivant la première notification de la mesure entraînant cette imposition. L’autorité compétente recevant la demande initiale de procédure amiable doit procéder (a) à la confirmation de sa réception à la personne qui a soumis cette demande et (b) à sa notification à l’autorité compétente de l’autre État contractant dans les 2 mois à compter de sa réception. Cette rédaction supprime l’obligation faite aux contribuables de se tourner vers l’administration de l’État dans lequel ils résident, comme le prévoit le Modèle convention de l’OCDE, afin de simplifier les démarches et limiter les risques de refus d’ouverture de la procédure amiable.
Dès lors que la réclamation est fondée, les autorités compétentes des deux États contractants concernés doivent résoudre le cas par voie d’accord amiable, sauf cas de fraude, négligence grave ou manquement délibéré. Cet accord devra être appliqué quels que soient les délais prévus par le droit interne des États contractants, afin de clarifier les conditions dans lesquelles les contribuables peuvent obtenir l’élimination d’une double imposition créée par l’action d’une administration.
L’objectif de l’article relatif à la procédure amiable de la convention multilatérale est de garantir aux contribuables que les mesures de BEPS ne seront pas génératrices d’insécurité fiscale, ce standard minimum ayant pour but d’améliorer le règlement des différends fiscaux, en parallèle des travaux actuellement en cours au Forum sur l’Administration fiscale dont le but est d’améliorer la fluidité et la rapidité des procédures amiables.
Si la procédure amiable n’aboutit à aucun accord, le contribuable peut soumettre sa demande à la procédure d’arbitrage. L’arbitrage obligatoire et contraignant est défini dans la partie VI de la convention multilatérale aux articles 18 à 26. Les États contractants peuvent toutefois choisir d’appliquer ou non cette partie aux conventions fiscales couvertes.
Si ces dispositions relatives à l’arbitrage sont retenues, les autorités compétentes disposent alors d’un délai de 2 ans (ou 3 ans sur option des États contractants) pour trouver une solution à la demande présentée.
Le point de départ de ce délai de deux ans, défini aux paragraphes 8 et 9 de l’article 19 de la convention multilatérale, s’apprécie différemment selon les situations suivantes :
- première situation : aucune des autorités compétentes n’a demandé d’information complémentaire
- deuxième situation : des informations complémentaires ont été demandées
Dans la première situation, le point de départ du délai de deux ans est la première des deux dates suivantes :
- « la date à laquelle les deux autorités compétentes ont informé [de l’ouverture de la procédure amiable} la personne qui a soumis le cas conformément à l’alinéa a) du paragraphe 6; et
- la date qui suit de trois mois calendaires la date à laquelle la notification a été envoyée à l’autorité compétente de l’autre juridiction contractante conformément à l’alinéa b) du paragraphe 5 »
Dans la seconde situation, le point de départ du délai de deux ans est la première des deux dates suivantes :
- « la dernière des dates à laquelle les autorités compétentes qui ont demandé des informations complémentaires ont informé [du début de leur travaux/de l’ouverture de la procédure] la personne qui a soumis le cas ainsi que l’autre autorité compétente conformément à l’alinéa a) du paragraphe 7; et
- la date qui suit de trois mois calendaires la date à laquelle les deux autorités compétentes ont reçu l’ensemble des informations demandées par l’une ou l’autre des autorités compétentes à la personne qui a soumis le cas ».
Les États parties à l’instrument multilatéral peuvent également choisir d’écarter l’arbitrage, dès lors qu’un tribunal de l’une ou l’autre des Juridictions contractantes a déjà rendu une décision relative à la situation considérée ou a été saisie de cette situation dans ce but.
Les travaux BEPS ont conduit à privilégier la formule de l’arbitrage proposé par les États-Unis à ses partenaires11 : la commission d’arbitrage devra choisir entre l’une ou l’autre des propositions communiquées par les deux administrations à l’issue du temps de la procédure amiable. Cette version de l’arbitrage constitue celle proposée par l’OCDE par défaut. Même si les États conservent en effet la possibilité d’en convenir entre eux, n’a donc pas été retenu comme la solution de premier rang, le principe de l’arbitrage entre États membres de l’Union européenne, introduit par la convention d’arbitrage du 23 juillet 1990, qui laisse à la commission d’arbitrage toute latitude pour identifier la solution qu’elle propose aux États membres en vue de mettre un terme au différend qui les oppose.
Quelle position pour la France?
La France a naturellement adopté sans aucune réserve l’intégralité de l’article 7 relatif à la prévention de l’utilisation abusive des conventions, s’agissant d’un standard minimum.
