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L’instrument multilatéral vient bouleverser les relations fiscales entre Etats : consacre-t-il l’apparition d’un nouvel outil juridique international efficace ?

Photo des locaux de l'OCDE - Château de la Muette

Cet article a été rédigé le mois suivant la signature de l’accord multilatéral et initialement publié dans la Revue Européenne et Internationale de Droit Fiscal en décembre 2017. Il est repris sur notre blog avec due autorisation.

Le 7 juin 2017, un peu moins de deux ans après la publication des 15 rapports précisant les modalités de la lutte contre l’évitement fiscal, 68 pays ont signé la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice.
Plusieurs acteurs de la fiscalité considèrent cet instrument innovant comme un bouleversement majeur dans le monde de la fiscalité internationale.
Quelques mois plus tard, la position des différents pays permet de dresser un premier bilan.

Les travaux de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ont abouti à la fin de l’année 2015 sur des propositions marquantes, qui conduisent à faire évoluer en profondeur les principes applicables en matière de fiscalité internationale. Chacun s’accorde à reconnaître que les travaux menés pour lutter contre le BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) ont conduit à des avancées importantes, pourtant inatteignables au cours des deux décennies précédentes. Cette volonté de réformer en profondeur le corpus de règles applicables aux transactions internationales a conduit les pays de l’OCDE à aller jusqu’à s’assurer de la mise en œuvre effective et rapide des recommandations préconisées, en ayant recours à une méthode originale de mise en œuvre de ces recommandations : l’instrument multilatéral (ou convention multilatérale). Il s’agit d’un outil de nature à transformer dans un temps réduit le « droit mou » que représentent les préconisations de l’OCDE et les engagements des États, en droit international impératif pour les États comme pour les opérateurs économiques.

S’agissant de règles nouvelles destinées à s’appliquer aux transactions/opérations internationales, elles ont vocation à être introduites dans les conventions fiscales signées par les États en vue d’éviter les doubles impositions et, comme le prévoient désormais les recommandations de l’OCDE issues de BEPS, les doubles non-impositions.

Signé le 7 juin 2017 par 68 juridictions1, cet instrument multilatéral est ainsi un outil contraignant ayant pour objet la mise en œuvre rapide, coordonnée et cohérente des mesures proposées dans le cadre du plan BEPS. La logique et les fondements juridiques de ce « nouvel outil », une convention fiscale multilatérale, ont été développés dans le cadre de l’action 15 des travaux BEPS. À la suite du mandat conféré par les ministres des Finances et les gouverneurs de banques centrales des pays du G20, un groupe de travail ad hoc a été constitué par plus de 100 juridictions chargées de négocier et d’adopter le texte de cette convention et sa note explicative. Achevés le 24 novembre 2016, ces travaux ont été suivis d’échanges entre les administrations fiscales des États destinés à leur permettre de s’entendre sur les dispositions qu’ils souhaitaient retenir dans le cadre de leurs relations.

Cet instrument multilatéral offre ainsi la possibilité de mettre en œuvre les mesures issues des travaux BEPS en évitant aux États de renégocier une à une l’ensemble de leurs conventions fiscales. Les principaux sujets couverts portent notamment sur l’utilisation abusive des conventions ou le règlement des différends (qualifiés de standards minimums et donc d’application obligatoire) mais aussi sur les dispositions facultatives comme celles liées à l’établissement stable et aux dispositifs hybrides par exemple. Cet outil, qui prend place dans l’ensemble du corpus de règles du droit international, apparaît donc innovant, inédit et vise une plus grande efficacité. Angel Gurria, le Secrétaire général de l’OCDE, considère que « l’adoption de cet instrument multilatéral marque un tournant dans l’histoire de la fis­calité internationale ». 2 
L’examen détaillé de cette convention fiscale multi­latérale permet en effet d’en percevoir la nature par­ticulière et de mieux appréhender les conditions de sa mise en œuvre. Sa signature récente et les pre­mières réactions des États autorisent un premier exa­men de ses dispositions, en se penchant sur quelques mesures phares : à défaut d’engager un examen ex­haustif, ont été étudiées celles susceptibles d’impacter plus fortement les opérations réalisées par les opéra­teurs économiques et les relations entre les adminis­trations fiscales des États.

Utilité et portée de l’instrument multilatéral

Les conventions fiscales bilatérales constituent l’une des sources du droit fiscal et sont fondamentales en matière de droit fiscal international. L’OCDE en compte plus de 3.0003 à ce jour et elles forment un véritable réseau par lequel les États, à l’issue de leurs négociations bilatérales, façonnent le droit fiscal applicable aux situations transnationales. Ce dernier peut s’avérer complexe car, si ces négociations sont principalement engagées sur la base de principes internationaux reconnus (généralement issus des tra­vaux de l’OCDE, mais également des Nations Unies), elles conduisent à définir, de manière spéci­fique et non générale, les relations des États entre eux, au gré de leurs intérêts et des particularités de leur droit fiscal national : certaines règles applicables dans les relations de l’Allemagne avec les États-Unis peuvent être différentes de celles applicables dans ses relations avec le Japon. Ce réseau de conventions, développé au fil du temps, couvre désormais la plu­part des pays de la planète, y compris les échanges Nord-Sud.

