Le Conseil d’État juge dans le cadre de la convention franco-britannique, qu’une société britannique de gestion de droits d’auteurs ne peut revendiquer la qualité de « bénéficiaire effectif » pour obtenir la restitution de RAS appliquées aux redevances de source française qu’elle a perçues puis reversées à ses membres non-résidents fiscaux du Royaume-Uni.
Pour mémoire, sous réserve de l’application des conventions fiscales internationales, l’article 182 B du CGI prévoit qu’une RAS – au taux standard de l’IS – est applicable aux produits perçus par les inventeurs ou au titre de droits d’auteurs (CGI, art. 92), ainsi qu’à tous produits tirés de la propriété industrielle ou commerciale et de droits assimilés, lorsque ces sommes sont versées par un débiteur exerçant une activité en France à un bénéficiaire ne disposant pas en France d’installation professionnelle permanente.
Lorsque les produits de droits d’auteurs sont perçus par des sociétés spécifiquement chargées de leur recouvrement, comme par exemple la SACEM en France, et non directement par leur auteur (ou ayant droit), la doctrine administrative considère cette société comme le débiteur légal de la RAS. Par conséquent, la base de la RAS est constituée, conformément à la loi, par le montant des sommes versées par la société chargée du recouvrement aux auteurs domiciliés hors de France (BOI-IR-DOMIC-10-20-20-50 n°80).
L’histoire
La société anglaise Performing Rights Society Ltd (« PRS »), a pour objet de collecter et de gérer les droits d’utilisation, de diffusion et de distribution des œuvres dont ses membres sont les auteurs, compositeurs ou interprètes. Elle conclut avec la SACEM un contrat de coopération par application duquel la SACEM lui reverse les redevances correspondant à l’exploitation des droits sur le territoire français. Dans ce cadre, en 2013 et 2014 la SACEM a versé à la société PRS les redevances provenant de l’exploitation des œuvres de ses membres sur le territoire français en prélevant spontanément la RAS prévue par l’article 182 B du CGI.
La société britannique a par la suite demandé le remboursement de cette RAS sur le fondement de l’article 13 de la convention fiscale franco-britannique – selon lequel les redevances provenant d’un des États partie à la convention et dont le bénéficiaire effectif est résident de l’autre État, sont uniquement imposables dans cet autre État.
La réclamation n’a été que partiellement admise par l’administration fiscale : celle-ci a limité la restitution de la RAS litigieuse à hauteur des seules sommes redistribuées par la société PRS à ses membres ayant la qualité de résidents fiscaux britanniques, au motif que seuls ses membres, et non la société PRS, auraient la qualité de bénéficiaires effectifs des redevances collectées en France par la SACEM pour le compte de la société, au sens des stipulations de la convention fiscale franco-britannique.
L’affaire est portée devant les juridictions.
Pour faire droit à la demande de restitution de RAS de la société PRS, et confirmer la décision du TA, la CAA de Versailles s’attache à analyser les statuts et le mode de fonctionnement de la société britannique.
Elle relève notamment que :
- La société PRS est assujettie à l’IS au Royaume-Uni et, si elle comptabilise en charges déductibles les sommes correspondant à la fraction des redevances de droits d’auteurs qu’elle reverse à ses membres, elle est, toutefois, imposable sur son bénéfice, qui inclut la fraction des redevances qu’elle conserve à son profit.
- Il ressort des statuts constitutifs de la société PRS que :
- Les artistes membres cèdent à cette dernière l’intégralité des droits qu’ils détiennent sur leurs œuvres et que la société exerce ainsi seule la protection et la gestion de ces droits ainsi que des revenus qu’ils génèrent.
- Le conseil d’administration de la société, qui est composé en partie, mais non exclusivement, des artistes membres de cette dernière et qui est investi des pouvoirs les plus étendus d’administration de la société. détermine souverainement l’affectation des revenus tirés de l’exploitation des œuvres de ses membres et peut, à ce titre, choisir de les redistribuer à ses membres ou d’abonder divers fonds de garantie, d’aide sociale à ses membres ou à leurs ayants droit, de promotion des activités artistiques ou de bienfaisance, dont la société PRS assure seule la gestion.
Dans ces conditions, la CAA conclut que, bien que la société distribue dans les faits la majeure partie des redevances collectées pour ses membres et que ces dernières sont, d’ailleurs, comptabilisées en charges dans ses écritures comptables, la société PRS ne peut être regardée comme agissant comme un simple mandataire des artistes qu’elle représente, mais détient un pouvoir direct d’utilisation et d’affectation des fonds qu’elle collecte, ainsi qu’un intérêt social propre, distinct de celui de ses membres.
Aussi, en l’absence de montage artificiel invoqué par l’administration fiscale, la Cour considère que la société PRS doit être regardée comme étant le « bénéficiaire effectif » des redevances collectées en France par la SACEM au sens des dispositions conventionnelles.
À la lumière de cette décision, il convient de se remémorer les commentaires sur le modèle de convention du comité des affaires fiscales de l’OCDE (postérieurs à la convention de 2008, mais auxquels on peut se référer pour leur valeur doctrinale – voir en ce sens CE, 11 décembre 2020, Société Conversant International Limited, n°420174) selon lesquels le récipiendaire de redevances qui a effectivement le droit de les utiliser et d’en jouir sans être limité par une obligation contractuelle ou légale de céder le paiement reçu à une autre personne, doit être regardé comme le « bénéficiaire effectif » de ces redevances, voir Modèle de convention OCDE, C(12)-3, §4.3.
La décision
A l’inverse le Conseil d’État, qui ne suit pas les conclusions du rapporteur public, retient des pièces du dossier :
- qu’en principe, les revenus tirés de l’exploitation des œuvres doivent être répartis entre les membres de la société « après déduction des frais y compris à caractère social justifié ». Les redevances redistribuées sont alors comptabilisées en charges déductibles dans les écritures comptables de la société et imposées entre les mains de ses membres et non de la société
ET - qu’en pratique, l’essentiel des redevances collectées par la société est effectivement reversé chaque année à ses membres (i.e., ventilation de l’ordre de 80 % de redistributions, 20 % d’autres affectations).
Il en déduit que la CAA a inexactement qualifié les faits en jugeant que la société était le « bénéficiaire effectif » des redevances.
Le Conseil d’État semble donc davantage s’attacher à la situation factuelle, plutôt qu’aux modalités statutaires et juridiques.