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Méthode du prix de revient majoré – Déduction de subventions et de crédits d’impôt recherche (CIR) de la base de coûts refacturés – Transfert de bénéfices (non)

Prélèvement à la source et suppression du treizième mois : la solution ?

Cet article a été publié dans les Éditions JFA Juristes & Fiscalistes Associés et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.

La CAA de Versailles, à la suite de la décision du Conseil d’État Phillips France, juge sans équivoque que la déduction du crédit impôt recherche accordé à une filiale française du prix de revient refacturé à sa mère néerlandaise est conforme au principe de pleine concurrence. À défaut d’en apporter la preuve au moyen d’une analyse de comparabilité, l’administration n’est pas fondée à soulever une présomption de transfert de bénéfices sur le fondement de l’article 57 du CGI.

Faits de l’espèce 

La société STMicroelectronics exerce une activité de prestation de services de recherche et développement (R&D) pour le compte de son groupe. À ce titre, elle bénéficie d’une créance de crédit impôt recherche (CIR) en application de l’article 244 quater B du CGI. Dansle cad re d’un contrat conclu avec sa mère néerlandaise, la société française refacture le prix de revient des prestations R&D, déduction faite du CIR, sur la base d’un cost plus de 7 %.

À l’occasion d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2011 à 2013, le service vérificateur a conclu, sur le fondement de l’article 57 du CGI, à l’existence d’un transfert des bénéfices et mis à la charge de la société une imposition supplémentaire au titre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et de taxe additionnelle. Selon l’administration, le CIR accordé par l’État ne doit pas être déduit de la base de coûts refacturés, lors de la détermination du montant de la prestation facturée.

Saisi par la société française, le Tribunal administratif de Montreuil a fait droit à la demande du contribuable. La Cour administrative d’appel de Versailles, saisie par le ministre de l’Économie, confirme la position du juge de première instance. Elle rappelle, en s’inscrivant dans la suite de la décision précitée Philips France du Conseil d’État, que la seule déduction d’une subvention, lors du calcul du prix de revient refacturé par une société française à une société étrangère du groupe, ne peut constituer en tant que telle un transfert de bénéfices de l’article 57 du CGI. En ce sens, elle rappelle qu’une analyse de comparabilité est nécessaire à la caractérisation de ce transfert de bénéfices.

La déduction du CIR n’est pas assimilable à un avantage par nature 

La mise en oeuvre de l’article 57 du CGI implique pour l’administration fiscale de démontrer l’existence d’un avantage accordé par une société française à une société liée étrangère. Elle dispose pour ce faire de deux possibilités. L’une d’entre elles consiste à établir l’existence d’un avantage par nature, défini comme un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu, démontrant l’existence d’une libéralité consentie par l’entreprise établie en France (CE, 7 nov. 2005, n° 266436 et 266438, Cap Gemini). 

En l’espèce, le service vérificateur a donc cherché à tirer de cette déduction du CIR la preuve d’un avantage par nature accordé à la société néerlandaise. Les juges du fond ont néanmoins considéré que, en se contentant de soulever le caractère incessible du CIR ainsi qu’en le caractérisant comme un moyen de paiement de l’impôt, et faute pour l’administration fiscale de démontrer qu’un tiers aurait agi différemment, cette dernière n’a pas démontré l’existence d’un avantage par nature.

En l’absence d’avantage en nature, l’administration aurait dû suivre l’autre voie qui lui est ouverte, en apportant la preuve de l’existence d’un avantage par comparaison. La présomption de transfert de bénéfices prévue à l’article 57 du CGI est alors constituée si l’administration est en mesure d’établir cet avantage consenti par la société française par comparaison avec des entreprises similaires exploitées normalement et de démontrer que des entreprises indépendantes n’auraient pas réduit leurs prix à concurrence des éventuelles subventions et du crédit d’impôt recherche reçus.

La cour a appliqué sans équivoque les principes issus de la décision Philips, à l’occasion de laquelle le Conseil d’État avait affirmé que la remise en cause par l’administration fiscale de la déduction des subventions reçues de l’État, au titre du fonds de compétitivité des entreprises, du coût de revient des opérations de recherche suppose de démontrer par comparaison l’existence d’un transfert de bénéfices.

Ce raisonnement, en l’espèce appliqué au CIR, a au demeurant déjà été retenu par la même cour, qui avait analysé la situation d’une autre filiale du même groupe, la société Microelectronics Grand Ouest (CAA Versailles, 6 juill. 2021, n° 19VE02002, STMicroelectronics Rousset), et dont l’arrêt avait alors fait l’objet d’un pourvoi du ministre des finances, non admis par le Conseil d’État (CE, (na), 14 avr. 2022, n° 455944, STMicroelectronics Rousset). Devant la Haute juridiction, le rapporteur publique , Céline Guibé, avait en effet clairement indiqué que : « Si étaient uniquement en jeu, dans l’affaire Sté Philips, des subventions versées au titre du fonds de compétitivité des entreprises, nous ne voyons pas pourquoi il y aurait lieu de raisonner différemment en présence non d’une aide directe, mais d’un crédit d’impôt, l’une comme l’autre se traduisant bien en espèces sonnantes et trébuchantes, qui viennent directement alléger le coût net des travaux de recherche supporté par l’entreprise. »1.