De manière significative, il est particulièrement intéressant de noter que la France n’a formulé aucune réserve quant à l’application des articles 12, 13 et 14 de la convention multilatérale concernant les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’ établissement stable par des accords de commissionnaire et des stratégies similaires, par le recours aux exceptions dont bénéficient des activités spécifiques (choix de l’option B) et par fractionnement de contrats. Tel est également le cas pour les dispositions de l’article 15 établissant la définition d’une personne étroitement liée à une entreprise. Cette position, qui peut être qualifiée d’offensive de la part de la France, dès lors qu’elle est l’un des seuls État à retenir l’ensemble des propositions de l’OCDE et à retenir les choix les plus contraignants lorsque des options sont proposées, semble correspondre aux choix retenus par l’administration fiscale française en matière de contrôle fiscal fondé sur la notion d’établissement stable et que certaines affaires rendues publiques ont révélé.
La France n’a pas davantage formulé de réserve quant à la procédure amiable prévue par l’article 16 de l’instrument multilatéral. En revanche, elle a fait part de son choix de se réserver le droit de remplacer le délai de 2 ans, prévu pour l’arbitrage obligatoire et contraignant ajouté par les dispositions de l’article 19, par un délai de 3 ans (délai octroyé aux autorités compétences des États contractants pour résoudre le cas). Elle a également choisi d’exclure l’arbitrage obligatoire dès lors qu’un tribunal de l’une ou l’autre des Juridictions contractantes a déjà rendu une décision relative à ce cas ou en été saisi dans ce but.
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La portée concrète de cet instrument multilatéral est-elle aussi importante que le laisse entendre l’OCDE ?
Cette convention multilatérale constitue indiscutablement un projet ambitieux mené avec efficacité dans un cadre temps particulièrement serré. Il ne fait aucun doute que ses nouvelles mesures seront rapidement mises en œuvre dans un nombre non négligeable de pays et ce résultat n’aurait certainement pas été atteint sans le recours à cet outil juridique particulier.
Reste que la réalité pourrait être cruelle quant à l’étendue géographique de sa portée. L’examen sur la base de la position retenue par la France montre que, alors que la France est engagée dans 130 conventions bilatérales au 1er janvier 2017, seules 88 d’entre elles ont été retenues comme des conventions couvertes. De surcroît, si la convention multilatérale compte actuellement 70 signataires représentant 1.105 conventions appariées, manquent quelques grands absents tels que le Brésil et bien sûr, le plus emblématique d’entre eux, les États-Unis, ces derniers confirmant ainsi leur conception particulière de leur participation aux travaux BEPS. Doivent cependant être mentionnées les 7 juridictions ayant fait part de leur intention de signer l’instrument multilatéral : la Côte d’Ivoire, l’Estonie, la Jamaïque, le Liban, le Nigeria, le Panama ou la Tunisie.
Toujours vu depuis la France, il est intéressant de relever quelques situations marquantes en matière de redéfinition d’établissement stable, en particulier des articles 12.1 et 12.2 de la convention multilatérale relatifs aux accords de commissionnaires, adoptés sans réserve par la France (ainsi qu’indiqué précédemment) :
- la convention franco-américaine n’est pas modifiée, les États-Unis n’étant pas partie à la convention
- la convention franco-suisse n’est pas modifiée, cette dernière n’étant pas retenue par la France comme l’une des conventions couvertes; la Suisse a de toute manière fait part de sa réserve globale sur l’article 12
- la convention franco-luxembourgeoise n’est pas d’avantage affectée, le Luxembourg ayant émis une réserve globale sur l’article 12
Finalement, au regard des articles 12.1 et 12.2, la seule convention susceptible d’évolutions est aujourd’hui la convention franco-néerlandaise.
L’étude de cas concrets pourrait également conduire à s’interroger sur les conséquences juridiques et pratiques de ce nouvel instrument. Dans certaines affaires rendues publiques en divers pays de l’Union européenne, la question de l’établissement stable est centrale pour les administrations fiscales. Les nouvelles dispositions de l’instrument multilatéral, issues des recommandations de l’action 7 redéfinissant la notion de l’établissement stable, même si elles constituent réellement un renforcement de l’arsenal à disposition des services de contrôles et doivent conduire les opérateurs économiques internationaux à s’interroger sur leur organisation, permettraient-elles de mener une analyse différente et plus favorable aux administrations fiscales, compte tenu des éléments qu’elles ont pu réunir et des motivations techniques qu’elles ont retenues ?
Dans un contexte international, qui conduit les États, au cours de l’étape décisive de la procédure amiable, à s’entendre sur une solution partagée ensemble, alors que n’existe aucune prééminence d’un partenaire sur l’autre, ces nouvelles règles proposées par l’OCDE pourront prouver leur efficacité si elles sont partagées par les juridictions en présence. Ainsi, si la France a adopté sans réserve les articles relatifs à l’établissement stable, et notamment au fractionnement des activités et des contrats, tel n’est par exemple pas le cas de l’Irlande.