Le paysage fiscal international s’est considérablement transformé entre la naissance d’un accord franco­belge en 18434 (portant sur l’assistance en matière de droits de succession) et l’intense maillage conven­tionnel que nous connaissons aujourd’hui. Les conventions fiscales bilatérales qui composent le ré­seau actuel sont les héritières d’un modèle élaboré par la Société des Nations dans les années 1920. L’expansion des conventions fiscales internationales a ensuite été le fruit de plusieurs facteurs, parmi les­quels, naturellement, la mondialisation des échanges. Avec l’internationalisation des activités économiques, le risque de double imposition s’est accru, chaque État appliquant sa propre loi fiscale nationale. Dans ce contexte, la lutte contre ce risque a initialement constitué l’objectif principal des conventions fiscales. Les normes alors développées avaient avant tout pour but d’encourager et de faciliter le commerce interna­tional. Par la suite, ces accords ont été étendus à d’autres finalités : la lutte contre l’évasion fiscale, la protection des contribuables, les relations entre les administrations fiscales. Les conventions conclues depuis les années 1980 poursuivent l’ensemble de ces objectifs.

Ce réseau conventionnel constitue ainsi un véritable ordre fiscal international dont l’enchevêtrement rend difficile l’évolution rapide et cohérente en vue de la mise en œuvre d’une nouvelle norme ou de nouveaux principes. Ce constat rend évidentes les deux contraintes auxquelles se heurtaient la mise en œuvre des recommandations de BEPS.

D’une part, pour que la révolution fiscale matérialisée par la publication des rapports BEPS en no­vembre 2015 devienne réalité, la modification du réseau de conventions bilatérales est incontournable. À défaut, les travaux menés durant deux ans sous l’impulsion du G20 et du conseil de l’OCDE ne peuvent recevoir une traduction concrète.

D’autre part, le nombre de conventions bilatérales rend illusoire la renégociation de chaque convention, une à une. L’OCDE a reconnu que ce processus serait « fastidieux [ … ] et limiterait l’efficacité des efforts multilatéraux » (BEPS – Action 15 – Rapport final). En effet, par son ampleur, les ressources limitées des administrations comme leurs intérêts divergents, une telle entreprise aurait évi­demment conduit à un étalement des travaux dans le temps (combien d’années, voire plus d’une décen­nie ?). Dans un premier temps, un nouveau modèle de convention fiscale aurait dû être élaboré. La rené­gociation de chaque convention, sur la base de ce nouveau modèle, aurait dû être menée dans un deu­xième temps. Ce processus, classique dans le passé mais particulièrement long, a naturellement été jugé incompatible avec les objectifs affichés par l’OCDE comme par les États eux-mêmes. Au demeurant, le recours à ce processus habituel d’élaboration des conventions fiscales bilatérales aurait pu conduire, l’expérience passée l’a montré, à un manque d’homo­généité des dispositions retenues dans le réseau conventionnel, créant ainsi le risque d’une forte ins­tabilité nuisible aux relations entre administrations fiscales et dommageables pour les opérateurs écono­miques.

Ces contraintes ont rapidement conduit l’OCDE à envisager une alternative, lors de l’engagement de ses travaux BEPS. C’est ainsi que le concept de l’instru­ment multilatéral est apparu, en tant que promesse d’une action rapide, efficace et cohérente : une convention fiscale multilatérale, permettant une mise à jour instantanée et coordonnée du réseau conven­tionnel international, à tout le moins pour les États signataires de ce nouvel outil de fiscalité internatio­nale. En introduisant dans cette convention multi­latérale les recommandations issues des rapports BEPS, ces dernières deviennent opposables aux États qui la signent, le « droit mou » des recommandations de l’OCDE prend ainsi force de loi entre les parties et devient alors applicable aux opérations internatio­nales. Fort logiquement, compte tenu de l’engage­ment des travaux BEPS sur les instructions des pays du G20, la volonté d’établir un cadre contraignant ressort clairement du rapport OCDE de 2014 (ci­-après « le Rapport de 2014 »), reproduit dans le rap­port final de l’action 15, dont l’objet était notam­ment « d’examiner la faisabilité technique d’une approche multilatérale contraignante ».

Or, la définition de ce nouvel outil contraignant, et son entrée en vigueur, doit cependant respecter la souveraineté des États. Selon le Rapport de 2014, l’instrument multilatéral est certes contraignant mais il respecte néanmoins l’autonomie souveraine des États en matière fiscale. Fondamental, ce principe d’autonomie souveraine préserve l’équilibre des né­gociations internationales. « Les pratiques d’érosion de la base d’imposition [ … ] étant la résultante des interactions entre les législations et les traités de mul­tiples pays, les gouvernements doivent intensifier leur collaboration par le biais d’un instrument multilaté­ral contraignant visant à la fois à empêcher que le réseau de conventions fiscales facilite ces pratiques et à protéger la souveraineté des États ». Ainsi, l’objet de l’instrument multilatéral aux termes de sa rédac­tion, comme défini par le rapport final sur l’action 15 du plan BEPS, ne vise pas à modifier les législations nationales, ce qui aurait menacé la souveraineté fis­cale des États, mais porte exclusivement sur l’appli­cation des mesures comprises dans les conventions fiscales. Par ailleurs, la nature bilatérale des conven­tions est préservée, même si l’instrument est bien multilatéral car signé par un ensemble d’États, de manière concomitante par certains à l’origine puis rejoints par d’autres : les États choisissent les dispo­sitions qu’ils souhaitent voir appliquer dans leurs relations bilatérales et l’expriment ensemble, dans la même unité de temps et de manière coordonnée.

