Au cœur de l’actualité fiscale de ces derniers mois, les pays de l’OCDE franchissent en ce moment une nouvelle étape de la lutte contre la fraude fiscale internationale.
Très concrètement, il s’agit cette fois d’organiser la mise en œuvre des recommandations rendues publiques à la fin de 2015. Jusqu’à présent, les recommandations avaient été dévoilées mais les Etats devaient encore s’entendre entre eux sur la manière de les appliquer, dans le cadre de leurs relations bilatérales. Comment rendre ces nouvelles règles contraignantes, sans tarder, alors qu’elles touchent à une multitude de sujets et impactent plusieurs pans de la fiscalité ? Les Etats avaient le choix entre deux approches …
L’usine à gaz …
Un maillage de conventions bilatérales a été tissé depuis les années 30, chaque Etat négociant avec chacun de ses partenaires les conditions de leurs relations en matière de fiscalité. Ces conventions constituent la pierre angulaire des relations entre les Etats, en matière d’imposition et d’échange d’informations fiscales. Or, la mise en œuvre de certaines des recommandations OCDE, qui viennent modifier les conditions ainsi négociées une à une, aurait supposé la renégociation de l’ensemble des conventions fiscales. La France a ainsi signé 125 conventions bilatérales. Sachant qu’il en existe aujourd’hui plus de 2 000 entre tous les Etats, l’ampleur de la tâche est énorme… et le temps nécessaire incompatible avec les objectifs fixés par le G20 juste après la crise de 2008 pour rétablir le niveau des recettes publiques. Il est donc exclu de renégocier chacune d’entre elles : outre les phases de négociations proprement dites, il aurait également fallu compter sur une multitude de longues procédures de ratification nationales.
… ou la baguette magique ?
Afin de faciliter le mécanisme de mise en œuvre, l’OCDE a prévu l’élaboration d’un instrument multilatéral permettant de transposer ces recommandations, d’un seul coup, directement dans les conventions. Il s’agit d’une « convention multilatérale », signée par tous les Etats intéressés et qui ajustera les conventions existant déjà entre chacun d’entre eux. L’objectif est de garantir rapidement aux Etats et aux opérateurs économiques la sécurité juridique indispensable en cette période de bouleversement des normes.
L’OCDE a ainsi publié à la fin de l’année dernière un projet qu’elle soumettra à la signature de l’ensemble des Etats ayant participé à ces travaux. Ce projet est le fruit du travail d’un groupe composé de différents pays spécialement constitué. 80 territoires liés à la France par une convention (sur les 125) sont déjà partie aux négociations sur cet instrument multilatéral.
« L’adoption de cet instrument multilatéral marque un tournant dans l’histoire de la fiscalité internationale », selon le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria. Cette convention multilatérale est en effet une véritable innovation, sans équivalent en matière fiscale. Des précédents existaient sur une échelle géographique restreinte mais il s’agit d’une première pour une négociation d’une telle ampleur et d’une telle portée globale.
Les ingrédients de la formule magique
Le projet de convention propose aux Etats un choix limité d’options déjà identifiées, afin d’éviter de relancer une multitude de négociations. En revanche, les partenaires restent libres de définir la relation qui leur est propre, en puisant dans ce catalogue d’options celles qui leur conviennent.
L’exemple de la clause anti-abus/anti « treaty shoppping » en est une bonne illustration. Cette clause vise à éviter l’utilisation abusive des dispositions des conventions. Elle se décline selon deux options :
- Une clause anti-abus générale, qui prévoit un système de règles et de sanctions fondé sur le respect de l’esprit de la règle retenue par la convention. Il s’agit d’apprécier si celui qui entend se prévaloir de la convention n’avait pas pour objectif principal d’échapper à l’impôt en s’organisant pour bénéficier de ladite convention. Cette approche est généralement préférée par les Etats de l’Union européenne
- Une clause construite sur l’identification de la liste des situations qui excluent le bénéfice de la convention. Quiconque se trouvera dans l’une des situations ainsi pré-identifiées se verra refuser le bénéfice de la convention. Plus délicate à rédiger que la précédente, puisqu’elle suppose d’avoir identifié par avance les situations considérées comme frauduleuses, cette approche recueille les faveurs des Etats-Unis et de certains pays d’Asie
Les Etats doivent arrêter leurs choix, sur cette alternative comme sur les autres options prévues par l’OCDE, et convaincre leurs partenaires de se rallier à leur position. A défaut d’y parvenir pour chacun d’entre eux, un même Etat pourra accepter des options différentes au gré de ses partenaires. Les Etats participants sont désormais invités à se prononcer rapidement sur leurs choix. Ils pourront éventuellement exprimer des réserves.
« It’s a match »
Peu d’étapes restent maintenant à franchir pour la mise en place effective de cette convention. Au début du mois de février s’est tenue une réunion générale de négociation entre les Etats intéressés. Organisée sous la forme d’un speed dating, ces derniers ont tous été réunis et ont disposé d’un temps limité, afin d’échanger avec le plus grand nombre, leur permettant d’identifier entre eux la façon dont ils entendaient appliquer cet outil multilatéral. Cette réunion a également permis aux Etats d’identifier les changements les plus importants retenus par leurs principaux partenaires. En ce qui concerne la clause anti-abus par exemple, la France s’est prononcée en faveur de la première option. Toutefois, elle sera naturellement conduite à composer avec certains partenaires, comme elle l’a déjà fait avec les Etats-Unis par exemple. Le résultat de ces négociations devra donc être examiné avec attention.
Une première cérémonie de signature de cette convention multilatérale est prévue au cours de la semaine du 5 juin 2017 et réunira une partie des pays artisans de ce projet. Suivra un processus de ratification par 5 Etats au moins afin que celle-ci entre en vigueur. Gageons que l’appétence de certains Etats ayant participé aux travaux conduira à franchir rapidement ce dernier cap.
La France joue parfaitement le jeu de cette convention multilatérale. Elle a activement participé aux réunions préparatoires, à la rédaction et à ces dernières étapes. En revanche, d’autres pays semblent faire cavaliers seuls, au nombre desquels les Etats-Unis paraissent tenir le rôle de leader.
Cette nouvelle étape qui sera franchie à l’été constitue l’un des premiers actes du passage de la théorie, rendue publique à la fin de l’année 2015, à la mise en pratique des nouveaux outils de lutte contre la fraude identifiés par l’OCDE. La plus grande attention s’impose à tous les acteurs dès lors que les administrations fiscales et leurs services de contrôles auront ainsi recours sans tarder à ce nouvel arsenal dans les procédures à venir.