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Loi de finances pour 2024 : les prix de transfert, objet de toutes les attentions

La loi de finances pour 2024 (loi n°2023-1322) a été adoptée le 29 décembre 2023 et a introduit de nouvelles mesures renforçant les exigences en matière de documentation de prix de transfert et le pouvoir de contrôle de l’administration fiscale sur les transactions impliquant des actifs incorporels « difficiles à évaluer », plus communément appelés Hard-To-Value Intangibles (HTVI).

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Des exigences renforcées en matière de documentation

La loi de finances pour 2024 établit un nouveau seuil à partir duquel les entreprises devront répondre à des obligations en matière de documentation de leurs prix de transfert. Par ailleurs, elle renforce la pénalité minimum applicable en cas de manquement à cette obligation, et introduit une notion d’opposabilité de la documentation.

 

 

Plus précisément, la loi de finances a apporté les modifications suivantes :

Ces mesures (i) élargissent significativement le nombre d’entreprises concernées par l’obligation documentaire, et, (ii) modifient la nature de cette obligation qui ne peut plus être considérée comme de la simple « conformité », mais comme la pierre angulaire de la défense du contribuable en cas de contrôle fiscal.

Ce nouveau paradigme renforce la nécessité d’anticiper la préparation des documentations, en amont des contrôles, afin de pouvoir sécuriser la position fiscale le plus efficacement possible. Ceci est primordial au regard de l’opposabilité de la documentation et le renforcement de la pénalité. En effet, documenter et défendre une transaction intragroupe trois ans après les faits, pendant un contrôle, est déjà aujourd’hui très souvent problématique et le sera encore plus avec ces nouvelles règles.

L’abaissement du seuil de l’obligation documentaire à 150 m€

Tel que mentionné ci-avant, certaines entreprises françaises sont soumises à une obligation de documentation des prix de transfert selon les termes de l’article L.13 AA du Livre de Procédures Fiscales (LPF). Selon la nouvelle version de cet article, cette obligation est étendue, pour tous les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024, aux entreprises répondant aux critères suivants :

 

  1. Celles dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes ou bien l’actif brut figurant au bilan est supérieur ou égal à 150 m€ (contre 400 m€ auparavant), ou,
  2. Celles détenant à la clôture de l’exercice, directement ou indirectement, plus de la moitié du capital ou des droits de vote d’une entité juridique – personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable établie ou constituée en France ou hors de France – satisfaisant à l’une des conditions mentionnées au a, ou,
  3. Celles dont plus de la moitié du capital ou des droits de vote est détenue, à la clôture de l’exercice, directement ou indirectement, par une entité juridique satisfaisant à l’une des conditions mentionnées au a, ou,
  4. Celles appartenant à un groupe relevant du régime fiscal prévu à l’article 223 A ou à l’article 223 A bis du même code lorsque ce groupe comprend au moins une personne morale satisfaisant l’une des conditions mentionnées aux a, b, c ou d.

Cette mesure, qui s’applique pour toute année fiscale ouverte à compter du 1er janvier 2024, n’est pas rétroactive. En conséquence, et à titre d’exemple, si un contrôle fiscal venait à commencer en janvier 2024 (couvrant les exercices 2021 à 2023) pour une entreprise ayant un chiffre d’affaires de 200 m€, cette entreprise ne serait alors pas assujettie à cette obligation de documentation pour les trois années en cause.

Néanmoins, cette mesure étend considérablement le champ d’application de l’article L. 13 AA du LPF, et toute entreprise nouvellement concernée doit dès à présent anticiper les futurs contrôles pour gérer au mieux ce nouveau risque. Celui-ci est d’autant plus important si l’on considère, d’une part, (i) l’augmentation de la pénalité minimum en cas de défaut de documentation, et, d’autre part, (ii) la notion « d’opposabilité » de la documentation qui tend à renverser la charge de la preuve dans certaines situations.

On notera, pour finir, que les entreprises qui ne sont pas concernées par l’article L.  13  AA du LPF restent concernées par l’obligation de fournir des informations sur leurs prix de transfert au cours d’un contrôle fiscal, en raison de l’article L. 13 B du LPF, ce qui nécessite en réalité de documenter préalablement en interne les transactions intragroupes.

Augmentation de la pénalité minimum en cas de défaut ou de documentation incomplète

La documentation des prix de transfert doit être fournie aux autorités fiscales dès le début du contrôle. En cas de défaut, ou si la documentation est considérée comme incomplète, les autorités fiscales peuvent adresser une mise en demeure précisant la loi et les sanctions applicables relativement à l’obligation documentaire. Si l’entreprise ne satisfait pas à cette exigence dans les 30 jours après réception de la mise en demeure, alors, des pénalités pourront être appliquées.

L’article 1735 ter du Code Général des Impôts (CGI) fixe le montant de cette pénalité à (i) 0.5 % du montant total des transactions concernées, ou (ii) 5 % du montant du redressement fiscal associé à ces transactions, le montant le plus important pouvant être retenu pour la pénalité. De plus, cette pénalité ne peut être inférieure à un seuil minimum par exercice fiscal contrôlé.