Les États tirent trois bénéfices principaux de cette nouvelle approche via l’instrument multilatéral : 

Le Rapport de 2014 souligne que l’élaboration d’un instrument multilatéral permet en outre aux pays en voie de développement de bénéficier du projet BEPS (l’un des objectifs que les États du G20 et du Conseil de l’OCDE s’étaient assignés). Cet outil semble ainsi particulièrement adapté au contexte économique actuel, marqué par une hyper mondia­lisation, au sein duquel les opérateurs économiques évoluent aujourd’hui. Or, dans ce cadre, certains pays en voie de développement (à l’exception des grands pays émergents) doivent souvent lutter contre un rapport de force défavorable lorsqu’il leur faut renégocier leurs conventions fiscales bilatérales en raison de l’opposition à laquelle ils doivent natu­rellement faire face lorsque s’engage la négociation. L’instrument multilatéral permet de préserver un certain équilibre, d’aucuns iraient même jusqu’à évoquer une certaine justice, entre les parties à la convention multilatérale, dès lors que les règles applicables sont déjà limitativement identifiées (la pression ne peut être exercée sur d’autres disposi­tions de la convention) et les options possibles déjà fixées par les rapports des travaux BEPS. De la sorte, la signature de cet instrument multilatéral évite le passage obligé d’une longue discussion tech­nique non dénuée de contraintes économiques et politiques. Cet outil permet d’intégrer dans les conventions bilatérales les mesures ciblées par BEPS, en rendant inutile la recherche d’un com­promis qui pourrait nuire aux objectifs premiers de l’actualisation des conventions, chacun risquant de tenter de tirer profit de l’opportunité de la renégo­ciation, au détriment des objectifs initiaux des re­commandations de BEPS.

Mise en œuvre et entrée en vigueur de l’instrument multilatéral

En dépit de ses objectifs de rapidité, de cohérence et de clarté, l’instrument multilatéral n’en reste pas moins un outil complexe, prenant place dans le droit international et impactant nombre de sujets fiscaux techniques. Il reste au demeurant à ce jour sans réel équivalent en matière fiscale, à l’exception de la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale. Datant de 1988, cette Convention est entrée en vigueur relativement tard, en 1995. Les administrations fiscales ont faiblement eu recours à ses dispositions, jusqu’à ce que, en 2009, conscients de la rare utilisation de cette Convention, les dirigeants du G20 donnent pour mission à l’OCDE et au Conseil de l’Europe de l’adapter aux normes actualisées. Le 3 juillet 2014, 66 pays ont signé la nouvelle Convention. Il est intéressant de noter qu’entre 2009, début des tra­vaux, et la signature de la Convention nouvelle, cinq années se sont écoulées. Sur ce plan, l’OCDE a été en mesure d’accélérer le processus puisque l’instru­ment multilatéral vient d’être signé en juin par les premiers États, alors que, si les travaux portant sur la faisabilité juridique sont mis de côté, il peut être considéré que les travaux ont réellement débuté à la fin de l’année 2015.
L’OCDE, sous la pression du G20, vise également une mise en œuvre rapide. Les États ont été guidés afin de respecter plusieurs étapes indispensables des­tinées à préciser le champ des dispositions prévues par cet outil et d’en détailler la portée. Ainsi, chaque État signataire a dû procéder de la manière suivante :

Ce processus d’identification et de notification des dispositions existantes est particulièrement impor­tant. En effet, en cas de défaut de notification ou si la notification diffère de celle de l’État partenaire dans la convention bilatérale, les dispositions de l’ins­trument multilatéral, lorsqu’elles ne concernent pas les normes minimales, sont alors inapplicables.

Au-delà de ces étapes préalables, et quand bien même les États signent la convention multilatérale, son entrée en vigueur est soumise au respect des condi­tions suivantes, prévues par les articles 34 et 35 de la Convention. Ces derniers précisent, d’une part, que l’entrée en vigueur intervient le premier jour du mois qui suit l’expiration d’une période de trois mois à compter de la date du dépôt du cinquième instru­ment de ratification, d’acceptation ou d’approbation. Ce délai est réduit à un mois pour les signataires qui ratifient, acceptent ou approuvent la convention après le dépôt du cinquième instrument. D’autre part, lorsque deux États ont ratifié l’instrument multilatéral et notifié la convention bilatérale qui les unit à l’OCDE, les modifications induites prennent effet à l’expiration d’un délai de six mois après la dernière des dates d’entrée en vigueur « pour chacune des juridictions contractantes ayant conclu une Conven­tion fiscale couverte », pour tous les impôts perçus à l’exception des retenues à la source, pour laquelle les modifications prennent effet le premier jour de l’année civile suivant la dernière des dates d’entrée en vigueur. (Voir Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice, article 35)

Ces dispositions de la convention multilatérale conduisent l’OCDE à considérer que l’entrée en vigueur devrait intervenir après le début de l’an­née 2018. À la date de l’entrée en vigueur de l’ins­trument multilatéral, les dispositions sur lesquelles les États signataires sont d’accord ont un effet direct. Les États signataires de l’instrument multilatéral peuvent par ailleurs engager des discussions bilaté­rales en cas de désaccord concernant les « dispositions existantes », c’est-à-dire déjà présentes dans leurs conventions fiscales bilatérales.

Articulation de l’instrument multilatéral avec le droit international

L’instrument multilatéral constitue donc un outil du droit fiscal international et s’intègre en tant que tel dans l’ordre juridique international déjà établi, constitué des traités internationaux multilatéraux, du réseau de conventions bilatérales, mais également des lois nationales portant sur les situations internatio­nales. Le rapport entre cet outil, dont il vient d’être indiqué en quoi il est nouveau, et les normes exis­tantes mérite un examen attentif.

La relation entre l’instrument multilatéral et les conventions fiscales bilatérales peut être appréciée, d’une part, par rapport aux conventions existant avant son entrée en vigueur et, d’autre part, par rap­port aux conventions qui seront signées à l’avenir.

