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Non-application de l’imposition théorique de l’article 123 bis aux actionnaires personnes physiques d’une société luxembourgeoise

Photo du Conseil d'Etat

Dans son arrêt du 28 janvier 2019 (n° 407421, M. et Mme Latouche), le Conseil d’Etat étend la réserve d’interprétation du Conseil Constitutionnel relative à l’actuelle rédaction de l’article 123 bis à son ancienne rédaction.

Pour mémoire, les dispositions de l’article 123 bis du Code général des impôts prévoient que lorsqu’une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des titres dans une entité juridique établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié, les revenus de cette entité juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des titres détenus. L’alinéa 3 de cet article pose par ailleurs une présomption irréfragable selon laquelle les revenus appréhendés à travers une entité localisée dans un Etat n’ayant pas conclu de convention d’assistance administrative avec la France ne peuvent être inférieurs à un revenu défini forfaitairement en fonction de l’actif net de la structure et d’un taux d’intérêt.

En l’espèce, les contribuables détenaient 99,9 % du capital de la société Fiducial Financière du Luxembourg Holding SA, société anonyme de droit luxembourgeois régie par la loi du 31 juillet 1929 et dont l’actif était constitué de valeurs mobilières et de dépôts en banque pour plus de 89 % au titre de l’année 2003 et plus de 95 % en 2004. Au cours d’un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle, les contribuables ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales pour un montant de 47 857 € et 43 109 € à raison de revenus réputés distribués par cette société en application des dispositions de l’article 123 bis dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009.

A cet égard, il convient de rappeler que la juridiction administrative s’était déjà prononcée sur la non-conformité des dispositions de l’article 123 bis dans son ancienne rédaction aux libertés communautaires dans une affaire aux faits similaires (CAA Nancy, 22 août 2008, Rifaut, n° 07-783). La CAA de Nancy avait ainsi jugé que les dispositions de l’article 123 bis issues de la loi du 30 décembre 1998 précitée instauraient une présomption irréfragable d’évasion fiscale qui n’était pas compatible avec le principe de libre circulation des capitaux ainsi qu’avec le principe de liberté d’établissement.

Cet arrêt se fondait sur les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union Européenne qui s’était prononcée sur la non-conformité au droit de l’Union européenne du régime anti-abus anglais (Controled foreign companies rules), équivalent du mécanisme prévu à l’article 209 B du CGI. Dans cet arrêt, la Cour de justice avait considéré qu’une mesure nationale restreignant la liberté d’établissement et de circulation des capitaux peut être justifiée à la condition qu’elle vise spécifiquement les montages purement artificiels dont le but est d’échapper à l’impôt normalement dû (CJCE, grande chambre, 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes plc c./ Commissioners of Inland Revenue, C-196/04).

Le mécanisme de l’article 123 bis du CGI transposant aux personnes physiques celui de l’article 209 B du CGI prévu pour les personnes morales soumises à l’impôt sur les sociétés, la CAA de Nancy avait ainsi, par analogie avec les principes dégagés par la CJUE, déclaré les dispositions de l’article 123 bis contraires aux dispositions communautaires. Tirant les conséquences de cet arrêt, la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 a complété l’article 123 bis du CGI en insérant une clause de sauvegarde applicable lorsque l’entité juridique étrangère est établie ou constituée dans un Etat de l’Union européenne.

Dans l’affaire qui nous occupe, les juridictions du fond avaient écarté la solution de la jurisprudence Rifaut aux motifs que la société établie au Luxembourg aurait été fictive. Pour motiver sa décision dans la présente espèce, la CAA de Lyon s’appuyait sur l’absence de substance de la société établie au Luxembourg dès lors qu’elle ne disposait ni de locaux, ni de personnels et qu’il n’était pas allégué par les contribuables qu’elle n’y ait eu une autre activité que la gestion de ses propres actifs.

Le Conseil d’Etat écarte la solution de la Cour en considérant que la réserve d’interprétation formulée par le Conseil Constitutionnel (Cons. Const., 1er mars 2017 n° 2016-614 QPC) quant à la présomption irréfragable consistant à calculer le revenu appréhendé de façon théorique en fonction de l’actif net de la structure et d’un taux d’intérêt a également vocation à s’appliquer à l’article 123 bis dans sa rédaction antérieure à la loi de 2009. Dès lors que le contribuable n’était pas en mesure de démontrer que les résultats déficitaires de la société luxembourgeoise auraient conduit à une imposition plus faible que l’imposition forfaitaire imposée par la présomption irréfragable, les dispositions prévues à l’alinéa 3 de l’article 123 bis ne pouvaient s’appliquer au seul motif que le Luxembourg n’avait pas conclu d’assistance administrative avec la France.

Pour écarter la solution des juges du fond le Conseil d’Etat fait application d’une réserve de constitutionnalité modifiant une disposition législative « similaire dans sa substance » à celle déférée au Conseil Constitutionnel dans l’affaire du 1er mars 2017.

L’avis du praticien : Nicolas Meurant

Du point de vue du praticien, on retiendra le nouveau coup d’arrêt porté aux présomptions irréfragables et on soulignera l’uniformisation du régime fiscal des revenus provenant d’une entité établie dans un Etat à fiscalité privilégiée.

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