L’arrêt ici commenté, aujourd’hui définitif, s’inscrit donc pleinement dans ce courant de jurisprudence.

L’analyse de comparabilité peut se révéler un exercice complexe lorsque des subventions ou le CIR sont déduits des coûts de revient

L’administration fiscale avait présenté devant le tribunal administratif un panel de comparables destiné à démontrer que la rentabilité de la société française est inférieure à celles d’entreprises indépendantes. Elle y a renoncé devant la cour administrative d’appel, le juge de première instance ayant rejeté cette étude en contestant la qualité de la comparaison des informations qui lui avaient été présentées.

Dans son analyse, l’administration s’était en effet contentée de comparer les profits en se plaçant au niveau du résultat d’exploitation et en retenant uniquement des sociétés agréées au CIR, alors que la société STMicroelectronics ne l’est pas elle-même. Cette question d’agrément au CIR est un point crucial de comparaison, puisque les entreprises agréées ont la possibilité de transférer le bénéfice du CIR directement à leur donneur d’ordre, en tant que sous-traitant. Ainsi, elles n’en bénéficient pas directement, mais transfèrent l’intégralité de l’avantage à leur client. L’agrément se traduit donc par une distorsion potentielle de prix forte par rapport aux entreprises non agréées, puisque, pour un même prix de vente de la prestation, le client français d’une entreprise agréée pourra bénéficier à plein du CIR sur la prestation rendue.

En dépit de l’absence de comparables présentés par l’administration devant la cour, et dès lors que cette dernière rappelle que l’administration fiscale ne peut échapper à la démonstration de cet avantage par comparaison, la qualité des chiffres et informations présentés, par les deux parties, au cours de cet exercice de comparabilité, devient un enjeu important des débats à venir lors de l’examen de la déductibilité des subventions et du CIR.

La présentation d’un panel de sociétés comparables développant une activité de R&D reste un exercice délicat. L’OCDE rappelle en effet qu’« un prix de pleine concurrence doit être ajusté pour tenir compte des interventions de l’État sous la forme […] de subventions en faveur de certains secteurs »2.

. Les sociétés présentées dans le panel devront ainsi prendre en considération la refacturation spécifique des coûts de R&D nets des subventions et CIR. Cette information détaillée est parfois délicate à identifier dans les bases de données publiques.

 

L’oeil de la pratique

La recherche de sociétés comparables est par nature un exercice délicat. Il l’est davantage encore lorsqu’il s’agit d’examiner le résultat des sociétés dans le cadre d’une étude destinée à appréhender les conséquences de la déduction du CIR ou de subventions pour déterminer les coûts de revient sur lesquels la marge de la société sera calculée. Au cas d’espèce, deux voies pourraient être envisagées, étant précisé d’emblée qu’aucune ne permet de présenter une étude de comparables idéale.

La première conduirait à utiliser le ratio de l’impôt « théorique » payé sur le chiffre d’affaires de la société et tel que reporté dans les comptes statutaires de la société. Cet indicateur pourrait être le plus efficient, afin de prendre en compte l’impact de la déduction du CIR dans la comptabilité des sociétés comparables, mais il expose à la prise en compte dans l’analyse des éléments exceptionnels du compte de résultat, qui sont par nature exclus des analyses de prix de transfert.

La seconde conduirait à retenir uniquement des sociétés non agréées au CIR, puisque telle est la situation de la société. Ce choix réduirait probablement le nombre de comparables et contraindrait sans doute à élargir le critère de comparabilité fonctionnelle, afin de retenir suffisamment de sociétés en vue de construire un panel de comparables représentatif. En effet, toute entreprise indépendante de prestation de services de R&D a intérêt à rechercher cet agrément pour faciliter l’intégration des services rendus dans la politique de CIR de ses clients. Une analyse rapide menée sur les bases de données publiques et sur la base des agréments CIR montre ainsi que la très vaste majorité d’entre elles est agréée CIR, ce qui rend illusoire la réalisation d’un benchmark pertinent de sociétés non agréées.


1 C. Guibé, concl. ss CE, (na), 14 avr. 2022, n° 455944, STMicroelectronics Rousset.

2 Les auteurs remercient Mélanie ARRIGHI de son aide à la rédaction de cette contribution.

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