L’instrument multilatéral ne modifie pas l’ensemble du texte d’une convention bilatérale; les domaines non affectés par la convention multilatérale resteront en vigueur en l’état. S’agissant des dispositions amen­dées ou ajoutées par la convention multilatérale, le Rapport de 2014 rappelle qu’il existe deux façons de traiter la question de la coexistence entre l’instrument multilatéral et les conventions modifiées : (i) définir la relation dans le texte même de la convention, (ii) s’en remettre au droit international. À cet égard, la Convention de Vienne sur le droit des Traités (ci­-après « la Convention de Vienne »), en son article 30,(3), établie le principe « lex posterior derogat lexi prio­ri » : ainsi, lorsque deux normes renvoient à la même matière, la norme postérieure prévaut5. S’agissant de l’instrument multilatéral, et afin de préserver l’objectif de clarté et d’efficacité poursuivi par les travaux de l’OCDE, des clauses de compatibilité ont toutefois été introduites dans l’instrument lui­-même (Voir la Note explicative sur la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour préve­nir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice, p.7).

Ces clauses de compatibilité, ou clauses de conflit, permettent de définir en amont la relation entre les conventions. Étant donné la complexité et la tech­nicité de la convention multilatérale, ces clauses visent à garantir la sécurité juridique.

Il existe plusieurs types de clause de compatibilité visant à abroger, remplacer, supplanter et/ou modifier les dispositions de conventions existantes. Les arti­culations suivantes peuvent être citées s’agissant de l’instrument multilatéral : 

Le rapport sur l’action 15 de BEPS a également traité le sujet de l’articulation entre l’instrument mul­tilatéral et les conventions fiscales bilatérales posté­rieures. Les expressions de « clause d’obéissance » ou de « clause prospective de compatibilité » sont alors retenues. Ces dernières permettent de préserver l’es­prit de la convention dans le futur et notamment de s’assurer que les conventions ou tout autre traité conclu postérieurement à l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral respectent l’esprit de la convention multilatérale.

Dans certains cas, les conventions ultérieures peuvent aller au-delà des prévisions de la conven­tion initiale et pourraient prévoir, non des mesures contradictoires puisqu’elles sont exclues, mais sim­plement intégrer des dispositions plus étendues. L’article 41 de la Convention de Vienne traite cette situation en établissant que l’accord princi­pal, en l’espèce l’instrument multilatéral issu des travaux BEPS, ne peut interdire la conclusion d’accords postérieurs6 et prévoir trois voies envi­sageables :

La rédaction actuelle de la convention multilatérale ne prévoit toutefois rien de précis sur ce point. Ce choix de l’OCDE et des États participants aux tra­vaux peut apparaître cohérent avec la volonté de flexibilité définie dans le rapport final sur l’action 15.

Par souci d’exhaustivité, il est rappelé que, confor­mément aux principes applicables en matière de droit international, l’instrument multilatéral crée des obligations uniquement entre les signataires du traité. Il est en effet admis que « le consentement des États parties au traité en question est un facteur vital dans la mesure où les États ne sont liés que s’ils y consentent », dès lors que « les traités sont des contrats entre États et sans le consentement des dif­férents États, leurs dispositions ne sont pas oppo­sables »7. La Convention de Vienne a d’ailleurs établi ce principe en ces articles 34 et 35. Les États qui ne signeront pas la convention multilatérale ne seront ainsi pas affectés par les modifications intro­duites par cette dernière, quand bien même un État partenaire d’un État non signataire est partie à la convention : les dispositions de la convention bila­térale signée entre ces deux États, signataire et non signataire, trouveront toujours à s’appliquer dans leurs relations, sans modification. Les travaux BEPS trouvent ici leur limite, dans la mesure où les recom­mandations issues des rapports de fin 2015 et les standards minimums préconisés par l’OCDE trou­veront à s’appliquer uniquement dans les États y consentant par eux-mêmes, en signant la convention multilatérale, naturellement, et en s’abstenant de formuler des réserves.

Une convention fiscale est un simple trait d’union, une frêle passerelle jetée entre deux systèmes fiscaux.8

Le caractère multilatéral de la convention ne modifie pas sa place dans la hiérarchie des normes, celle d’une convention internationale classique. La valeur de chaque texte examiné par le juge restera la même et ils seront examinés dans le même ordre que celui qui prévaut en cas de convention internationale, selon le système juridique considéré.

Certains systèmes nationaux de droit fiscal n’ac­cordent pas de prééminence aux textes internatio­naux sur les lois nationales. Tel est notamment le cas aux États-Unis. D’après les principes généraux du droit américain, conventions internationales et textes internes ont la même force. En cas de conflit, le texte le plus récent prévaut, de manière identique à ce que prévoie la Convention de Vienne en matière de droit international (cfr ci-dessus).

L’approche française est différente, les principes de droit interne sont en l’espèce désormais bien établis et consacrent la priorité du droit interne sur le droit conventionnel (ou principe de subsidiarité) ainsi que la primauté du droit conventionnel sur le droit in­terne. Jacques Arrighi de Casanova retenait dans ses conclusions sous l’affaire Memmi que le juge devant lequel une imposition est contestée « doit vérifier, éventuellement d’office, si l’argumentation que lui soumet le contribuable ne conduit pas à lui donner satisfaction sur le terrain du droit interne. Ensuite, et seulement en cas de réponse négative à cette pre­mière question, l’éventuel conflit entre les deux normes doit être examiné, et il ne peut évidemment se résoudre qu’au bénéfice d’une convention ». La convention fiscale bilatérale ne peut donc pas consti­tuer une base légale d’imposition, le caractère mul­tilatéral de la convention est sans incidence.

En droit communautaire, la hiérarchie des normes doit conduire à considérer l’instrument multilaté­ral de la même manière que les conventions bila­térales existantes. Les directives transposées sont analysées conformément aux principes applicables en matière de droit interne : à l’issue de la période de transposition, elles sont intégrées à l’ordre juri­dique national.