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L’analyse détaillée ici, quelques semaines après la signature de ce nouvel outil qu’est l’instrument multilatéral, ne consiste qu’en une première analyse partielle, menée à chaud. La complexité et la densité des mesures introduites dans cette nouvelle convention, comme la mise en œuvre bilatérale de chacune d’elles, doivent conduire à poursuivre son étude et en préciser la portée. Sa mise en œuvre par les administrations et la pratique qu’en auront les opérateurs économiques permettront également de mieux en percevoir les effets. Il ne fait cependant aucun doute que cet instrument vient radicalement modifier le paysage fiscal international, du fait de sa nature même ainsi que par les mesures qu’il intègre, destinées à atteindre les objectifs clairement affichés par les États signataires.
1 Le mois suivant, le Cameroun et l’île Maurice ont rejoint la liste des signataires portant le chiffre à 70.
2 Les pays adoptent une convention multilatérale destinée à fermer les brèches et à améliorer le fonctionnement du système fiscal international, brève OCDE, 24 novembre 2016, disponible à l’adresse suivante: Les pays adoptent une convention multilatérale destinée à fermer les brèches et à améliorer le fonctionnement du système fiscal international.
3 Note explicative portant sur la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice, p. 1.
4 J.-Cl. MARTINEZ, « Théorie générale des conventions fiscales», JurisClasseur, fasc. 350.
5 La convention de Vienne sur le droit des traités, signée en 1969, prévoie en son article 30, (3) : « Lorsque toutes les parties au traité antérieur sont également parties au traité postérieur, sans que le traité antérieur aie pris fin ou que son application aie été suspendue en vertu de l’article 59, le traité antérieur ne s’applique que dans la mesure où ses dispositions sont compatibles avec celles du traité postérieur».
6 Article 41. Accords ayant pour objet de modifier des traités multilatéraux dans les relations entre certaines parties seulement.
- Deux ou plusieurs parties à un traité multilatéral peuvent conclure un accord ayant pour objet de modifier le traité dans leurs relations mutuelles seulement :
- si la possibilité d’une telle modification est prévue par le traité; ou
- si la modification en question n’est pas interdite par le traité, à condition qu’elle:
- ne porte atteinte ni à la jouissance par les autres parties des droits qu’elles tiennent du traité ni à l’exécution de leurs obligations; et
- ne porte pas sur une disposition à laquelle il ne peut être dérogé sans qu’il y aie incompatibilité avec la réalisation effective de l’objet et du but du traité pris dans son ensemble.
- À moins que, dans le cas prévu à l’alinéa a) du paragraphe 1, le traité n’en dispose autrement, les parties en question doivent notifier aux autres parties leur intention de conclure l’accord et les modifications que cc dernier apporte au traité.
7 M. N. Shaw, International Law, 6th ed., Cambridge, 2008, p.910 : « The consent of states parties to the treaty in question is a vital factor, since states may (in the absence of a rule being also one of customary law) be bound only by their consent. Treaties are in that sense contracts between states and if they do not receive the consent of the various states, their provision will not be binding upon them«
8 C. David et G. Gest, v° « Impôts », in Répertoire de droit international, Paris, Dalloz, 1998 (m.à.j. janvier 2017), p. 8 sur 30
9 Dans la mesure où cette notion est utilisée clans les articles précédents, l’article 15 propose de définir une « personne étroitement liée à une entreprise » de la manière suivante : « une personne est étroitement liée à une entreprise si, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, l’une est sous le contrôle de l’autre ou toutes deux sont sous le contrôle des mêmes personnes ou entreprises. Dans tous les cas, une personne est considérée comme étroitement liée à une entreprise si l’une détient directement ou indirectement plus de 50 pour cent des droits ou participations effectifs dans l’autre (ou, dans le cas d’une société, plus de 50 pour cent du total des droits de vote et de la valeur des actions de la société ou des droits ou participations effectifs dans les capitaux propres de la société), ou si une autre personne détient directement ou indirectement plus de 50 pour cent des droits ou participations effectifs (ou, dans le cas d’une société, plus de 50 pour cent du total des droits de vote et de la valeur des actions de la société ou des droits ou participations effectifs dans les capitaux propres de la société) dans la personne et l’entreprise ».
10 OCDE, Modèle de convention OCDE, version 2014, Paris, Editions OCDE, 2015.
11 Cfr article 26, paragraphes 5 et 6, dc la convention franco-américaine du 31 août 1994, après modification par les avenants du 8 décembre 2004 — qui a introduit l’arbitrage dans la convention — et du 13 janvier 2009; un arbitrage identique est compris dans les conventions conclues entre les Etats-Unis et la Belgique, l’Allemagne et le Canada, il fait partie du modèle de convention des Etats-Unis.