La loi de finances pour 2024 vient modifier ce seuil minimum en le fixant à 50 000 € par exercice contrôlé contre 10 000 € auparavant. Ce nouveau montant de pénalité minimum est applicable pour toute mise en demeure émise par l’Administration à compter du 1er janvier 2024. Puisque les contrôles fiscaux portant généralement sur trois exercices, la pénalité minimum sera ainsi de 150 000 €.

Opposabilité : la documentation des prix de transfert utilisée à l’encontre des contribuables afin de renverser la charge de la preuve

L’article 57 du CGI donne la capacité à l’Administration fiscale d’ajuster le prix des transactions internationales intragroupes.

Afin de procéder à tels ajustements, l’Administration doit apporter la preuve que les prix fixés ne sont pas conformes au principe de pleine concurrence. C’est donc sur elle que repose la charge de la preuve.

Désormais, pour les exercices fiscaux ouverts à compter du 1er janvier 2024, la charge de la preuve reposera, dans certains cas, sur le contribuable, en raison des nouvelles dispositions de l’article 57 du CGI.

En effet, l’article 57 dispose, dans un nouveau paragraphe introduit par la loi de finances de 2024, que « lorsque la méthode de détermination des prix de transfert s’écarte de celle prévue par la documentation mise à la disposition de l’Administration par une personne morale en application du III de l’article L. 13 AA ou de l’article L. 13 AB du livre des procédures fiscales, l’écart constaté entre le résultat et le montant qu’il aurait atteint si cette documentation avait été respectée est réputé constituer un bénéfice indirectement transféré au sens du premier alinéa du présent article, sauf si la personne morale démontre l’absence de transfert soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen ».

Ainsi, selon ce nouveau paragraphe, (i) la politique de prix de transfert tel que documentée fera foi, et (ii) la charge de la preuve sera renversée et supportée par le contribuable lorsqu’une différence sera observée entre le résultat comptable et la politique de prix de transfert telle que documentée.

Ainsi, la description de la politique de prix de transfert devient un élément clé. En outre, il convient de noter que selon les termes de l’article L. 13 AA du LPF, les contrats intragroupes doivent être inclus en annexe de la documentation. Ainsi, compte tenu de la modification de l’article 57 du CGI, il conviendra de considérer, au cas par cas, la nécessité d’aligner les contrats intragroupes avec la documentation et la réalité des comptes.

Un autre élément clé à prendre en compte est la capacité des contribuables à mettre effectivement en œuvre leurs politiques de prix de transfert pour qu’elles se reflètent correctement dans leur comptabilité statutaire ; ceci est généralement désigné sous la notion de « prix de transfert opérationnels » (« operational transfer pricing »). Cela peut paraître a priori trivial, mais en pratique, pour de nombreuses raisons (des questions de process, de systèmes comptables et/ou de gouvernance), les contribuables ont de grandes difficultés à refléter correctement leurs politiques dans les comptes des entités juridiques.

Depuis 2018 et la modification de l’article L. 13 AA du LPF, les entreprises doivent inclure dans leur documentation une réconciliation entre la politique de prix de transfert et la comptabilité statutaire française, généralement par le biais d’une segmentation des comptes de résultat lorsque le contribuable a plusieurs activités. De tels comptes segmentés sont des éléments essentiels de la documentation puisqu’ils doivent refléter le résultat réel de l’application de la politique de prix de transfert. Nous pouvons à ce titre anticiper des contentieux importants quant à la segmentation des revenus et des coûts, pouvant faire l’objet de nombreuses interprétations, puisque cette segmentation sera à la base de l’argumentation de l’Administration fiscale lorsqu’elle tentera de renverser la charge de la preuve.

Le nouvel article 57 du CGI ne s’appliquera qu’aux exercices fiscaux ouverts à compter du 1er janvier 2024, qui seront donc documentés dans plusieurs mois. Les contribuables devraient tirer profiter de ce temps pour adapter leurs documentations, contrats intragroupes, ainsi que la gestion de leurs politiques de prix de transfert dans leurs systèmes comptables.

Il convient également de noter qu’au cours des contrôles fiscaux qui couvriront la période 2022-2024, lorsque l’Administration identifiera, pour chaque exercice fiscal et une même transaction, une différence entre la politique de prix de transfert et la comptabilité statutaire, la question de savoir sur qui (l’Administration ou le contribuable) reposera la charge de la preuve se posera. D’un point de vue purement juridique, elle sera supportée par l’Administration pour les exercices fiscaux 2022 et 2023, et par le contribuable pour l’exercice fiscal 2024. Cependant, en pratique, la question sera plus complexe puisque tout sera lié au même contexte général et qu’il sera difficile de cloisonner les analyses par exercice fiscal : si le contribuable n’est pas en mesure de prouver que le résultat comptabilisé en 2024 est conforme au prix de pleine concurrence, comment alors sera traitée la même transaction pour les exercices 2022 et 2023 (même si l’Administration ne parvient pas à fournir de meilleurs arguments) ?

En conclusion, les contribuables doivent considérer cette modification de l’article 57 du CGI comme un changement majeur et doivent se préparer en amont des contrôles fiscaux afin de s’assurer que leur comptabilité reflète correctement leurs politiques de prix de transfert, tel que documentées.

 

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