S’agissant du droit européen hors directives, le juge se prononcera à l’aune du principe de nécessité de la conformité avec le droit de l’Union européenne, issu d’une jurisprudence constante. Dans l’affaire Gilly notamment, au cœur de laquelle était analysée la compatibilité des dispositions d’une convention fran­co-allemande avec le traité de Rome, en particulier l’article 48 de ce dernier relatif à la libre circulation des travailleurs, le juge européen a considéré que la liberté de circulation des travailleurs présentait un caractère absolu et qu’elle ne pouvait être appréciée au regard de quelque convention que ce soit. Il consacrait, par là, le principe de nécessaire conformité du droit conventionnel au droit communautaire.

Reste que, au-delà de la hiérarchie des normes, la convention multilatérale apporte des éléments nou­veaux quant à l’engagement pris par les États dans le cadre de leurs conventions bilatérales, en parti­culier en matière d’élimination de la double impo­sition, de lutte contre certains instruments juri­diques ou l’utilisation abusive des dispositions de ces conventions. Le juge devrait ainsi, quel que soit le système juridique analysé, en tenir compte dans son analyse en tant que précisions ou éléments d’explication de la convention fiscale bilatérale considérée.

Les dispositions de l’instrument multilatéral

La convention multilatérale a vocation à couvrir l’ensemble des aspects traités durant les travaux BEPS et ayant fait l’objet de recommandations à l’occasion des rapports rendus publiques à la fin de l’année 2015. Seuls quelques-uns seront traités ici, en rete­nant ceux considérés comme les plus discutés au moment de la signature de l’instrument multilatéral car susceptibles d’avoir un impact plus important sur les opérateurs économiques et les administrations fiscales : 

Les mesures retenues par l’instrument multilatéral constituent pour certaines d’entre elles des normes minimales, c’est-à-dire sans réserves possibles (mais avec options), leur application est donc obligatoire. D’autres revêtent un caractère facultatif et peuvent faire l’objet de réserves (des options sont également possibles).

L’utilisation abusive des conventions

Les États parties à l’instrument multilatéral intègrent, par leur signature, dans leurs conventions fiscales bilatérales des mesures prévenant l’utilisation abusive des conventions fiscales.

Ils acceptent tout d’abord d’insérer une clause rela­tive à l’intention commune des parties à la conven­tion fiscale d’éliminer les situations de double non-­imposition ou d’imposition réduite, sous la forme d’un préambule. Cette clause s’applique à la place ou en l’absence de dispositions existantes. Ainsi, a minima, le texte s’ajoutera au préambule existant. Lorsque les États signataires ont notifié l’application de cette clause, celle-ci remplacera totalement l’ac­tuel préambule.

Ils acceptent ensuite de choisir entre deux types de rédactions d’une clause visant à lutter contre le trea­ty shopping, ou « chalandage fiscal » selon la traduc­tion de l’OCDE, c’est-à-dire le choix de certains contribuables de se placer sous les dispositions d’une convention qui leur est plus favorable, quand bien même elle ne serait pas celle retenue par les administrations fiscales au terme de leur appréciation de la situation considérée : 

Quel que soit le choix, la clause retenue s’applique à la place ou en l’absence de dispositions existantes.

Ce standard minimum a vocation à limiter les avan­tages conventionnels aux seules opérations réalisées de bonne foi et vise spécifiquement les « sociétés re­lais » établies dans des pays disposant de conventions fiscales favorables.

L’établissement stable

Conformément aux recommandations du rapport final de l’action 7, relatives à l’établissement stable, les articles 12 à 15 de la convention multilatérale modifient la définition de l’établissement stable et les règles concernant la fragmentation des activités.

La proposition de modification de l’article 5.5 du Modèle de convention OCDE, telle qu’elle figure dans le rapport sur l’action 7, prévoyait notamment que:

« Lorsqu’une personne agit dans un État contractant ayant conclu une convention fiscale couverte pour le compte d’une entreprise et ce faisant conclut habituel­lement des contrats ou joue habituellement le rôle prin­cipal menant à la conclusion de contrats qui, de façon routinière, sont conclus sans modification importante par l’entreprise et que ces contrats sont :

  1. Au nom de l’entreprise, ou
  2. Pour le transfert de la propriété de biens, ou pour la concession du droit d’utiliser des biens, appartenant à cette entreprise ou que l’entreprise a le droit d’utiliser, ou
  3. Pour la fourniture de services par cette entreprise

Cette entreprise est considérée comme ayant un établis­sement stable dans cet État pour toutes les activités que cette personne exerce pour l’entreprise ».

Sur ce point, la rédaction de l’article 12.1 de la convention multilatérale diffère très peu de celle du rapport sur l’action 7. Seules quelques adaptations terminologiques sont insérées, notamment relatives à la mention des « conventions couvertes ». L’article 12.1 s’applique à la place des dispositions existantes.

Le rapport sur l’action 7 prévoyait également une proposition de modification concernant l’article 5.6 du Modèle de convention de l’OCDE relatif à l’agent dépendant :

  1. « Le § 5 ne s’applique pas lorsque la personne qui agit dans un État contractant pour le compte d’une entre­prise dans l’autre État contractant exerce dans le premier État une activité d’entreprise comme agent indépendant et agit pour la première entreprise dans le cadre ordi­naire de cette activité. Toutefois lorsqu’une personne agit exclusivement ou presque exclusivement pour le compte d’une ou de plusieurs entreprises auxquelles elle est étroi­tement liée, cette personne n’est pas considérée comme un agent indépendant (…)
  2. Aux fins du présent article, une personne est étroi­tement liée à une entreprise si, compte tenu de l’en­semble des faits et circonstances pertinents, l’une contrôle l’autre ou toutes deux sont sous le contrôle des mêmes personnes ou entreprises. Dans tous les cas, une personne sera considérée comme étroitement liée à une entreprise si l’une détient directement ou indirectement plus de 50 % des intérêts effectisi dans L’autre (ou dans le cas d’une société plus de 50 % du total des droits de vote et de la valeur des actions de la société ou des inté­rêts effectifs dans les capitaux propres de la société} ou si une autre personne détient directement ou indirec­tement plus de 50 % des intérêts effectifs (ou dans le cas d’une société plus de 50 % du total des droits de vote et de fa valeur des actions de la société ou des inté­rêts effectifs dans les capitaux propres de la société) dans la personne et l’entreprise. »

Cette rédaction retient sans changement majeur celle du rapport sur l’action 7, à l’exception d’adaptations terminologiques, de renvois et de précisions sur la notion de liens de détention renvoyant à l’article 15 sur la « Définition d’une personne étroitement liée à une entreprise »9. L article 12.1 s’applique à la place des dispositions existantes.

La convention prévoit également en son article 13 des mesures « visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable par le recours aux exceptions applicables à certaines activités spécifiques ».

Deux options sont disponibles, que les États peuvent choisir ou non d’appliquer, chacune fondée sur le maintien de la liste actuelle des exceptions. L’op­tion A propose l’ajout d’une condition cumulative, baptisée « dénominateur commun », aux termes de laquelle l’activité visée doit nécessairement présenter un caractère préparatoire ou auxiliaire. L’option B offre aux États la faculté d’ajouter la condition du caractère préparatoire ou auxiliaire à une ou plusieurs activités figurant sur la liste.

Enfin, alors que le Modèle de convention de l’OCDE10 prévoit dans son article 5, paragraphe 3, qu’un chantier de construction ou de montage constitue un établissement stable si sa durée dépasse 12 mois, l’article 14 de la convention multilatérale permet d’empêcher le fractionnement des contrats destiné à contourner cette mesure. Cette disposition fixe en effet la manière de déterminer cette période de 12 mois.

Ainsi, lorsque :

  1. une entreprise d’un État contractant exerce des activités dans l’autre État contractant à un endroit qui constitue un chantier de construction ou de montage et que ces activités sont exercées pendant une ou des périodes qui, au total, dépassent 30 jours mais ne dépassent pas douze mois; et
  2. des activités connexes sont exercées sur le même chantier de construction ou de montage pendant des périodes différentes de plus de 30 jours cha­cune, par une ou plusieurs entreprises étroitement liées à la première entreprise, ces différentes pé­riodes sont ajoutées à la période totale pendant laquelle la première entreprise a exercé des activi­tés sur ce chantier de construction ou de montage.

Ces modifications, issues des travaux BEPS, ont toutes pour objectif de déjouer les techniques utili­sées par certains opérateurs et de s’assurer que des activités essentielles ou à forte valeur ajoutée ne béné­ficient pas indûment des exceptions à la qualification d’établissement stable.

Règlement des différends et arbitrage

En vue de répondre aux attentes des contribuables en matière de sécurité juridique et fiscale, une partie de l’accord multilatéral est consacrée aux règlements des différends.

L’article 16 de l’instrument dispose que, en cas d’im­position non conforme à la Convention, le contri­buable est en droit de soumettre sa situation à l’auto­rité compétente de l’un ou l’autre des États contractants dans les 3 ans suivant la première noti­fication de la mesure entraînant cette imposition. L’autorité compétente recevant la demande initiale de procédure amiable doit procéder (a) à la confirmation de sa réception à la personne qui a soumis cette de­mande et (b) à sa notification à l’autorité compétente de l’autre État contractant dans les 2 mois à compter de sa réception. Cette rédaction supprime l’obligation faite aux contribuables de se tourner vers l’adminis­tration de l’État dans lequel ils résident, comme le prévoit le Modèle convention de l’OCDE, afin de simplifier les démarches et limiter les risques de refus d’ouverture de la procédure amiable.

Dès lors que la réclamation est fondée, les autorités compétentes des deux États contractants concernés doivent résoudre le cas par voie d’accord amiable, sauf cas de fraude, négligence grave ou manquement délibéré. Cet accord devra être appliqué quels que soient les délais prévus par le droit interne des États contractants, afin de clarifier les conditions dans les­quelles les contribuables peuvent obtenir l’élimina­tion d’une double imposition créée par l’action d’une administration.

L’objectif de l’article relatif à la procédure amiable de la convention multilatérale est de garantir aux contri­buables que les mesures de BEPS ne seront pas géné­ratrices d’insécurité fiscale, ce standard minimum ayant pour but d’améliorer le règlement des diffé­rends fiscaux, en parallèle des travaux actuellement en cours au Forum sur l’Administration fiscale dont le but est d’améliorer la fluidité et la rapidité des procédures amiables.

Si la procédure amiable n’aboutit à aucun accord, le contribuable peut soumettre sa demande à la procé­dure d’arbitrage. L’arbitrage obligatoire et contrai­gnant est défini dans la partie VI de la convention multilatérale aux articles 18 à 26. Les États contrac­tants peuvent toutefois choisir d’appliquer ou non cette partie aux conventions fiscales couvertes.

Si ces dispositions relatives à l’arbitrage sont retenues, les autorités compétentes disposent alors d’un délai de 2 ans (ou 3 ans sur option des États contractants) pour trouver une solution à la demande présentée.

Le point de départ de ce délai de deux ans, défini aux paragraphes 8 et 9 de l’article 19 de la convention multilatérale, s’apprécie différemment selon les situa­tions suivantes : 

Dans la première situation, le point de départ du délai de deux ans est la première des deux dates sui­vantes :

  1. « la date à laquelle les deux autorités compétentes ont informé [de l’ouverture de la procédure amiable} la personne qui a soumis le cas conformément à l’alinéa a) du paragraphe 6; et
  2. la date qui suit de trois mois calendaires la date à laquelle la notification a été envoyée à l’autorité com­pétente de l’autre juridiction contractante conformé­ment à l’alinéa b) du paragraphe 5 » 

Dans la seconde situation, le point de départ du délai de deux ans est la première des deux dates suivantes :

  1. « la dernière des dates à laquelle les autorités compé­tentes qui ont demandé des informations complémen­taires ont informé [du début de leur travaux/de l’ou­verture de la procédure] la personne qui a soumis le cas ainsi que l’autre autorité compétente conformément à l’alinéa a) du paragraphe 7; et
  2. la date qui suit de trois mois calendaires la date à laquelle les deux autorités compétentes ont reçu l’en­semble des informations demandées par l’une ou l’autre des autorités compétentes à la personne qui a soumis le cas ».

Les États parties à l’instrument multilatéral peuvent également choisir d’écarter l’arbitrage, dès lors qu’un tribunal de l’une ou l’autre des Juridictions contrac­tantes a déjà rendu une décision relative à la situa­tion considérée ou a été saisie de cette situation dans ce but.

Les travaux BEPS ont conduit à privilégier la formule de l’arbitrage proposé par les États-Unis à ses parte­naires11 : la commission d’arbitrage devra choisir entre l’une ou l’autre des propositions communi­quées par les deux administrations à l’issue du temps de la procédure amiable. Cette version de l’arbitrage constitue celle proposée par l’OCDE par défaut. Même si les États conservent en effet la possibilité d’en convenir entre eux, n’a donc pas été retenu comme la solution de premier rang, le principe de l’arbitrage entre États membres de l’Union euro­péenne, introduit par la convention d’arbitrage du 23 juillet 1990, qui laisse à la commission d’arbitrage toute latitude pour identifier la solution qu’elle pro­pose aux États membres en vue de mettre un terme au différend qui les oppose.

Quelle position pour la France?

La France a naturellement adopté sans aucune réserve l’intégralité de l’article 7 relatif à la prévention de l’utilisation abusive des conventions, s’agissant d’un standard minimum.

De manière significative, il est particulièrement inté­ressant de noter que la France n’a formulé aucune réserve quant à l’application des articles 12, 13 et 14 de la convention multilatérale concernant les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’ établisse­ment stable par des accords de commissionnaire et des stratégies similaires, par le recours aux exceptions dont bénéficient des activités spécifiques (choix de l’option B) et par fractionnement de contrats. Tel est également le cas pour les dispositions de l’article 15 établissant la définition d’une personne étroitement liée à une entreprise. Cette position, qui peut être qualifiée d’offensive de la part de la France, dès lors qu’elle est l’un des seuls État à retenir l’ensemble des propositions de l’OCDE et à retenir les choix les plus contraignants lorsque des options sont proposées, semble correspondre aux choix retenus par l’admi­nistration fiscale française en matière de contrôle fiscal fondé sur la notion d’établissement stable et que certaines affaires rendues publiques ont révélé.
La France n’a pas davantage formulé de réserve quant à la procédure amiable prévue par l’article 16 de l’ins­trument multilatéral. En revanche, elle a fait part de son choix de se réserver le droit de remplacer le délai de 2 ans, prévu pour l’arbitrage obligatoire et contrai­gnant ajouté par les dispositions de l’article 19, par un délai de 3 ans (délai octroyé aux autorités com­pétences des États contractants pour résoudre le cas). Elle a également choisi d’exclure l’arbitrage obliga­toire dès lors qu’un tribunal de l’une ou l’autre des Juridictions contractantes a déjà rendu une décision relative à ce cas ou en été saisi dans ce but.

* * *

La portée concrète de cet instrument multilatéral est-elle aussi importante que le laisse entendre l’OCDE ?

Cette convention multilatérale constitue indiscutable­ment un projet ambitieux mené avec efficacité dans un cadre temps particulièrement serré. Il ne fait aucun doute que ses nouvelles mesures seront rapidement mises en œuvre dans un nombre non négligeable de pays et ce résultat n’aurait certainement pas été atteint sans le recours à cet outil juridique particulier.

Reste que la réalité pourrait être cruelle quant à l’étendue géographique de sa portée. L’examen sur la base de la position retenue par la France montre que, alors que la France est engagée dans 130 conventions bilatérales au 1er janvier 2017, seules 88 d’entre elles ont été retenues comme des conventions cou­vertes. De surcroît, si la convention multilatérale compte actuellement 70 signataires représentant 1.105 conventions appariées, manquent quelques grands absents tels que le Brésil et bien sûr, le plus emblématique d’entre eux, les États-Unis, ces der­niers confirmant ainsi leur conception particulière de leur participation aux travaux BEPS. Doivent cependant être mentionnées les 7 juridictions ayant fait part de leur intention de signer l’instrument mul­tilatéral : la Côte d’Ivoire, l’Estonie, la Jamaïque, le Liban, le Nigeria, le Panama ou la Tunisie.

Toujours vu depuis la France, il est intéressant de rele­ver quelques situations marquantes en matière de redé­finition d’établissement stable, en particulier des ar­ticles 12.1 et 12.2 de la convention multilatérale relatifs aux accords de commissionnaires, adoptés sans réserve par la France (ainsi qu’indiqué précédemment) :

Finalement, au regard des articles 12.1 et 12.2, la seule convention susceptible d’évolutions est au­jourd’hui la convention franco-néerlandaise.

L’étude de cas concrets pourrait également conduire à s’interroger sur les conséquences juridiques et pra­tiques de ce nouvel instrument. Dans certaines af­faires rendues publiques en divers pays de l’Union européenne, la question de l’établissement stable est centrale pour les administrations fiscales. Les nou­velles dispositions de l’instrument multilatéral, issues des recommandations de l’action 7 redéfinissant la notion de l’établissement stable, même si elles consti­tuent réellement un renforcement de l’arsenal à dis­position des services de contrôles et doivent conduire les opérateurs économiques internationaux à s’inter­roger sur leur organisation, permettraient-elles de mener une analyse différente et plus favorable aux administrations fiscales, compte tenu des éléments qu’elles ont pu réunir et des motivations techniques qu’elles ont retenues ?

Dans un contexte international, qui conduit les États, au cours de l’étape décisive de la procédure amiable, à s’entendre sur une solution partagée en­semble, alors que n’existe aucune prééminence d’un partenaire sur l’autre, ces nouvelles règles proposées par l’OCDE pourront prouver leur efficacité si elles sont partagées par les juridictions en présence. Ainsi, si la France a adopté sans réserve les articles relatifs à l’établissement stable, et notamment au fraction­nement des activités et des contrats, tel n’est par exemple pas le cas de l’Irlande.

***

L’analyse détaillée ici, quelques semaines après la signature de ce nouvel outil qu’est l’instrument mul­tilatéral, ne consiste qu’en une première analyse par­tielle, menée à chaud. La complexité et la densité des mesures introduites dans cette nouvelle convention, comme la mise en œuvre bilatérale de chacune d’elles, doivent conduire à poursuivre son étude et en préciser la portée. Sa mise en œuvre par les admi­nistrations et la pratique qu’en auront les opérateurs économiques permettront également de mieux en percevoir les effets. Il ne fait cependant aucun doute que cet instrument vient radicalement modifier le paysage fiscal international, du fait de sa nature même ainsi que par les mesures qu’il intègre, desti­nées à atteindre les objectifs clairement affichés par les États signataires.


Le mois suivant, le Cameroun et l’île Maurice ont rejoint la liste des signataires portant le chiffre à 70.

Les pays adoptent une convention multilatérale destinée à fer­mer les brèches et à améliorer le fonctionnement du système fiscal international, brève OCDE, 24 novembre 2016, disponible à l’adresse suivante: Les pays adoptent une convention multilatérale destinée à fermer les brèches et à améliorer le fonctionnement du système fiscal international.

Note explicative portant sur la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfice, p. 1.

J.-Cl. MARTINEZ, « Théorie générale des conventions fiscales», JurisClasseur, fasc. 350.

La convention de Vienne sur le droit des traités, signée en 1969, prévoie en son article 30, (3) : « Lorsque toutes les parties au traité antérieur sont également parties au traité postérieur, sans que le traité antérieur aie pris fin ou que son application aie été suspendue en vertu de l’article 59, le traité antérieur ne s’applique que dans la mesure où ses dispositions sont compatibles avec celles du traité postérieur».

Article 41. Accords ayant pour objet de modifier des traités multilatéraux dans les relations entre certaines parties seulement.

  1. Deux ou plusieurs parties à un traité multilatéral peuvent conclure un accord ayant pour objet de modifier le traité dans leurs relations mutuelles seulement :
    1. si la possibilité d’une telle modification est prévue par le traité; ou
    2. si la modification en question n’est pas interdite par le traité, à condition qu’elle:
      1. ne porte atteinte ni à la jouissance par les autres parties des droits qu’elles tiennent du traité ni à l’exécution de leurs obligations; et
      2. ne porte pas sur une disposition à laquelle il ne peut être dérogé sans qu’il y aie incompatibilité avec la réalisation effective de l’objet et du but du traité pris dans son ensemble.
  2. À moins que, dans le cas prévu à l’alinéa a) du paragraphe 1, le traité n’en dispose autrement, les parties en question doivent notifier aux autres parties leur intention de conclure l’accord et les modifi­cations que cc dernier apporte au traité.

7 M. N. Shaw, International Law, 6th ed., Cambridge, 2008, p.910 : « The consent of states parties to the treaty in question is a vital factor, since states may (in the absence of a rule being also one of customary law) be bound only by their consent. Treaties are in that sense contracts between states and if they do not receive the consent of the various states, their provision will not be binding upon them« 

8 C. David et G. Gest, v° « Impôts », in Répertoire de droit international, Paris, Dalloz, 1998 (m.à.j. janvier 2017), p. 8 sur 30

9 Dans la mesure où cette notion est utilisée clans les articles précédents, l’article 15 propose de définir une « personne étroitement liée à une entreprise » de la manière suivante : « une personne est étroitement liée à une entreprise si, compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents, l’une est sous le contrôle de l’autre ou toutes deux sont sous le contrôle des mêmes personnes ou entreprises. Dans tous les cas, une personne est considérée comme étroitement liée à une entreprise si l’une détient directement ou indirectement plus de 50 pour cent des droits ou participations effectifs dans l’autre (ou, dans le cas d’une société, plus de 50 pour cent du total des droits de vote et de la valeur des actions de la société ou des droits ou participations effectifs dans les capitaux propres de la société), ou si une autre personne détient directement ou indirectement plus de 50 pour cent des droits ou participations effectifs (ou, dans le cas d’une société, plus de 50 pour cent du total des droits de vote et de la valeur des actions de la société ou des droits ou participations effectifs dans les capitaux propres de la société) dans la personne et l’entreprise ».

10 OCDE, Modèle de convention OCDE, version 2014, Paris, Editions OCDE, 2015.

11 Cfr article 26, paragraphes 5 et 6, dc la convention franco-américaine du 31 août 1994, après modification par les avenants du 8 décembre 2004 — qui a introduit l’arbitrage dans la convention — et du 13 janvier 2009; un arbitrage identique est compris dans les conventions conclues entre les Etats-Unis et la Belgique, l’Allemagne et le Canada, il fait partie du modèle de convention des Etats-Unis.

 

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